L'Assemblée nationale adopté, ce mercredi 22 janvier, le projet de loi d'urgence pour Mayotte. Objectif du texte : préparer et accélérer la reconstruction de l'archipel dévasté par le cyclone Chido en permettant, par exemple, de déroger à certaines règles en matière d'urbanisme.
446 voix pour, 2 contre et 110 abstentions. L'Assemblée nationale a très largement adopté, ce mercredi, le projet de loi d'urgence pour Mayotte. D'autant plus largement que les deux députés qui ont voté contre lors du scrutin électronique dans l'hémicycle, on fait savoir qu'il avaient en fait voulu s'abstenir.
Le texte contient de nombreuses mesures visant à lancer la reconstruction de l'archipel, dévasté le 14 décembre 2024 par le cyclone Chido. Examiné depuis lundi, le projet de loi permet notamment de déroger à certaines règles d'urbanisme, de réserver une part des marchés publics aux petites entreprises mahoraises et de faciliter les dons de particuliers.
La quasi totalité des groupes politiques du Palais-Bourbon ont voté en faveur du texte, à l'exception des groupes La France insoumise et Ecologiste et Social qui se sont abstenus, tout comme cinq députés du groupe Gauche démocrate et républicaine. Les deux députés LFI qui ont voté contre le texte, René Pilato et Jean-Hugues Ratenon, ont indiqué à l'issue du scrutin qu'ils avaient voulu "s'abstenir volontairement".
Malgré ce large soutien, la plupart des groupes ont souligné les insuffisances du texte, lors des explications de vote. Philippe Gosselin (Droite républicaine) estimant que "le compte n'y est pas", Philippe Naillet (Socialistes) faisant état de "réserves" et Anchya Bamana (Rassemblement national) évoquant un texte "très loin des réalités". La rapporteure, élue de l'archipel, Estelle Youssouffa (Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires) a souligné que ce texte n'était "qu'un début" avant l'examen, d'ici mars, d'un autre projet de loi du gouvernement, qui doit aborder la question migratoire à Mayotte.
Pour faciliter la reconstruction, le texte prévoit plusieurs dispositions permettant de déroger au code de l'urbanisme, mais aussi d’accélérer l'instruction des demandes ou encore de permettre le début de travaux de démolition, de terrassement et de fondation "dès la demande d'autorisation d'urbanisme". Cette dernière possibilité a été critiquée pendant les débats par Dominique Voynet (Ecologiste et social), qui estime que le dispositif "exercera une forte pression à l'octroi de l'autorisation" puisque les travaux seront déjà entamés au moment où les agents de l'Etat instruiront les demandes.
Les députés ont également adopté des dispositions permettant de déroger aux règles normales de passation des marchés publics, tout en adoptant plusieurs amendements visant à protéger les TPE et PME mahoraises. 30% des marchés publics leur seront réservés.
L’Etat pourra construire, reconstruire ou rénover des écoles à la place des collectivités territoriales, jusqu'au 31 décembre 2027. L'Assemblée a adopté un amendement de La France insoumise prévoyant que l’État devra "consulter" la commune d'implantation et non plus recueillir son "accord exprès", comme l'avaient voté les députés de la commission des affaires économiques.
Les députés ont également adopté un amendement du gouvernement qui permettra à ce dernier de prendre par ordonnances des mesures permettant de lutter "contre les locaux ou installations édifiés sans droit ni titre constituant un habitat informel". Une façon, selon le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, de "rappeler que la lutte contre l'habitat informel est une priorité".
Les dons de particuliers seront défiscalisés à hauteur de 75%, dans une limite de 3000 euros. L'Assemblée a validé un amendement de la députée mahoraise Anchya Bamana (RN) visant à s'assurer que l'argent des dons ne pourra pas être "détourné de sa finalité" par des "associations pro-migrants".
Les députés ont également exonéré les acteurs économiques mahorais du paiement de toutes cotisations et contributions sociales sur décembre 2024 et reporté d'un an le paiement des impôts et taxes pour les entreprises domiciliées à Mayotte réalisant au moins 50% de leur chiffre d'affaires sur l'archipel. La représentation nationale a aussi augmenté de trois mois supplémentaires, c'est-à-dire jusqu'au 30 juin 2025, la période de maintien des droits et prestations sociales des résidents mahorais.
L'Assemblée a, en revanche, supprimé l'article 10, qui prévoyait d'adapter par ordonnance les règles relatives à l'expropriation pour cause d'utilité publique. "Les acteurs mahorais avec qui on a pu discuter sont extrêmement inquiets vis-à-vis des moyens exceptionnels que cela donne à l’Etat", a notamment indiqué la présidente de la commission des affaires économiques, Aurélie Trouvé (La France insoumise). "L’Etat veut mettre la main sur le foncier dans des territoires où c'est la seule richesse de la population", a elle aussi considéré la députée Mayotte Estelle Youssouffa (LIOT).
Face à un dispositif à la "forte portée affective", Manuel Valls s'en ait remis à la "sagesse" des députés et espère "trouver le meilleur dispositif" lors de la navette parlementaire.
L'article 3 du projet de loi, qui prévoyait de faciliter l'implantation de constructions temporaires permettant l'hébergement d'urgence, a lui aussi été supprimé. Sa rédaction, qui prévoyait que les travaux soient dispensés pour deux ans de "toute formalité au titre du code de l'urbanisme", laissait craindre selon certains députés que le "temporaire" ne devienne "permanent". De plus, selon Estelle Youssouffa, le code de l'urbanisme permet "déjà de construire sans formalité d'urbanisme des hébergements d'urgence pour une durée maximale de deux ans".
Lors des débats, les députés Aurélien Taché (La France insoumise) et Dominique Voynet (Ecologiste et Social) ont tenté de revenir sur l'encadrement de la vente de tôles à Mayotte, qui avait été adopté par la commission des affaires économiques. Une tentative jugée "moralement abjecte" par Estelle Youssouffa, qui a estimé que les députés de gauche tentaient par cette occasion de "laisser pulluler les bidonvilles".
Les amendements défendus par les élus de gauche - et particulièrement par Dominique Voynet - ont, à plusieurs reprises, provoqué la colère d'Estelle Youssouffa, agacée par "un travail de démolition, de dénigrement [de Mayotte] qui est insupportable". La rapporteure estime que les Mahorais "ont toujours des torts", notamment sur la question de l'immigration : "Soit on accueille et on a tort car on exploite, soit on n'accueille pas et on est des gros racistes."
Mardi soir, Dominique Voynet a défendu un amendement proposant de renouveler tacitement les titres de séjours ayant expiré depuis le 14 décembre et jusqu'au 31 mars 2025 mais aussi pour les dossiers en cours d'instruction à Mayotte au moment du passage du cyclone. "Je pensais à Audiard, sur ceux qui insistent et c'est à ça qu'on les reconnaît", a réagi Estelle Youssouffa, qui a dénoncé une proposition en forme "d'appel d'air".
Une réponse qui a fortement irrité Dominique Voynet, qui a dénoncé les prises à partie "très personnelles" de la rapporteure : "Qui fait le ménages dans vos maisons ? Qui garde vos enfants ? Qui travaille dans les champs ?", a notamment demandé l'élue écologiste, qui a dirigé de 2019 à 2021 l'Agence régionale de santé de Mayotte.
Cet échange fait office de prélude aux vifs débats qui ne manqueront pas de naître dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale au printemps. Manuel Valls a en effet rappelé à plusieurs reprises que la question de l'immigration à Mayotte serait abordée dans un texte ad hoc, présenté d'ici mars par le gouvernement.
Le ministre des Outre-mer a également indiqué que le gouvernement serait "favorable" à la proposition de loi de la Droite républicaine, qui vise à restreindre davantage les critères du droit du sol à Mayotte. Ce texte sera examiné le 6 février prochain, dans le cadre la journée d'initiative parlementaire du groupe présidé par Laurent Wauquiez.