Labellisation des médias : deux députés proposent un "nutri-score" de l'information

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Photo d'illustration.
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par Maxence Kagni, le Vendredi 12 décembre 2025 à 17:09, mis à jour le Vendredi 12 décembre 2025 à 17:19

Dans leur rapport d'information sur "l'irruption de l'intelligence artificielle dans les ingérences étrangères", les députés Alain David (Socialistes) et Laetitia Saint-Paul (Horizons) proposent des pistes pour protéger la France, devenue, selon eux, une véritable "proie".

Faut-il labelliser les médias pour lutter contre la désinformation ? C'est ce que pensent Laetitia Saint-Paul (Horizons) et Alain David (Socialistes). Les deux députés ont rendu, mercredi 3 décembre, les conclusions de la mission d'information "sur l’irruption de l’intelligence artificielle dans les ingérences étrangères". Parmi les dix-huit propositions de leur rapport, ces élus suggèrent d'"envisager une labellisation informationnelle selon un modèle de nutri-score". 

Une mesure qui se rapproche de la récente prise de position d'Emmanuel Macron, qui a affirmé vouloir soutenir de telles initiatives de labellisation des médias "par des professionnels". Des propos réitérés ce mercredi 10 décembre, le président de la République jugeant nécessaire de "redonner une place centrale" dans la vérification de l'information "à ceux dont c'est le travail, c'est-à-dire les journalistes".

Lutter contre les ingérences étrangères

Selon Laetitia Saint-Paul et Alain David, "l'irruption de l'intelligence artificielle dans les opérations d'ingérence étrangère constitue une révolution" : elle permet "un saut de productivité inédit, une explosion simultanée de la qualité et de la quantité des contenus créés, ainsi qu’un véritable effondrement du prix de production". Devant la commission des affaires étrangères, Alain David a notamment constaté que l'Europe, dont la "dépendance technologique est une faille stratégique majeure", a encore une perception "partielle voire naïve" du danger.

L'IA amplifie de manière très inquiétante la portée et la nocivité des attaques. Alain David

C'est pour cette raison que les deux parlementaires proposent de "rendre obligatoire le consentement aux algorithmes dans les suggestions de contenus" sur des plateformes comme TikTok et X (ex-Twitter) ou encore d'imposer une interdiction des algorithmes sur les réseaux sociaux durant les périodes pré-électorales (voir encadré).

Un nutri-score "objectif"

Laetitia Saint-Paul et Alain David proposent aussi de "labelliser" les médias, en leur accolant une note en fonction de "critères objectifs" et "en sources ouvertes". Cette notation prendrait la forme d'une "véritable étiquette nutritionnelle" et aurait pour but d'"apporter une plus grande clarté aux consommateurs et de responsabiliser davantage les producteurs".

Une opinion n'est pas une information. Laetitia Saint-Paul

Cette labellisation pourrait prendre la forme d'un "nutri-score", ce dispositif visuel et coloré qui attribue une note de A à E en fonction des qualités nutritionnelles d'un aliment. Interrogée par LCP, Laetitia Saint-Paul convoque sa carrière d'officier de l'armée de Terre pour expliquer ce choix : "C'est comme dans le renseignement militaire, quand on classe une information A1, c'est qu'elle est de source fiable et recoupée."

L'élue souhaite ainsi lutter contre les faux articles d'information rédigés depuis la Russie par exemple pour influencer l'opinion publique française ou encore permettre de vérifier l'existence réelle du journaliste qui signe un article. Elle espère aussi "distinguer les informations des opinions et des émotions". Mais Laetitia Saint-Paul le promet, il ne s'agirait "en aucun cas d'un dispositif d’État".

Un nutri-score aux "critères journalistiques et apolitiques"

Devant ses collègues, Laetitia Saint-Paul a affirmé que la labellisation des médias était "une préconisation des états généraux de l'information". Lancés en octobre 2023 par le gouvernement, ces derniers ont rendu leurs conclusions en septembre 2024.

Dans le cadre des états généraux de l'information, le groupe de travail "Souveraineté et lutte contre les ingérences étrangères" avait en effet préconisé de mettre en œuvre "un dispositif de certification/labellisation de médias français", citant en exemple le Journalism Trust initiative, un dispositif conçu par Reporters sans frontières. L'objectif de cette nouvelle certification, qui serait sollicitée par les médias volontaires, serait de "distinguer un journalisme de qualité" et "conférerait des avantages concurrentiels (meilleur référencement notamment)". 

Dans leur rapport, Laetitia Saint-Paul et Alain David évoquent la possibilité de s'appuyer sur les "compétences de sociétés spécialisées" comme l'entreprise Newsguard, qui produit déjà "des évaluations de fiabilité des sites d'information au regard de neufs critères journalistiques et apolitiques", comme le fait d'"éviter les titres trompeurs" ou de "gérer de manière responsable la différence entre informations et opinions".

La droite et le RN mettent en garde contre une "régulation excessive"

Laetitia Saint-Paul sait que cette proposition est susceptible de lui attirer des critiques : "On vit à l'heure du chaos informationnel, est-ce qu'on s'interdit tout parce que dès qu'on parle de sécurité numérique, ça devient Orwellien ?", a néanmoins demandé à ses collègues l'élue du Maine-et-Loire.

Je me demande si aujourd'hui Orwell ne nous prive pas de penser la sécurité numérique. Laetitia Saint-Paul

"Le développement de l'IA ne saurait devenir le prétexte à une régulation trop excessive de la liberté d'expression", a réagi le député Droite républicaine Michel Herbillon, qui a fait part de son "extrême scepticisme". De son côté, le député Rassemblement national Guillaume Bigot a estimé que cette proposition, si elle était mise en œuvre, allait créer un  "marché noir de l'information libre" : "Pensez-vous vraiment que les Français sont des enfants qu'il faudrait guider par des codes couleurs ?", a-t-il demandé. L'élu a aussi moqué "un formidable effet de télépathie ou de bluetooth avec le président de la République". 

Emmanuel Macron à l'initiative

Hasard du calendrier, Emmanuel Macron a apporté son soutien, à la mi-novembre, aux initiatives existantes de labellisation des médias "par des professionnels", lors d'un déplacement à Arras (Pas-de-Calais). Des propos repris par les médias de la galaxie Bolloré, Le Journal du dimanche dénonçant notamment "la tentation du ministère de la Vérité" et estimant que le chef de l'Etat voulait "mettre au pas" les médias. Plusieurs personnalités politiques, comme Jordan Bardella ou Bruno Retailleau, avaient aussi pris la parole pour dénoncer une tentative de "contrôle de l'information".

"Il y a eu parfois des débats ces derniers jours largement biaisés qui ont dit un peu n'importe quoi, y compris sur ce que j'avais pu dire", a réagi ce mercredi 10 décembre Emmanuel Macron, lors d'un déplacement à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). "Ce n'est pas du tout le travail de l'État de distinguer le vrai du faux, c'est précisément le travail d'une presse libre par la contradiction, la vérification", a ajouté le président de la République. 

Emmanuel Macron a également réaffirmé sa volonté d'interdire les réseaux sociaux "avant 15 ou 16 ans" et expliqué qu'un projet de loi serait pour cela déposé "dès janvier 2026". Une proposition pleinement soutenue par Laetitia Saint-Paul, qui espère faire des propositions à la ministre déléguée chargée de l'Intelligence artificielle et du Numérique, Anne Le Hénanff. Car il y a urgence : selon la députée, les élections municipales de mars 2026 "sont déjà [un] entraînement" pour les puissances étrangères qui souhaitent influer sur le cours de l'élection présidentielle de 2027.

Neutraliser les algorithmes en période électorale

Les députés Laetitia Saint-Paul et Alain David préconisent par ailleurs d'instaurer une "réserve algorithmique pré-électorale" sur les plateformes en amont d'un scrutin "afin d'éviter toute manipulation et de préserver la sincérité des votes".

 "Cette mesure est extrêmement simple à mettre en œuvre", a expliqué Laetitia Saint-Paul, devant la commission des affaires étrangères. Elle propose ainsi que pendant un mois avant une élection, les utilisateurs des réseaux sociaux ne puissent avoir accès qu'aux contenus publiés par des comptes qu'ils ont eux-mêmes choisis. La mesure a pour but d'éviter les tentatives d'ingérence comme celle qu'a subi la Roumanie, en novembre 2024.

Autre mesure phare du rapport des deux parlementaires : rendre obligatoire le "consentement aux algorithmes" dans les plateformes. Pour avoir accès à du contenu proposé par un algorithme, l'utilisateur d'un réseau social devrait explicitement l'accepter, "sur le modèle de ce qui est appliqué pour les cookies des sites internet".