Réaffirmation et modernisation des missions de service public, création d'une holding stratégique, consolidation des modalités de financement... Dans un rapport parlementaire, les députés Quentin Bataillon (Renaissance) et Jean-Jacques Gaultier (Les Républicains) font 30 propositions pour assurer l'avenir de l'audiovisuel public.
Au terme de 75 heures d'auditions et de sept mois de travaux, ponctués de déplacements de terrain en France et à Londres, le président et le rapporteur de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'avenir de l'audiovisuel public, Jean-Jacques Gaultier (Les Républicains) et Quentin Bataillon (Renaissance), ont présenté leurs conclusions aux membres de la mission, ce mardi 6 juin.
Convaincus que le statu quo serait la pire des solutions, les deux députés font 30 propositions pour "révolutionner" et donc assurer l'avenir - l'indépendance et la pérennité - de l'audiovisuel public. Leur rapport, qui concerne notamment France Télévisions, Radio France et France Médias Monde, sera officiellement présenté mercredi 7 juin devant la commission des affaire culturelles.
Fil rouge du rapport, peut-on lire en introduction : "Comment assurer la spécificité et l’indépendance de notre service public de l’audiovisuel ?" et "préserver le contrat de confiance entre citoyens et institutions autour d’une information fiable", face aux "bouleversements profonds et rapides" du secteur de l'audiovisuel dans son ensemble. Avec cette conviction : "C’est par le contenu éditorial et la visibilité des offres que notre audiovisuel parviendra à toucher les Français".
La recommandation la plus visible pour le grand public porte sans aucun doute sur la suppression "de toute présence des annonceurs entre 20 heures et 6 heures sur les antennes nationales et plateformes de France télévisions, en étendant l’interdiction à la publicité numérique et aux parrainages".
A l'heure actuelle, les deux députés estiment que la règle d'interdiction de la publicité sur le service public télévisuel entre 20 heures et 6 heures est "largement contournée" du fait de la présence de parrainages, de messages d'intérêt général et des publicités génériques, que le téléspectateur assimile à de la publicité classique. "Cela conduit à une situation regrettable, qui nuit à la spécificité du service public de l’audiovisuel", considèrent-ils.
Selon les estimations des élus, une telle évolution supprimerait un tiers des recettes publicitaires de France Télévisions, qui ont atteint 392,8 millions d'euros en 2022. Afin de compenser cette perte, ils proposent d'affecter une fraction du produit de la taxe sur les services numériques, quitte à la relever, et précise que cette compensation devra se faire "à l’euro près".
Plus globalement, les deux députés réaffirment l'objectif de diminuer progressivement la publicité, sous toutes ses formes, sur les radios et télévisions du service public, ce qui permettrait de mieux différencier l'audiovisuel public de ses concurrents privés. Ils relèvent également qu'il est dangereux pour les médias de service public qu'une partie de leur financement repose sur une ressource aussi incertaine et volatile que la publicité.
Autre mesure phare contenue dans le rapport : la création d'une "holding stratégique" qui chapeauterait l'ensemble de l'audiovisuel public. "Cette holding, qui devra rester une structure légère en termes d’effectifs et de coûts, permettra aux médias publics d’affronter en commun les défis d’avenir que constituent la transformation numérique et l’installation dans le paysage audiovisuel des Français d’acteurs de dimension mondiale, et de parachever les coopérations déjà engagées", souligne le rapport.
Pour appuyer cette proposition, le rapport de Quentin Bataillon dresse le constat de "retards et difficultés" dans la collaboration entre les différentes entités de l'audiovisuel public, malgré les efforts entrepris au cours des dernières années. De fait, une coopération renforcée est actuellement prévue via les contrats d'objectifs et de moyens (COM). Insuffisant, pour les deux députés qui soulignent l'absence de transparence autour des négociations de ces contrats cruciaux.
Conscients du caractère sensible de cette mesure, alors que chacun des acteurs de l'audiovisuel public entretient son indépendance, ils indiquent que cette société-mère n'aurait pas de responsabilité éditoriale sur les programmes, mais serait chargée du suivi des collaborations engagées. Elle pourra en outre rendre des arbitrages ou mener des conciliations en la matière.
De même, pas question d'imaginer cette holding comme un "agent destiné à traquer les économies à réaliser", au regard des efforts déjà entrepris par chacune des entités. Delphine Ernotte, notamment, avait alerté sur la situation financière de France Télévisions en juillet dernier. La holding pourrait toutefois permettre un "pilotage plus efficace des projets transversaux", font valoir Quentin Bataillon et Jean-Jacques Gaultier, qui évoquent notamment l'intégration de l'expertise des équipes de France 24 au sein de Franceinfo.
Qualifiée de "priorité" par le rapport, la question du financement de l'audiovisuel public a été au cœur de la réflexion de la mission d'information, alors que les besoins s'élèvent à 3,8 milliards d'euros en 2023 et que la suppression de la redevance laisse le secteur circonspect. Pour le rapporteur et le président de la mission, une ressource affectée représenterait la "garantie de l'indépendance" du service public.
Ils plaident donc pour pérenniser l'affectation d'une fraction de la TVA à l'audiovisuel public, ce qui présenterait notamment comme avantage de permettre une modulation annuelle, lors de l'examen du budget au Parlement, selon les besoins du secteur. Cette évolution nécessiterait de modifier la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), avant le dépôt du projet de projet de loi de finances pour 2025. Pour cette raison, en parallèle de leur rapport, Jean-Jacques Gaultier et Quentin Bataillon ont déposé une proposition de loi organique destinée à porter la mesure.
En tout état de cause, le rapport recommande notamment de "mettre fin à l’exercice de contrainte budgétaire mené depuis 2018 afin de donner à l’audiovisuel public les moyens de mener les investissements nécessaires aux nouveaux défis qui l’attendent".
Axe stratégique exploré par le rapport : la défense des contenus du service public, alors que les comportements des consommateurs ont radicalement évolué. "Face au risque de voir le public délaisser ses programmes, le service public se trouve donc dans l’obligation de s’adapter aux usages et de promouvoir, parallèlement au modèle fédérateur classique de la télévision linéaire, l’accès par de nouveaux canaux", observent Quentin Bataillon et Jean-Paul Gaultier.
Sans aller jusqu'à promouvoir la création d'une plateforme unique, trop lourde et compliquée à concevoir, ils proposent de créer des connexions entre les plateformes, avec, a minima, l'élaboration d'un moteur de recherche commun et la mise en place d'un identifiant unique pour l'inscription sur les différentes plateformes.
Concernant les contenus en eux-mêmes, le rapporteur et le président de la mission appellent à aller plus loin dans l'innovation des programmes proposés, afin de séduire des publics différents. "La volonté de reconduire des succès passés ou de se conformer aux attentes projetées du public (notamment dans sa dimension démographique) ne devraient pas guider les propositions du service public", notent-ils. Par exemple, en remettant en cause les fictions de deuxième partie de soirée, notamment du genre policier.
Sur l'information, les députés plaident par exemple pour insister encore sur les efforts entrepris pour parler de sujets européens. Ils évoquent aussi la création d'une "newsroom" commune aux différentes rédactions (France Télévisions, Radio France, France 24) pour renforcer les coopérations. Avec, comme priorité, la constitution d'une cellule commune de "fact-checking" et de lutte contre contre les fake news.
Enfin, le rapport insiste sur la nécessité de maintenir l'accès gratuit au sport sur la TNT, malgré la multiplication par trois des montants des droits sportifs en 30 ans, et préconise de mieux intégrer le sport féminin et le parasport à la liste des "événements d'importance majeure" que les diffuseurs privés payants doivent nécessairement proposer à la retransmission aux chaînes gratuites à des conditions "raisonnables". En outre, les députés plaident pour le partage des retransmissions entre groupes privés gratuits et service public.