Migrations : la commission d'enquête pointe les manquements de la France en matière de solidarité

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Exilés en France
par Soizic BONVARLET, le Mercredi 10 novembre 2021 à 15:29, mis à jour le Mardi 16 novembre 2021 à 18:54

La commission d’enquête consacrée aux migrations, présidée par Sébastien Nadot (Libertés et Territoires), et dont la rapporteure est Sonia Krimi (La République en marche), publie ses conclusions ce mardi 16 novembre, après avoir adopté mercredi dernier le rapport issu de ses travaux. Tout au long de leurs auditions, les députés ont eu pour objectif d’évaluer les politiques publiques au regard des situations concrètes vécues par les migrants.

Amorcés en mai dernier, les travaux de la commission d’enquête "sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d’accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France", ont abouti à 29 recommandations, détaillées mercredi 10 novembre devant les députés de la commission d'enquête. Déjà, en juin dernier, Sébastien Nadot (Libertés et territoires) et Sonia Krimi (La République en marche), respectivement président et rapporteure de la commission, avaient dans une tribune, évoqué une "crise de la dignité humaine" et déploré le manque de voix pour rappeler que "ni l’absence de droit au séjour, ni le fait d’occuper illégalement un site ne sauraient priver de la jouissance des droits les plus fondamentaux". Ils avaient également regretté les insuffisances de la puissance publique en matière de politique migratoire, "sauf à monter quelques coups de force à mettre en vitrine médiatique".

Des entraves aux droits fondamentaux qui touchent particulièrement les plus jeunes

Lors des auditions, le 8 septembre dernier, de responsables de Médecins sans frontières, Mélanie Kerloc’h, responsable du pôle santé mentale du centre d’accueil de jour de Pantin pour mineurs non accompagnés (MNA), avait fait part de "situations de maltraitance" vis-à-vis de jeunes. Corentin Bailleul, chargé de plaidoyer pour Unicef France avait quant à lui évoqué des entraves aux droits fondamentaux régulièrement constatées à l’égard des MNA. Un phénomène qui s’exercerait particulièrement dans les villes frontalières, comme Calais ou Vintimille, en raison de l’absence de structures dédiées à la protection de l’enfance. La directrice France de Human Rights Watch, Bénédicte Jeannerod, avait aussi prôné "la cessation des abus de la police dans les zones-frontières".

Les droits de l’enfant n’ont plus cours à partir du moment où il s’agit d’enfants migrants. Sébastien Nadot

Alerté par les ONG, le président de la commission d’enquête, Sébastien Nadot, en était venu à s’interroger sur le fait qu’en France, la politique de contrôle des flux migratoires prévaudrait sur la protection de l’enfance et sur l’existence d’éventuelles consignes du ministère de l’Intérieur pour prendre en compte un supposé risque d’"appel d’air". Selon le député, "les droits de l’enfant n’ont plus cours à partir du moment où il s’agit d’enfants migrants", "ce qui est un glissement totalement à l’encontre de nos lois, de la Constitution et des textes internationaux, comme la Convention des droits de l’enfant". Il considère notamment qu’au regard de la question de l’enfermement de mineurs étrangers dans les centres de rétention administratives (CRA), "il faut un arrêt clair et définitif, point".

À propos des mineurs isolés, Sonia Krimi juge fondamental de "ne pas judiciariser la question à l’extrême". Elle prône notamment la délivrance d’un récépissé qui permettrait à ces jeunes d’être en règle dans l’attente de la confirmation éventuelle de leur minorité. Par ailleurs, pour les familles avec enfants, le rapport préconise des alternatives systématiques à la rétention, au travers de lieux d’accueil dédiés.

Concernant les étudiants étrangers, qui représentent en France le principal flux migratoire, les travaux de la commission mettent en lumière une situation parfois préoccupante. En cause notamment, la pénurie de places d’hébergement, dont l'octroi revient en partie au CROUS. Cheikh Mbacké Toure, membre de la Fédération des étudiants et stagiaires sénégalais de France (FESSEF), avait lors de son audition, le 9 septembre dernier, évoqué la lourdeur administrative liée au renouvellement des titres de séjour, ainsi qu’un coût des visas trop élevé pour des étudiants venant de pays exsangues.

Par ailleurs, et alors que le Maroc, l’Algérie et la Chine sont les trois principaux pourvoyeurs d’étudiants étrangers, Guillaume Gellé, vice-président de la Conférence des présidents d’université, avait alerté sur les conséquences de l’augmentation des frais d’université pour les étudiants non européens. Il avait alors évoqué un "changement de paradigme dans la politique de la France", et considéré "regrettable de donner de la France l’image d’un pays qui se referme sur lui-même". Le rapport issu de la commission d’enquête prône ainsi la suppression de la mesure des frais d’inscription différenciés, qui s’applique actuellement aux étudiants extra-communautaires.

Des propositions pour réformer la gouvernance de l’immigration

Sonia Krimi et Sébastien Nadot considérant comme néfaste la mainmise du ministère de l’Intérieur sur l’ensemble des questions migratoires, le rapport propose de les redistribuer au sein de quatre ministères que seraient la Solidarité et la Santé, le Travail, le Logement et les Affaires étrangères. Sonia Krimi estime en effet que la concentration actuelle dans les mains du ministère de l’Intérieur s'avère une "cause-racine" des dysfonctionnements et des entraves aux droits des étrangers sur notre sol, et évoque "une recommandation qui aura un effet domino". Un Haut-commissariat placé auprès du Premier ministre, répondant à l’objectif d’une gouvernance intégrée des politiques migratoires, chapeauterait l'ensemble des acteurs ministériels.

Interpellé par Sébastien Nadot à l'occasion de la séance des questions au gouvernement de ce mardi 16 novembre, le ministre de l'Intérieur a répondu à cette proposition en considérant que cela revenait à prendre la Grèce pour exemple. "Est-ce ce modèle-là que vous voulez ? Est-ce que la Grèce a montré son efficacité avec de grands centres de rétention aux portes de l'Europe ?", a rétorqué Gérald Darmanin.

À tous les endroits, le système s’organise pour que les migrants ne puissent pas exercer leurs droits. Sébastien Nadot

Car Sébastien Nadot évoque la nécessité d’un pilotage décentralisé, et dénonce lui aussi le principe idéologique consistant à "adosser toutes les questions migratoires au ministère de l’Intérieur", dont la mission réside dans l'ordre public et la sécurité. "C’est très signifiant sur la manière dont on veut orienter la politique", considère le député de Haute-Garonne, qui estime également qu’ "à tous les endroits, le système s’organise pour que les migrants ne puissent pas exercer leurs droits".

Lui souhaite ancrer la politique migratoire au sein des territoires et apporter des réponses locales aux situations des migrants, au-delà de la seule grille de lecture liée aux frontières. Il préconise d’accorder un soutien financier massif aux associations qui maillent déjà le territoire et que les services de l’État leur délèguent l’application du principe de fraternité, dont il souligne la valeur constitutionnelle, là où il constate la "mise à l’index" de ces mêmes associations dans certains discours publics du moment.

En France on ne se parle pas. Les collectivités territoriales ne parlent pas aux préfectures, et les préfectures ne parlent pas aux ONG. Sonia Krimi

Sonia Krimi insiste, quant à elle, sur le manque de concertation entre les différents acteurs, considérant qu’"en France on ne se parle pas. Les collectivités territoriales ne parlent pas aux préfectures, et les préfectures ne parlent pas aux ONG". Elle préconise aussi dans son rapport la généralisation de "médiateurs interculturels" dans notre pays, formant des quorums d'interprètes, de représentants d'ONG, des préfectures, ou encore de travailleurs sociaux des municipalités, afin d’intervenir auprès des migrants, y compris au sein des fameux "hot spots".

Pour la députée de la Manche, il ne s'agit pas tant d'un défaut de moyens que d’organisation. Si Sonia Krimi souhaite "convaincre l’Exécutif, et surtout le candidat Macron" d’aller dans le sens de ses préconisations, Sébastien Nadot estime qu’une convergence des élus et du gouvernement avec le constat dressé par le rapport serait déjà "une grande victoire politique". "Nous sommes à la dérive. Collectivement", écrit-il dans l’avant-propos du rapport de la commission d’enquête, tout en plaçant ses espoirs dans "un sursaut des consciences du plus grand nombre".