Pensions agricoles : l'Assemblée vote une revalorisation des petites retraites

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Vote dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, le 18 juin 2020
par Maxence Kagni, le Jeudi 18 juin 2020 à 09:20, mis à jour le Jeudi 18 juin 2020 à 16:38

Les députés ont adopté à l'unanimité, en deuxième lecture, une proposition de loi communiste qui fixe un niveau minimal de retraite égal à 85% du Smic pour les exploitants agricoles ayant une carrière complète.

Les députés ont adopté jeudi, en deuxième lecture, la proposition de loi communiste "visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles".  

Celle-ci prévoit que les chefs d'exploitations agricoles ayant une carrière complète bénéficieront d'un niveau minimal de retraite égal à 85% du Smic net agricole, au lieu de 75% aujourd'hui. Les bénéficiaires devront avoir "demandé l'ensemble de [leurs] droits à retraite".

Le texte a été étudié à l'occasion de la "niche" parlementaire du groupe Gauche démocrate et républicaine. Il a été adopté à l'unanimité. Mais les modifications apportées par la majorité et le gouvernement, qui réduisent la portée du texte, ont suscité les critiques de l'opposition.

Un gain moyen de 110 euros mensuels

La proposition de loi a pour but de saluer "l'engagement quotidien et sans relâche des travailleurs de la terre", a expliqué le rapporteur et président des députés communistes, André Chassaigne.

Le texte avait été adopté en première lecture sous le précédent quinquennat, en février 2017 : "Quarante mois plus tard, rien n'a changé pour les retraités agricoles, ou si peu", a déploré l'élu en préambule des débats.

Un retraité agricole sur trois ne peut toujours pas prétendre à une retraite supérieure à 350 euros par mois. André Chassaigne

"Le niveau des pensions agricoles n'est pas digne du travail de ces acteurs essentiels pour nos territoires", a reconnu jeudi le secrétaire d'Etat chargé des Retraites Laurent Pietraszewski.

Le gouvernement a soutenu le dispositif tel qu'amendé la semaine précédente en commission des affaires sociales : "En 2022, ce seront 200.000 retraités agricoles, en métropole et dans les Outre-mer, qui bénéficieront d'une hausse moyenne de 110 euros mensuels de leur pension", a déclaré le secrétaire d'Etat.

La question du financement du dispositif sera abordée lors de l'examen des lois budgétaires de fin d'année, a précisé Laurent Pietraszewski. 

"Bal des faux-culs"

Mais l'adoption de la proposition de loi n'a totalement satisfait ni les députés communistes, à l'initiative de proposition de loi, ni le reste de l'opposition : tous ont critiqué les modifications imposées par le gouvernement et la majorité.

En premier lieu, le texte ne s'appliquera pas dès 2021 mais "au plus tard le 1er janvier 2022". Sur ce point, André Chassaigne a directement mis en cause son collègue de La République en Marche, Olivier Damaisin : "Au bal des faux-culs, vous n'auriez pas froid aux pieds."

Ce report de l'entrée en vigueur du texte a également été dénoncé par le député UDI Thierry Benoit, par Bénédicte Taurine (La France insoumise), ou encore par Jeanine Dubié (Libertés et Territoires).

On veut gagner du temps, sans doute pour gagner de l'argent. C'est ce qui m'ennuie. Thierry Benoit

Une somme plafond

L'opposition a, par ailleurs, fait bloc contre le système "d'écrêtement" inscrit dans le texte. Tous les agriculteurs ne pourront pas bénéficier dans les mêmes conditions de la garantie de pension minimale à 85% du Smic. 

Tout d'abord, certains agriculteurs retraités touchent plusieurs pensions : l'une relative à leur carrière agricole, l'autre relative, par exemple, à des travaux de manutention à l'usine.

Le système d'écrêtement vise à prendre en compte cette réalité : il fixe un plafond, dont le montant en euros sera déterminé par décret.

La somme des différentes pensions, à laquelle s'ajoute le complément dont il est question dans cette proposition de loi, ne pourra pas dépasser ce plafond.

"Il s'agit d'assurer une équité entre assurés monopensionnés et polypensionnés", selon Olivier Damaisin (La République en Marche). "L'écrêtement vise d'une part à assurer la soutenabilité financière du dispositif, et d'autre part à prendre en compte les polypensionnés disposant d'autres ressources dont les revenus du patrimoine en particulier", a ajouté le député "Agir ensemble" Paul Christophe.

"Est-ce que ceux qui bénéficient déjà d'une retraite qui au total fait déjà plus de 85% du Smic doivent être concernés par [cette] proposition de loi ? La réponse est non puisqu'ils ont déjà une telle somme", a quant à lui réagi Laurent Pietraszewski.

L'opposition dénonce une "mesquinerie"

La proposition de loi, telle que rédigée par les députés communistes, devait toucher 290.000 personnes. Avec la réécriture de la majorité, ce chiffre chuterait à 196.000, selon André Chassaigne.

"Entendre la majorité nous expliquer qu'il faudrait exclure 100.000 bénéficiaires de la retraite minimale au nom de la justice sociale ne peut que me laisser pantois", a commenté le président des députés communistes.

André Chassaigne a été soutenu par Arnaud Viala (Les Républicains), qui a évoqué sa "peine" face à un texte "vidé de sa substance". Le député LR a jugé "inentendable" les arguments de la majorité, tandis que son collègue Marc Le Fur a parlé d'une "abomination" et d'une "mesquinerie".

La retraite est un droit, elle n'est pas un différentiel entre les autres revenus.Marc Le Fur

Le député UDI, Thierry Benoit, a lui aussi fait part de son "étonnement" face à l'instauration du système d'écrêtement. L'élu a dressé un parallèle entre cette impossibilité de cumul chez les agriculteurs et la situation de Pierre Moscovici, nouveau premier président de la Cour des comptes, qui, lui, "s'interroge et ne sait pas s'il va cumuler sa rémunération avec sa retraite". 

Jeanine Dubié (Libertés et Territoires) a également mis en cause le système d'écrêtement, qui "transforme un revenu de remplacement décent en un dispositif d'aide sociale qui sera attribué de façon différentielle en fonction de revenus de toutes les pensions".

"Si les agriculteurs ont d'autres activités, c'est tout simplement parce qu'ils ne peuvent pas vivre du fruit du travail de la terre", a abondé Annie Chapelier (Ecologie Démocratie Solidarité), favorable à la proposition de loi, mais très critique envers l'écrêtement. 

Rappelant qu'"il y a 3,8 millions de retraités agricoles avec une moyenne de pension de 740 euros", l'élue a exhorté la majorité à soutenir le texte des députés communistes, qui ne représente qu'une "goutte d'eau dans l'océan de la misère agricole".

Le député MoDem, Nicolas Turquois, leur a vivement répondu, accusant notamment l'opposition de "répéter des chiffres qui sont faux".

A l'issue des débats, André Chassaigne a remercié ses collègues pour l'adoption de son texte et a affirmé que le Sénat, qui a déjà inscrit la proposition de loi à son ordre du jour, pourrait la voter avant la fin du mois de juin.