Nouvelle-Calédonie : la délicate publication d'un rapport parlementaire à la veille du sommet de l'Élysée

Actualité
par Maxence Kagni, le Mardi 1 juillet 2025 à 16:15, mis à jour le Mardi 1 juillet 2025 à 16:45

Les députés de la délégation aux Outre-mer ont voté, ce mardi 1er juillet, la publication d'un rapport sur "la situation en Nouvelle-Calédonie" dans une ambiance feutrée, mais parfois tendue. Le vote de ce rapport parlementaire intervient alors que le président de la République, Emmanuel Macron, réunira mercredi 2 juillet à Paris les acteurs politiques et économiques de Nouvelle-Calédonie pour un sommet destiné à sortir ce territoire français du Pacifique de l'impasse dans laquelle il se trouve.

C'est un rapport dont l'écriture témoigne des grandes tensions qui règnent autour de l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. La délégation aux Outre-mer de l'Assemblée nationale a voté, ce mardi 1er juillet, en faveur de la publication du rapport d'information sur la situation de l'archipel, signé conjointement par Philippe Gosselin (Droite républicaine), Nicolas Metzdorf (Ensemble pour la République), Davy Rimane (Gauche démocrate et républicaine) et Emmanuel Tjibaou (Gauche démocrate et républicaine).

"La Nouvelle-Calédonie est dans une situation sociale, sanitaire, économique extrêmement compliquée, pour ne pas dire autre chose", a expliqué mardi le président de la délégation aux Outre-mer, Davy Rimane. Le texte formule 15 recommandations* visant à éviter la "spirale infernale d'un profond dépérissement" que vit la Nouvelle-Calédonie. Ce mardi, lors d'une séance qui a duré près de 2h30, les députés n'ont cependant que peu parlé de ces préconisations, jugées utiles par les rapporteurs, mais "imparfaites". 

Précision d'importance, la rédaction du rapport avait été confiée aux deux députés de Nouvelle-Calédonie, le loyaliste Nicolas Metzdorf (EPR) et l'indépendantiste Emmanuel Tjibaou (GDR). Deux élus aux points de vue diamétralement opposés : "Ils ont travaillé tard dans la nuit pour faire les corrections et apporter un 'consensus final'", a expliqué le président de la délégation, Davy Rimane (GDR). Résultat, les membres de la délégation ont reçu une copie du rapport une heure seulement avant l'ouverture de la réunion, qui a débuté à 11 heures.

Un sommet à l'Elysée mercredi 2 juillet

Interpellé par Jean-Victor Castor (Gauche démocrate et républicaine), Davy Rimane a de plus expliqué que les questions "politiques" avaient été "laissées hors du rapport", afin d'éviter que celui-ci ne "vienne potentiellement jeter le trouble à la veille du début des discussions" qui doivent se tenir à l'Elysée demain, mercredi 2 juillet.

Le président de la République, Emmanuel Macron, a en effet convié les acteurs politiques de l'archipel à ce qui ressemble à une réunion de la dernière chance après l'échec du "conclave" de Deva, qui s'est tenu du 5 au 7 mai. Ce conclave devait, selon le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, permettre de "régler le dossier du corps électoral, la question du droit à l'autodétermination et de sortir de processus de décolonisation". L'Etat proposait notamment de créer un statut "de type inédit" pour la Nouvelle-Calédonie, avec notamment une "souveraineté avec la France", mais aussi "l'instauration d'une double nationalité". Un projet rejeté par les loyalistes, qui y voyaient, selon le rapport d'information, "une forme déguisée d'indépendance". 

La conclusion d'un accord est d'autant plus importante que des élections provinciales doivent se tenir avant novembre 2025 et que la question du dégel du corps électoral a été à l'origine des très violentes émeutes qui ont endeuillé la Nouvelle-Calédonie en mai 2024 . Des événements qui ont laissé ce territoire français du Pacifique exsangue, profondément divisé, sans jusque-là pouvoir sortir de l'impasse. "La situation est loin d'être simple", a affirmé mardi le président de la délégation aux Outre-mer, Davy Rimane : "Il va falloir que les différentes parties se transcendent pour arriver à un accord final." 

Ce mardi, les échanges entre Emmanuel Tjibaou et Nicolas Metzdorf, assis l'un à côté de l'autre, ont témoigné de l'ampleur du défi. Le premier affirmant que les Kanaks veulent "recouvrer ce qui [leur] appartient". Le second pointant du doigt une "contradiction" entre la grande "dépendance" de la Nouvelle-Calédonie vis-à-vis de la métropole et "la volonté [des indépendantistes] d'aller plus loin dans la souveraineté".

Dans ce contexte, difficile de trouver un point d'équilibre dans un rapport parlementaire : "Certaines considérations développées dans ce rapport ne sont parfois pas partagées par l’ensemble des auteurs", écrivent les députés dans leur texte. L'écriture à quatre mains n'a en tout cas convaincu Jean-Victor Castor (GDR), qui a dénoncé un rapport "déséquilibré" où les positions des indépendantistes sont "invisibles"

Je ne sais pas la pertinence du rapport, je me suis soumis à l'exercice. Emmanuel Tjibaou (député GDR de Nouvelle-Calédonie)

"Sur l'aspect orienté du rapport, je suis assez d'accord là-dessus", lui a répondu Emmanuel Tjibaou (GDR), pourtant co-signatare du texte. "Les aspects tendancieux, on a pu en corriger certains mais pas tous", a indiqué l'élu indépendantiste, expliquant avoir été avant tout mobilisé avec ses équipes sur les "discussions institutionnelles".

Une mise en cause qui a profondément agacé Nicolas Metzdorf (EPR) : "Si j'avais été seul à le rédiger, il n'aurait pas été rédigé ainsi", a déclaré le député loyaliste. Et d'ajouter : "Oui désolé mais ça ne reprend pas en tout et pour tout les doctrines de chaque camp (...) si maintenant l'analyse est de dire que le rapport est déséquilibré, je me demande ce que j'ai fait jusqu'ici avec vous pendant des heures entières".

 Si j'avais été seul à le rédiger, il n'aurait pas été rédigé ainsi. Nicolas Metzdorf (député EPR de Nouvelle-Calédonie)

Quelques minutes plus tôt, Nicolas Metzdorf et Emmanuel Tjibaou avaient pourtant salué le fait que ce travail parlementaire avait permis de créer une "dynamique d'échanges importante et riche". "Ce rapport a permis que les Calédoniens se parlent plus et se parlent mieux", avait également considéré le premier.

Les deux hommes semblent, en revanche, d'accord pour pousser l'Etat à se positionner clairement sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie : "Il y a le troisième partenaire, l'Etat, qui doit trancher ou en tout cas montrer une direction", a insisté Nicolas Metzdorf, qui espère que le sommet de l'Elysée permettra de ne "pas faire les choses à moitié". De son côté, Jean-Victor Castor (GDR) a mis en garde contre les "accords a minima sur des questions hautement politiques" qui "aboutissent toujours à un nouveau cycle de tensions, de violences".

Signe de la volonté de ne froisser aucun des partenaires présents autour de la table ce mercredi à l'Elysée, le président de la délégation aux Outre-mer, Davy Rimane (GDR), a mis au vote le rapport tout en précisant que celui-ci serait légèrement modifié, afin que la position des indépendantistes puissent mieux apparaître sur plusieurs points du texte.

Les recommandations du rapport

  • Activer la réserve sanitaire en Nouvelle-Calédonie puis, dans un second temps, d’élaborer une stratégie de soutien à l’ensemble de la filière sanitaire.
  • Engager une réflexion sur l’extension du dispositif de péréquation énergétique afin de lutter contre le coût exorbitant de l’énergie en Nouvelle-Calédonie.
  • Rendre publiques les primes accumulées au titre du risque "émeute" sur les vingt dernières années.
  • Donner une réponse claire aux requêtes conservatoires déposées par les assureurs afin d'accélérer les procédures d'indemnisation.
  • Repenser les dispositifs de réinsertion avec des dispositifs tels que le Service militaire adapté
  • Donner une place centrale à la Nouvelle-Calédonie dans les états-généraux de la réinsertion
  • Encourager et faciliter la poursuite des négociations ayant pour objectif de trouver un accord global.
  • Créer une instance permanente de suivi dans laquelle les différentes parties prenantes, y compris l’État, se rencontreraient de manière régulière afin de dessiner l’avancement des thématiques économiques et institutionnelles.
  • Simplifier l’organisation administrative de la Nouvelle-Calédonie et renforcer les pouvoirs des communes, notamment en matière de fiscalité et d’économie.
  • Organiser les prochaines élections dans les mairies, sous supervision républicaine renforcée avec, notamment, la présence d’observateurs parlementaires et des instances de l’ONU.
  • Identifier les raisons de la marginalisation des Kanak de l’ensemble des secteurs de la société ; engager la correction de ces dysfonctionnements.
  • Relancer et proposer une nouvelle ébauche d’une stratégie industrielle du pays dans l’intérêt de tous les Néo-Calédoniens dans le secteur nickel, en matière d’autosuffisance alimentaire, de biodiversité ainsi que dans les autres potentialités.
  • Lancer le plus rapidement possible les travaux de construction de la nouvelle prison de Ducos.
  • Poursuivre l’aide financière votée en loi de finances pour 2025 en la dissociant des réformes exigées.
  • Soutenir d’urgence un plan de relance économique exceptionnel de la Nouvelle-Calédonie adapté aux besoins de trésorerie du pays.