Créée au début de l'été et co-rapportée par trois députées (Renaissance, La France insoumise, Rassemblement national), la mission "flash" sur l'acceptabilité et les modalités de déploiement des énergies renouvelables a rendu ses conclusions. Alors que le projet de loi sur les énergies renouvelables sera examiné dans quelques semaines par l'Assemblée nationale, le rapport de la mission ainsi que les conclusions présentées en commission reflètent les divergences entre les principaux groupes du Palais-Bourbon dès lors qu'il s'agit d'entrer dans le vif du sujet.
Créée le 2 juillet 2022, la mission "flash" sur "l'acceptabilité et les modalités de déploiement des énergies renouvelables" (ENR) avait pour "objectif d’éclairer le sujet de l’acceptabilité du déploiement des énergies renouvelables et de formuler des propositions dans un esprit transpartisan". Après trois mois de travaux, "18 auditions et tables rondes" (associations environnementales, représentants de l’État, d'entreprises et de salariés, opposants aux projets...), les conclusions du rapport ont été présentées, mercredi 9 novembre, devant la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Le rapport de sept pages que LCP s'est procuré contient un court propos introductif rédigé de façon collégiale et une contribution individuelle de chacune des trois co-rapporteures de la mission : Pascale Boyer (Renaissance), Clémence Guetté (La France insoumise) et Mathilde Paris (Rassemblement national). Un format atypique reflétant la difficulté des co-rapporteures à s'entendre sur un sujet épineux dès lors qu'il s'agit de l'envisager concrètement.
Néanmoins, cette mission a permis d'acter trois nécessités partagées : d'abord, celle "de planifier le développement des énergies renouvelables" ; ensuite, celle "d'impliquer les populations durant l'intégralité du déroulement du projet dans une démarche de co-construction" ; enfin, celle "d'accélérer l'instruction des projets", sans que cela n'érode la concertation et la participation des populations concernées par ces derniers. Derrière ces propos généraux transparaît de profondes divergences dans la manière de favoriser le développement des ENR, alors même que la France peine à atteindre ses objectifs en la matière (voir ici ou là).
C'est l'un des points emblématiques des désaccords sur les ENR : la planification. En effet, si les trois co-rapporteures adhèrent toutes à ce concept, celui-ci est traduit différemment, entre primauté des collectivités territoriales et renforcement du rôle de l’État.
Ainsi pour Pascale Boyer (Renaissance), la planification doit être "territoriale". Plus qu'un plan d'action piloté par l’État, la planification est conçue comme une modalité supplémentaire de concertation à laquelle prennent part les collectivités territoriales : chaque Comité régional de l'énergie – instance créée par la loi Climat et résilience – doit favoriser la concertation avec les élus locaux. Les maires sont considérés comme les personnalités référentes et ont également un rôle à jouer pour 'organiser les échanges entre les décideurs locaux, la population et les associations locales". La planification conçue comme méthode de construction locale de l'acceptabilité et du déploiement des ENR est également partagée par le RN, qui estime que celle-ci doit "partir du niveau local" et que "la concertation [doit] être réalisée en amont des projets, dans le cadre d'une coconstruction".
A l'inverse, LFI affirme qu'il est temps "que l’État et les collectivités locales assument pleinement leur rôle de planificateurs de la transition énergétique", notamment pour atteindre l'objectif d'un mix énergétique 100% ENR à horizon 2050. Elle appelle donc à une "planification nationale, territoriale et démocratique". Selon Clémence Guetté, la planification doit être décidée et pilotée par l’État dans la mesure où "les communes et les intercommunalités ne disposent pas de l'ingénierie territoriale nécessaire". Elle s'appuie notamment sur la sous-exploitation des documents de planification - un constat partagé par la députée Renaissance qui insiste sur le fait que les projets d'ENR doivent être actés "en fonction de la cohérence des documents d'urbanisme".
Pour que l’État puisse planifier, la députée LFI du Val-de-Marne appelle à la "constitution d'un pôle public de l'énergie" et une augmentation générale des moyens dévolus à l'action de l’État afin, notamment, de remédier aux "moyens insuffisants des Dréal". Un constat partagé par la députée Renaissance, soulignant la création de 37 postes équivalents temps plein (ETP) dans le cadre du projet de loi de finances 2023.
Une autre ligne de partage entre les trois groupes concerne l'urgence, l'importance ou la prudence dans le déploiement des ENR en France. Si le RN adhère au développement des énergies renouvelables, la contribution de Mathilde Paris met en évidence une "acceptabilité variable" de celles-ci qui peuvent, selon elle, fragiliser le pays, particulièrement en termes de souverainetés "industrielle", "alimentaire" et "énergétique". La contribution de la députée du Loiret propose notamment un moratoire sur l'éolien terrestre.
Que cela concerne le photovoltaïque, l'éolien terrestre ou la méthanisation, Mathilde Paris insiste sur les différentes externalités négatives, environnementales et sociales : impact sur la biodiversité des éoliennes terrestres (documentées par exemple ici ici), "dévaluation du prix des biens immobiliers situés à proximité", conflits d'usages en mer entre éoliennes et activités de pêche, crainte d'un risque de "clivage entre les zones urbaines consommatrices d'énergie, et les zones rurales, productrices d'énergie" si le déploiement des ENR continuait à être territorialement déséquilibré. La crainte de ce risque a été partagée, en d'autres termes, par Clémence Guetté lors des échanges en commission.
Afin de renforcer l'indépendance nationale, LFI et le RN formulent la nécessité de développer une filière industrielle des énergies renouvelables. Le RN appelle, par exemple, au "développement d'une filière française compétitive, respectueuse de l'environnement et créatrice d'emplois", tandis que LFI propose, de manière plus détaillée, le "développement de l'emploi local pour partager et décupler la valeur" (statut des travailleurs du secteur protecteur, augmentation des "capacités de formation technique et professionnelle"), afin d'ancrer les ENR dans les territoires et de renforcer leur appropriation par la population.
Sans concertation publique, sans réforme de la fiscalité, sans réforme des appels à projets, sans meilleure information des populations, pas de déploiement, ni d'adhésion des différents acteurs aux énergies renouvelables. Or, si les co-rapporteures partagent ces principes, elles divergent sur leurs applications pratiques. Toutes s'accordent, par exemple, pour revaloriser le rôle de la Commission nationale de débat public (CNDP), sans lui donner le même rôle.
Renaissance envisage la possibilité de la saisir uniquement "pour des projets ayant un impact majeur sur l'environnement", privilégiant par ailleurs des comités locaux rassemblant les différents acteurs pour "identifier en amont les points éventuels de blocage". L'idée d'un "comité de pilotage" est également privilégiée par le RN dans sa contribution. Parce que "plus la concertation est réussie, moins le risque contentieux est élevé", LFI insiste spécifiquement sur le renforcement du "rôle et [de] la capacité d'accompagnement de la CNDP".
S'agissant de la fiscalité et des normes, les contributions appellent à un changement des dispositifs fiscaux, notamment de l'IFER. Actuellement distribuée à parts égales entre l'intercommunalité et le département, Renaissance appelle à revoir sa répartition en faveur de la commune, "collectivité la plus impliquée dans le projet" - un point également mis en valeur par Mathilde Paris lors de la présentation en commission. Clémence Guetté a, quant à elle, insisté pour faire reposer cette taxe sur la production d'énergie plutôt que sur la puissance installée, comme c'est le cas actuellement.
Afin de renforcer l'acceptabilité des ENR, le RN appelle aussi à "soutenir le financement participatif et réduire la facture d'électricité des riverains" ; une "mauvaise idée" menaçant le principe de péréquation tarifaire et "revenant à considérer les énergies renouvelables comme des dommages", estime LFI.
Si la mission "flash" se concentre principalement sur l'éolien (terrestre, maritime) et le photovoltaïque, les trois co-rapporteures ont regretté l'absence d'une prise en compte plus globale des ENR, notamment dans le projet de loi du gouvernement qui vient d'être adopté au Sénat. Les trois députées déplorent en particulier l'absence de l'hydroélectricité, de la géothermie ou des sources de chaleur (système de chaleur ou de froid).
A noter que les contributions de Renaissance et du Rassemblement national se rejoignent sur le rôle central du maire dans la décision finale de valider ou non les projets d'ENR, alors même que le droit de veto de ces derniers a été remplacé par un mécanisme plus large par le Sénat dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif aux énergies renouvelables.
La question de ce droit de veto du conseil municipal en matière d'aménagement du territoire sera vraisemblablement l'un des sujets qui fera débat à l'Assemblée, lors de l'examen du projet de loi. Le président du groupe Les Républicains Olivier Marleix a annoncé, mardi 8 novembre, que son groupe redéposerait des amendements en faveur d'un droit de veto des maires.
Ce point est emblématique des interrogations des députés lors de la présentation du rapport de la mission "flash" en commission : quelle articulation entre la mission "flash" et le projet de loi ENR venant d'être adopté au Sénat ? Réponse en fin d'année, lors de l'examen du projet de loi par l'Assemblée nationale.