Adopté à l'unanimité la semaine dernière, le rapport de la commission d'enquête sur "les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance" est dévoilé lors d'une conférence de presse, ce mardi 8 avril, à l'Assemblée nationale. Son auteure, Isabelle Santiago (Socialistes), qui décrit une aide sociale à l'enfance (ASE) "dans le gouffre", formule 92 recommandations et plaide pour "changer de paradigme", afin de refonder ce secteur dont dépendent près de 400 000 enfants et jeunes majeurs souvent en situation de grande vulnérabilité.
C'est à "l’effondrement du système de la protection de l’enfance", selon les termes d'Isabelle Santiago (Socialistes), que la commission d'enquête dont elle est la rapporteure, et présidée par Laure Miller (Ensemble pour la République), s'est trouvée confrontée lors de ses travaux. Un état de fait d'autant plus dommageable pour les 400 000 enfants et jeunes majeurs qui en relèvent, et auquel les députées jugent urgent de remédier. Pour ce faire, Isabelle Santiago formule 92 propositions dans un rapport rendu public ce mardi.
Face à "l'impensé" auquel l'enfance fait face en termes de réflexion étatique et de politiques publiques qui en découlent, Isabelle Santiago propose tout d'abord de "créer un code de l’enfance, comportant un chapitre spécifiquement consacré à la protection de l’enfance", ainsi qu'un "manuel de référence".
La députée du Val-de-Marne souhaite également qu'un ministre de plein exercice chargé de l’enfance puisse être nommé, et "lui adjoindre le concours d’un conseil scientifique". Actuellement, la ministre déléguée chargée de l'Enfance, de la Jeunesse et des Familles, Sarah El Haïry, dépend du ministère du travail dont Catherine Vautrin est la ministre de tutelle.
Dans cette logique de priorisation gouvernementale, le rapport préconise, en outre, la création d'"un comité de pilotage composé de représentants de l’Etat, des départements et des associations", qui participerait à "relancer immédiatement une stratégie interministérielle de protection de l’enfance et d’en assurer le suivi et l’évaluation".
La protection de l’enfance est traversée par une crise profonde de son écosystème, hier à bout de souffle, aujourd’hui dans le gouffre, révélatrice de l’impensé de cette politique. Rapport de la commission d'enquête
Estimant que les enfants sont de fait livrés à eux-mêmes à défaut d'une réelle prise en charge et d'un contrôle suffisant des structures qui les accueillent, Isabelle Santiago considère également nécessaire d'augmenter la fréquence de ces procédures de contrôle, diligentées par les départements et les préfectures, à raison d’au moins une inspection planifiée, ou inopinée, tous les deux ans. De même, et afin d'"en finir avec l’opacité", elle souhaite instaurer un droit de visite parlementaire pour les structures de l’aide sociale à l'enfance (ASE), à l'image de ce qui est déjà en vigueur pour les lieux de privation de liberté.
Le rapport préconise aussi de créer une autorité de contrôle indépendante de la protection de l’enfance intégrant des représentants des enfants placés, et pouvant faire l’objet d’une saisine par les enfants eux-mêmes.
Face au manque de moyens endémique auquel se heurte la protection de l'enfance, la rapporteure plaide pour la mise en place d'une "loi de programmation pluriannuelle quinquennale", assortie d'un fonds pluriannuel, afin de planifier efficacement l’allocation des moyens financiers au vu des besoins réels en matière de protection de l’enfance.
L’État, depuis plus d'un siècle, ne s'est jamais occupé des enfants. Historiquement il a délégué à la charité, puis aux associations. Isabelle Santiago (Socialistes)
Par ailleurs, Isabelle Santiago plaide pour que "la responsabilité de l’Etat et sa passivité face à l’institutionnalisation d’un système de négligence publique" soit reconnue, et que soit créée en conséquence "une commission de réparation" pour les enfants de l’ASE ayant subi des maltraitances, trop souvent à l'origine de nombreux psycho-traumas.
Estimant que les pouponnières représentent à elles seules le symptôme d'une politique à la dérive, le rapport incite à progressivement marginaliser le recours à ces structures d'accueil collectives pour les enfants de 0 à 3 ans. Il s'agirait ainsi, "à l’horizon 2030", de "généraliser les accueils de type familial" pour les touts-petits, et de "n’autoriser leur placement en accueil collectif qu’à titre exceptionnel".
Pour l'heure, le rapport préconise que les taux d’encadrement dans ces pouponnières s’approchent d'"un adulte pour trois enfants le jour", d'"un pour cinq la nuit", et d'interdire les accueils en sureffectif. Lors d'un échange avec LCP, Isabelle Santiago avait déploré, dans certaines de ces structures, des ratios actuels de l'ordre d'un encadrant pour trente bébés lors des gardes de nuit.
Le rapport incite également à faciliter les procédures d’adoption, en particulier pour les enfants de 0 à 5 ans. Car, selon la députée socialiste, l'accueil en foyer collectif, qui s'avère être la norme en protection de l'enfance, n'est absolument pas adapté à "des enfants qui vont très mal, qui ne peuvent pas grandir correctement". Elle préconise aussi de "permettre le remboursement sans conditions des consultations de psychologues, psychomotriciens et ergothérapeutes de ville (...) sans limite d’un nombre prédéfini de consultations annuelles". La rapporteure souhaite, par ailleurs, instaurer une formation spécialisée pour les professionnels de la protection de l’enfance, et systématiser la désignation d’un avocat pour les procédures d’assistance éducative.
Un "changement de paradigme", auquel la ministre Catherine Vautrin s'était dite favorable lors de son audition, le 19 février dernier. Charge au gouvernement désormais, de mettre en œuvre tout ou partie des préconisations du rapport d'Isabelle Santiago, approuvé à l'unanimité par les députés de la commission d'enquête.