Présidentielle : est-il possible de gouverner par référendum, comme le propose Marine Le Pen ?

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Une personne vote
Une personne en train de voter (Fiora Garenzi / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)
par Raphaël Marchal, le Mercredi 13 avril 2022 à 16:17, mis à jour le Jeudi 14 avril 2022 à 10:13

La Constitution fixe un cadre précis concernant le recours au référendum. Pour mettre en œuvre son programme, si elle est élue à l'Élysée, la candidate du Rassemblement national veut consulter directement les Français sur plusieurs sujets, notamment l'immigration. Tour d'horizon des règles d'organisation d'un référendum. 

"Le référendum constitue un puissant outil de pacification du débat politique." C'est ce qu'a déclaré Marine Le Pen, mardi 12 avril, en affirmant vouloir "vivifier" les institutions de la Vème République par le recours massif au référendum, si elle venait à être élue Présidente. Dans son programme, la candidate Rassemblement national préconise de passer par voie référendaire pour agir dans plusieurs domaines. Elle veut, par exemple, consulter directement les Français pour réformer la Constitution de façon à pouvoir appliquer sa politique en matière d'immigration et mettre en oeuvre une "priorité nationale" pour l'accès au logement social et à l'emploi. Une "révolution référendaire", en somme, comme elle l'a avancé au cours de sa conférence de presse dans le Cher.

En plaidant pour ce qu'elle appelle une "révolution référendaire", Marine Le Pen compte s'exonérer des règles actuellement fixées par la Constitution, arguant que le choix du peuple, souverain, ne saurait être remis en cause. Cependant, la Constitution de la Vème République fixe un cadre précis pour l'utilisation du référendum. En cas de victoire le 24 avril, la candidate d'extrême droite pourrait-elle utiliser cet outil comme elle l'entend ?

Deux voies pour organiser un référendum 

La loi fondamentale ne prévoit en effet que deux possibilités pour recourir au référendum. L'article 11 permet au président de la République de saisir directement le peuple, sans passer par la procédure législative classique. Toutefois, le texte prévoit des garde-fous : le référendum ne peut porter que sur "l'organisation des pouvoirs publics", la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation ou sur la ratification d'un traité ayant une incidence sur les institutions. Le recours à l'article 11 ne semble donc pas convenir pour consulter les Français, par exemple, en matière d'immigration et de sécurité. 

Ce qui n'empêche Marine Le Pen de citer cet article dans son "projet de loi référendaire citoyenneté identité immigration". "Ce qui constituerait un coup d’État constitutionnel", estime le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, contacté par LCP. La proposition de Marine Le Pen risque en tout cas de se heurter au fait que le Conseil constitutionnel est compétent pour contrôler les modalités d'organisation d'un référendum en amont de celui-ci.

Une deuxième voie référendaire est prévue par l'article 89 de la Constitution. Ce dernier permet au président de soumettre à référendum une révision de la Constitution, sans limite thématique particulière. Seule la forme républicaine du gouvernement est strictement garantie. En revanche, l'article 89 implique que ce projet de révision passe d'abord par l'Assemblée nationale et par le Sénat, et qu'il soit adopté dans les mêmes termes par les deux Chambres. Or ce processus est souvent long et incertain. 

"Un préalable nécessaire qui ne serait pas facile à atteindre", souligne Jean-Philippe Derosier, rappelant que François Hollande et Emmanuel Macron, qui s'y sont essayés sur des sujets différents, ne sont pas parvenus à faire aboutir un accord. Marine Le Pen a par ailleurs, indiqué qu'elle souhaitait modifier la Constitution pour permettre l'organisation de "référendums d’initiative populaire sur tous les sujets", proposés par au moins 500 000 électeurs. Mais en l'état actuel du paysage politique, obtenir l'accord des deux Chambres sur une telle évolution apparaît impossible. 

Malgré sa volonté affichée, Marine Le Pen rencontrerait donc des difficultés pour enjamber le Parlement et contourner le Conseil constitutionnel en voulant gouverner par référendum. A la question pourquoi limiter ainsi la possibilité de consulter le peuple, si celui-ci est souverain ? Jean-Philippe Derosier répond : "La Constitution préserve contre les manipulations du peuple, les dérives populistesC'est le jeu des contre-pouvoirs : aboutir à un accord entre plusieurs institutions pour éviter la dictature d'une seule."

L'Union européenne, un enjeu central du second tour

Par ailleurs, si contrairement à ce qui était le cas par le passé, Marine Le Pen n'évoque plus une sortie de l'Union européenne, son programme comporte des éléments qui remettent en cause les relations avec les partenaires européens. Parmi eux, la promesse de diminuer la contribution budgétaire de la France, ou encore d'organiser un référendum pour inscrire la "supériorité du droit constitutionnel sur le droit européen". 

L'objectif étant de profiter d'une Europe "à la carte", en disposant des décisions favorables à la France et en rejetant celles qui ne lui conviennent pas. "Elle explique qu’elle ne paiera pas la facture du club, qu’elle en changera les règles toute seule. […] Cela veut dire qu’elle veut sortir [de l'UE] mais qu’elle n’ose plus le dire", a déclaré Emmanuel Macron, mardi 12 avril.

Au-delà des embûches déjà évoquées pour organiser un tel référendum, faire primer le droit national sur le droit européen exposerait la France à des sanctions. Ce qui obligerait à revenir sur la révision constitutionnelle promise par la candidate du Rassemblement national ou conduirait la France à sortir de l'Union européenne.