L'examen de la proposition de loi visant à "réformer le mode d’élection des membres du Conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille", qui a commencé dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, mardi 8 avril, est le théâtre de vives oppositions entre membres du socle gouvernemental. La gauche est, elle aussi, divisée sur le sujet.
"Modernisation de la démocratie locale" ou "tripatouillage électoral" ? Les députés ont entamé, mardi 8 avril, l'examen de la proposition de loi visant à "réformer le mode d’élection des membres du Conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille". Le texte, déposé par Sylvain Maillard (Ensemble pour la République) et trois autres députés parisiens du parti présidentiel, prévoit une réforme du scrutin municipal dans les trois plus grandes villes de France. Les débats du soir ont montré de vives divergences au sein du socle gouvernemental, composé de la coalition présidentielle et de la droite, mais aussi entre les groupes de gauche.
Actuellement, Paris, Lyon et Marseille disposent d'un régime électoral spécifique : les électeurs ne votent pas à l'échelle de la commune dans son ensemble, mais par arrondissement ou par secteur. Une partie des conseillers ainsi élus siègent ensuite au conseil municipal et élisent le maire.
L’opacité alimente la défiance tant le mode de scrutin est complexe et peu compris. Extrait de l'exposé des motifs
"Ce mode de scrutin spécifique est susceptible de conduire à une anomalie démocratique, en ce qu’un maire peut être élu avec le soutien d’une minorité de voix", explique Sylvain Maillard dans les exposés des motifs de la proposition de loi. Le ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, Patrick Mignola, voit un autre inconvénient à la législation actuelle : pour emporter la mairie de Paris, de Lyon ou de Marseille, il suffirait d'effectuer "un effort conséquent sur certains arrondissements" au détriment des autres. Au risque qu'un maire puisse être élu sans être majoritaire en nombre de voix sur l'ensemble de la commune.
Pour répondre à ces problématiques, Sylvain Maillard propose donc d'organiser deux scrutins le même jour à Paris, Lyon et Marseille : le premier doit servir à élire les conseillers d'arrondissements (ou de secteur). Le second permettra d'élire le conseil municipal, sur une circonscription unique. La proposition de loi abaisse aussi à 25% la prime majoritaire accordée à la liste arrivant en tête.
Le rapporteur du texte, Jean-Paul Matteï (Les Démocrates), a défendu la proposition de loi, qui "répond à une exigence démocratique fondamentale, celle de la clarté et de la lisibilité du suffrage universel dans nos grandes villes". Selon le député des Pyrénées-Atlantiques, la réforme "traduit une volonté commune d'appliquer ce principe essentiel, qui existe partout ailleurs en France, selon lequel un électeur égal une voix".
Des arguments rejetés en bloc par la Droite républicaine, soutien du gouvernement et donc théoriquement alliée d'Ensemble pour la République et des Démocrates. "Vous inventez une prime majoritaire à 25%", a déploré Olivier Marleix, qui rappelle que celle-ci est habituellement de 50%. Selon le député d'Eure-et-Loir, cette disposition, censée favoriser les oppositions, est "la seule façon [pour les soutiens de la réforme] d'obtenir une majorité pour ce texte en scellant un accord avec le Rassemblement national et la France insoumise".
"Bravo Monsieur Maillard pour cet accord politique totalement nouveau !", a lancé Olivier Marleix à l'intention de l'auteur de la loi. Plus tard dans la soirée, Charles Sitzenstuhl (Ensemble pour la République) a aussi fait part de ses réticences : "Nous allons ancrer, graver dans le marbre, l'instabilité des conseils municipaux à Paris, Lyon et Marseille." Un autre membre du bloc central, Sylvain Berrios (apparenté Horizons), a critiqué la réforme : "Un texte soutenu par la France insoumise et le Rassemblement national est par essence suspect."
Olivier Marleix, qui a dénoncé une "petite tambouille électorale", a également affirmé que cette réforme, selon des projections, ferait gagner 25 sièges aux élus "macronistes" au Conseil de Paris au détriment... des Républicains. "Bravo Monsieur Maillard, on voit à quel point ce projet est d'intérêt général !", a encore lancé le député.
"Oui, la simulation montre quand même que les macronistes piquent beaucoup de places [à la Droite républicaine]", a renchéri le Emmanuel Grégoire (Socialistes), lui-même candidat déclaré à la mairie de Paris en 2026. Farouchement opposé au texte, il estime que celui-ci va "condamner les arrondissements à une mort clinique". Une position qui rejoint celle de Léa Balage El Mariky (Ecologiste et Social), qui estime que la loi créera des "élus locaux de seconde zone".
Plusieurs députés de gauche ont vivement critiqué le texte, Sandrine Runel (Socialistes) dénonçant un "petit tripatouillage électoral parisien", Danielle Simonnet (Ecologiste et Social) parlant d'un "bidouillage" et Béatrice Bellay (Socialistes) évoquant des "petites magouilles".
A l'inverse, La France insoumise voit dans cette proposition de loi une "avancée démocratique". Lors d'un rappel au règlement, le député Antoine Léaument (LFI) a directement ciblé, sans le citer, Emmanuel Grégoire, "qui a d'ores et déjà un site de campagne de candidat à la mairie de Paris" : "Je considère qu'il y a peut-être un sujet qui est posé sur la question des conflits d'intérêts", a-t-il lancé, estimant qu'il serait "juste" que le député de Paris choisisse de se "déporter sur ce texte".
Emmanuel Grégoire a répondu plus tard dans la soirée, en affirmant que le mode de scrutin actuel était déjà "particulièrement protecteur des minorités et de l'opposition". Et de cibler directement La France insoumise : "D'ailleurs, il a permis à LFI d'avoir un conseiller de Paris, vous l'avez purgé depuis." Emmanuel Grégoire faisait ainsi référence à la députée de Paris Danielle Simonnet, insoumise historique, dont l'investiture n'a pas été renouvelée lors des législatives de l'été dernier par le mouvement de Jean-Luc Mélenchon.
La principale intéressée a, elle aussi, critiqué son ancienne famille politique, qui soutient cette proposition de loi qui abaisse à 25% la prime majoritaire : "Avec les macronistes, avec l'aide d'un autre groupe, la France insoumise, vous avez fait la prime au RN à travers ce texte de loi", a déploré Danielle Simonnet.
En fin de soirée, les députés ont adopté l'article 1er du texte, qui contient les principales mesures de la proposition de loi (116 pour, 41 contre). Ils n'ont, en revanche, pas adopté l'amendement du rapporteur Jean-Paul Matteï (Les Démocrates), qui proposait de sortir Lyon du dispositif. Le débat se poursuivra, ce mercredi après-midi, dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.