Emmanuel Macron et Marine Le Pen affirment présenter un programme chiffré et équilibré aux Français. Mais le déficit public n'est guère une priorité pour les deux candidats, alors que le contexte macroéconomique est encore marqué par les séquelles de la crise sanitaire et les répercussions de la guerre en Ukraine. Que coûtent et que rapportent leurs mesures ? Éléments de réponse.
Si le sérieux budgétaire est un argument de campagne, alors les deux candidats qualifiés pour le second tour de l’élection présidentielle ont clairement choisi de ne pas le mettre en avant. Dans des proportions certes différentes, Emmanuel Macron comme Marine Le Pen ont décidé de sortir le chéquier pour faire campagne, proposant de nouvelles baisses d’impôt et de taxes, des hausses de revenu voire de nouveaux droits.
Pour financer ces dépenses nouvelles, chacun envisage de faire autant d’économies, en jouant sur différents leviers. Avec in fine des équations plutôt optimistes, alors que les tensions géopolitiques, les pénuries de matières premières et la flambée des prix de l’énergie rendent toute prévision économique à moyen terme délicate.
Si l’on se fie aux calculs de chacun des prétendants à l’Élysée, Emmanuel Macron propose d’engager chaque année 50 milliards d’euros de dépenses nouvelles et Marine Le Pen 68,3 milliards d’euros.
Le président-candidat affiche cinq chantiers : 10 milliards d’euros dans la transition écologique, 15 milliards dans les baisses d’impôts, à moitié pour les ménages (baisse des droits de succession, suppression de la redevance audiovisuelle, moins de charges pour les indépendants), à moitié pour les entreprises (baisse des impôts de production), 12 milliards pour l’éducation et la jeunesse, 8 milliards dans la santé, l’autonomie et le handicap (versement automatique des aides), et enfin 5 milliards dans la famille et l’enfance.
Mais à peine présenté, le programme d’Emmanuel Macron s’est enrichi de plusieurs propositions. Par exemple, le dégel du point d’indice de la fonction publique à l’été, annoncé par le gouvernement, pourrait coûter plusieurs milliards dès 2022 (1% de hausse représente 2 milliards d’euros par an). La réindexation des pensions de retraite sur l’inflation (+4%), là aussi prévue dès l'été par Emmanuel Macron - et non prise en compte dans les propositions initiales - pourrait alourdir l’addition.
Marine Le Pen a présenté un document de chiffrage de son programme à la fin du mois de mars. La candidate RN se veut généreuse pour les retraités, en leur consacrant 17,1 milliards d’euros (revalorisation des pensions, hausse de la retraite minimale, retour partiel à 60 ans pour les carrières longues, restauration de la demi-part des veufs et veuves). La création d’un chèque apprenti (4 milliards), des baisses d’impôts pour les entreprises (10,7 milliards), la revalorisation du salaire des enseignants (4 milliards), la hausse du budget de la défense (2,8 milliards) ou encore la baisse de la TVA sur les produits énergétiques (12 milliards) font monter en flèche les sommes engagées.
De manière contre-intuitive, Marine Le Pen a sorti ses “mesures d’urgence de pouvoir d’achat” de cette enveloppe de près de 70 milliards d’euros. Ainsi, la suppression des hausses de la taxe carbone qui ont eu lieu entre 2015 et 2018, comme la suppression de la TVA sur “un panier de 100 produits” sont décomptés à part, pour un montant annuel de 12 à 14 milliards d’euros selon les calculs de son équipe. La candidate du Rassemblement national compte en fait sur deux nouveaux impôts, l'un sur les énergéticiens et l'autre sur les rachats d'action des grands groupes, pour les financer presque intégralement.
De plus, si son programme évoque la création d'un fonds souverain français, abondé par l'épargne des particuliers, celui-ci doit servir à financer plusieurs dizaine de milliards d'euros d'investissements, classés eux aussi hors budget. Les détenteurs de ces 500 milliards d'euros ainsi mobilisés seraient pourtant rémunérés à hauteur de 2 milliards d'euros par an, un coût non négligeable pour les finances publiques.
Côté recettes, tant le président sortant que sa concurrente affichent des montants qui correspondent aux nouvelles dépenses. Emmanuel Macron compte avant tout sur la réduction des coûts de fonctionnement de l’État, de la Sécurité sociale et des collectivités pour 20 milliards d’euros par an. La réforme des retraites et le passage à terme à 65 ans ferait économiser 9 autres milliards. Des réformes de “modernisation” de l’administration conjuguées à la lutte contre la fraude et l’optimisation fiscale doivent faire rentrer 15 milliards supplémentaires. Enfin, s’il est réélu, le candidat de La République en marche compte sur un surcroît d’activité économique - donc de recettes fiscales - pour boucler son budget.
Sur le papier, Marine Le Pen propose des économies partageant la même philosophie, à une exception près : ses mesures anti-immigration, qui rapporteraient 16 milliards d’euros selon son camp. Pour le reste, la lutte contre la fraude fiscale, sociale ou douanière doit ajouter 15 milliards par an aux comptes publics, et les agences de l’État sont invitées à raboter leur budget de 10%, soit un gain espéré de 8 milliards d'euros. La candidate semble aussi miser sur la méthode Coué une fois élue au sommet de l’État :
Je suis persuadé que ce que l’on va découvrir comme source d’économies au pouvoir sera colossal. Je ne l’ai pas chiffré : ce sera la bonne nouvelle lors de notre arrivée au pouvoir. MARINE LE PEN lors du chiffrage de son programme, le 23 mars 2022
Les projections des deux camps pécheraient cependant par optimisme. L’Institut Montaigne, un think-tank d’obédience libérale, a refait les calculs : au total, le projet d’Emmanuel Macron serait déficitaire de - 44,5 milliards d’euros, tandis que celui de Marine Le Pen le serait de - 101,8 milliards d’euros.
En cause, des économies beaucoup trop théoriques pour le président actuel, à travers son vœu de modernisation de l’appareil public. Du côté de Marine Le Pen, les dépenses seraient largement sous-évaluées sur les retraites, mais aussi sur le prêt à taux zéro pour favoriser l’accès à la propriété ou l’exonération d’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans. De même, son souhait de reprendre 5 milliards d’euros versés chaque année par la France à l’Union européenne (sur un total de 26,4 milliards en 2022) interroge les économistes comme les juristes : quid des versements effectués en retour à la France, en particulier en matière agricole ?
Ces écarts de prévisions montrent que le bouclage budgétaire d’un programme présidentiel est avant tout un exercice d’équilibriste, plus ou moins sincère. En septembre 2021, le président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) Xavier Ragot annonçait renoncer à évaluer les programmes des candidats, un travail qui avait pourtant était réalisé en 2017. L'économiste pointait alors les limites des évaluations a priori face à “des déclarations pas toujours évaluables car trop floues”.
Un choix qu'il ne regrette pas du tout aujourd'hui : "On voit bien à quel point c'est compliqué de réaliser un travail précis : regardez comment les choses évoluent en continu. Par exemple, sur la retraite, les modalités ne cessent de bouger", constate-t-il, en écho aux propos d'Emmanuel Macron sur une possible clause de revoyure de sa réforme, voire le recours à un référendum. Aujourd'hui, "avec le Covid, plus la guerre en Ukraine et une entrée tardive en campagne du président sortant, notre contribution intelligente au débat ne pouvait être un tel chiffrage".
De plus, le chercheur note que la gestion de la crise Covid, consistant en France et ailleurs à soutenir vivement l’économie au prix d’un accroissement de la dette, a remis la dépense publique dans l'ère du temps. Dès lors, l'équilibre budgétaire n'est plus la priorité des candidats et de leurs équipes :
Avant, les réformes étaient calculées à la centaine de millions d'euros. Là, on déplace des masses considérables. j'ai l'impression que les candidats mettent des thèmes en avant. Pour le financement, on verra après... Xavier ragot, président de l'OFCE
De fait, les mots “dettes” et “déficits” sont quasiment absents des programmes des deux concurrents. Devant la presse, Emmanuel Macron a dit souhaiter “commencer à rembourser la dette en 2026” et repasser sous les 3% de déficit en 2027. Marine Le Pen a dit prévoir "de faire passer le déficit budgétaire en dessous de 3% du PIB dès 2026" dans un entretien à Acteurs publics.
En 2017, le chef de l'État fraîchement élu voulait réduire le déficit à presque zéro, maîtriser la dette et réduire la dépense publique. Cinq ans et une pandémie mondiale plus tard, c’est l’inverse qui s’est produit, avec un endettement qui s’est accru de 600 milliards d’euros. Un cas d'école exemplaire, qui démontre que le chiffrage de la politique du prochain locataire de l’Élysée ne pourra vraiment se faire... qu’en 2027.