La commission d'enquête "sur les défaillances des politiques publiques de prise en charge de la santé mentale et du handicap", qui présentera ses conclusions ce mercredi 17 décembre, documente notamment une hausse "spectaculaire" des tentatives de suicide chez les jeunes filles et critique l'efficacité du dispositif "Mon soutien psy".
Selon Sébastien Saint-Pasteur, "l’action des pouvoirs publics ne semble pas à la hauteur" d'"une catastrophe annoncée". Le député socialiste présentera demain, mercredi 17 décembre, les conclusions de la commission d'enquête "sur les défaillances des politiques publiques de prise en charge de la santé mentale et du handicap et les coûts de ces défaillances pour la société".
Son rapport, long de près de 300 pages, que LCP a pu consulter, met en garde contre "l'état alarmant" de la santé mentale en France et alerte vis-à-vis d'une hausse brutale des pathologies mentales chez les jeunes. Le député, qui égratine le dispositif "Mon soutien psy", souhaite instaurer une "vraie culture de l'étude d'impact" afin d'évaluer des politiques publiques qui se "superposent sans cohérence".
Les familles font face à des délais trop longs, des démarches complexes et des parcours discontinus. Sébastien Saint-Pasteur (rapporteur de la commission d'enquête)
"Ce rapport n'a pas de volonté polémique", souligne Sébastien Saint-Pasteur auprès de LCP. "Les études et enquêtes sanitaires montrent un état alarmant de la santé mentale, notamment des jeunes", constate-t-il dès les premières pages du rapport.
Sébastien Saint-Pasteur dévoile des chiffres inquiétants :
Le taux brut de décès par suicide avant 24 ans a progressé de 18 % entre 2019 et 2022. Extrait du rapport
Le député écrit également que "les tentatives de suicide connaissent une hausse 'spectaculaire' chez les jeunes filles". "Les causes sont multifactorielles", explique-t-il à LCP, citant pêle-mêle l'impact de la pandémie de Covid-19, "l'exposition aux réseaux sociaux", mais aussi une "projection dans l'avenir qui n'est pas particulièrement radieuse si l'on regarde l'actualité".
Les personnes âgées sont elles aussi "particulièrement exposées aux troubles de la santé mentale", le taux de suicide des 85-94 ans étant trois fois plus important que celui de la population générale. Cette réalité est néanmoins "invisibilisée", regrette Sébastien Saint-Pasteur, qui s'interroge sur l'existence d'un "tabou" sur la question.
La santé mentale a été déclarée Grande cause nationale en 2025. Elle le sera encore en 2026. "Certains professionnels ne manquent pas de railler la faiblesse de sa mise en œuvre en la renommant 'la grande causerie nationale'", note Sébastien Saint-Pasteur, qui dénonce "des déclarations d’intentions non suivies d’effet". Selon lui, "l’accès aux soins est rendu très difficile par le manque de soignants qui est particulièrement marqué en psychiatrie".
Pointant des "défaillances criantes" dans la prise en charge de la santé mentale en France, l'élu socialiste met en cause une "hausse des besoins" qui fait face à une "relative stabilité de l'offre de prise en charge", ce qui "aboutit parfois à des 'situations de médecine de guerre'". Ainsi, les capacités d’hospitalisation à temps complet sont en baisse de 12% en dix ans, alors que les places d'hospitalisation à temps partiel "affichent une maigre progression" (+3,4% en dix ans).
Pour l’heure, force est de constater qu’aucune avancée significative ne résulte de cette 'grande cause'. Extrait du rapport
Le rapport pointe aussi une "relative stabilité" de la densité de psychiatres en France, alors que les troubles de la santé mentale connaissent une "hausse brutale". Le nombre de psychologues, lui, "reste insuffisant" dans certains secteurs, comme "les structures du secteur public". Des chiffres qui peuvent s'expliquer par des conditions de travail difficiles, un manque d'attractivité et de reconnaissance et une rémunération jugée trop faible.
Le rapporteur de la commission d'enquête - créée à la demande du groupe Socialistes de l'Assemblée nationale - dénonce, par ailleurs, le "mauvais ciblage" du dispositif "Mon soutien psy", qui permet le remboursement de douze séances d'accompagnement psychologique par an. S'il a abouti à la prise en charge de 586 858 patients depuis 2022, au cours de 3,1 millions de séances, "Mon soutien psy" a plusieurs failles. "On ne peut pas mesurer l'efficacité d'un dispositif à un nombre de séances", indique Sébastien Saint-Pasteur à LCP.
"Il faut vérifier que ce sont les bonnes personnes qui utilisent le dispositif, mais aussi voir s'il existe une continuité dans le suivi, si la coordination avec les psychiatres est effective...", analyse l'élu. Or le député précise qu'un patient effectue en moyenne 4,7 séances et que le public qui a le plus recours à "Mon soutien psy" est plutôt "un public privilégié", ce qui pose problème puisque "la pauvreté est un facteur aggravant".
Le déploiement de ce dispositif illustre à la fois la volonté d’améliorer le premier recours et la difficulté à inscrire cette mesure dans une stratégie cohérente de parcours. Extrait du rapport
Par ailleurs, seuls "27,6 % de l’ensemble des psychologues libéraux" participent à "Mon soutien psy" et ils ne consacrent qu'une "part très minoritaire" de leur activité à ce type de consultations. Lors de leur audition, les représentants du syndicat national des psychologues ont d'ailleurs dénoncé un "dispositif de saupoudrage et de communication, destiné à prétendre qu’on s’occupe de la santé mentale en France".
Selon le rapport consulté par LCP, l'impact financier de la dégration de la santé mentale est conséquent :
La santé mentale est la deuxième catégorie de pathologie la plus coûteuse pour l'Assurance maladie, devant les cancers (27 milliards d'euros) et juste après les maladies cardio-vasculaires (29 milliards d'euros). Une étude chiffre même à 163 milliards d'euros les coûts directs et indirects des maladies psychiatriques, en tenant en compte des dépenses médicales, médico-sociales, de la perte de productivité et de la perte de qualité de vie.
Sébastien Saint-Pasteur propose plusieurs mesures visant à combattre ce phénomène. L'élu, qui prône une "approche des coûts évités", estime que "l'Etat dépense mal parfois". Le député socialiste recommande notamment de créer une "agence nationale de l'étude d'impact" : celle-ci devra en premier lieu créer une "task force dédiée à une évolution profonde et systémique de la question de la santé mentale".
Il préconise aussi d'"investir dans la prévention, notamment à la maternité, à l'école et auprès des personnes âgées", mais aussi de déployer des dispositifs comme le 3114, le numéro national de prévention du suicide, ou encore Nightline, qui a "mis en place un service d’écoute nocturne par téléphone et tchat afin de permettre aux jeunes de se confier librement". L'application de vie scolaire Pronote pourrait quant à elle contenir une rubrique "santé mentale" offrant l'accès à une plateforme d'assistance.
Sébastien Saint-Pasteur, qui estime que "rien n'a avancé" ces dernières années, confie à LCP être "sceptique" quant à la "capacité du gouvernement à porter" des politiques sur le sujet de la santé mentale. Il espère tout de même profiter de l'année 2026, et de la reconduction de la santé mentale comme Grande cause nationale, pour pousser ses recommandations.
Handicap : "Refonder l'école inclusive"
Le rapport de Sébastien Saint-Pasteur porte aussi sur la situation du handicap en France, qu'il juge également préoccupante. "La santé mentale et le handicap ont en commun de subir une très forte augmentation des besoins de la population en même temps qu’une dégradation des conditions de prise en charge", souligne le député socialiste. Et de dénoncer "l’écart immense entre la promesse républicaine d’inclusion dans la vie ordinaire et la réalité".
De plus en plus de personnes se tournent vers les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) pour "solliciter un droit", un nombre croissant d'enfants bénéficient du droit d'être accompagnés par un accompagnant d'élèves en situation de handicap (AESH) et le nombre de personnes de plus de 50 ans en situation de handicap augmente.
Or, face à cette situatiuon "les capacités de prise en charge ne suivent pas, ou très difficilement" alors que "les moyens humains et financiers mis en œuvre sont pourtant considérables". L'élu estime notamment nécessaire de "refonder l'école inclusive" et de faciliter l'emploi des personnes en situation de handicap.
Les principales recommandations du rapport :
- mettre en place un système d’information unifié permettant de suivre les parcours individuels de prise en charge de la santé mentale et du handicap dans la durée ;
- introduire la notion d'"aménagements raisonnables" à l'école, sans intervention préalable de la MDPH ;
- créer un statut pour les AESH ;
- établir une liste de handicaps pour lesquels le dossier MDPH ne se fait qu'une fois dans la vie ;
- autoriser le cumul emploi-allocation aux adultes handicapés (AAH) sans plafond horaire ;
- refondre les modalités de financement de la prestation de compensation du handicap (PCH).