Souveraineté alimentaire : l'Europe "capable de se nourrir", selon un rapport qui identifie cependant des "fragilités"

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Charles Sitzenstuhl présente le rapport en commission des affaires européennes.
Charles Sitzenstuhl (Renaissance) présente le rapport aux côtés de son collègue Rodrigo Arenas (LFI). LCP
par Maxence Kagni, le Mercredi 14 février 2024 à 21:40

Les députés Charles Sitzenstuhl (Renaissance) et Rodrigo Arenas (La France insoumise) ont présenté, ce mercredi 14 février, les conclusions de leur mission d'information "sur la souveraineté alimentaire européenne". Les deux élus préconisent notamment de faire évoluer la politique agricole commune (PAC) et de ne pas signer en l'état le projet d'accord de libre-échange avec le Mercosur.

L'Europe est-elle capable d'assurer sa souveraineté alimentaire ? "La réponse est globalement oui", selon Charles Sitzenstuhl (Renaissance) qui a présenté, ce mercredi 14 février, avec son collègue Rodrigo Arenas (La France insoumise), les conclusions de la mission d'information "sur la souveraineté alimentaire européenne". Dans leur rapport, les deux élus écrivent que "l'Europe est aujourd'hui capable de se nourrir en quantité et en qualité".

Lors d'une conférence de presse organisée à l'Assemblée nationale mercredi matin, Charles Sitzenstuhl et Rodrigo Arenas ont toutefois mis en avant certaines "fragilités" européennes sur la production de fruits et de maïs et, surtout, sur la production de "protéines végétales à destination de l'alimentation animale". L'Europe est également dépendante vis-à-vis des engrais et des composants électroniques, a précisé Charles Sitzenstuhl. 

En revanche, "l'Union européenne est souveraine sur la viande bovine, la viande de volaille, les oeufs, les légumes, le blé, l'orge, les cultures sucrières", a expliqué le député Renaissance, pendant la présentation du rapport devant la commission des affaires européennes, mercredi après-midi. "Après 60 ans d'existence, la politique agricole commune a rempli sa mission", a ainsi déclaré Rodrigo Arenas, tout en mettant en garde contre la dépendance aux "importations d'intrants chimiques, mécaniques et caloriques".

"Les vulnérabilités identifiées par vos rapporteurs, notamment au titre de l’alimentation animale, peuvent être corrigées en mobilisant les instruments réglementaires et financiers dont disposent l’Union, au premier rang desquels la politique agricole commune", écrivent les parlementaires. "La PAC doit évoluer, respecter davantage la diversité des modèles agricoles nationaux", a expliqué Charles Sitzenstuhl, qui rappelle que celle-ci "bénéficie de plus en plus aux exploitations de grande taille". Ainsi, en France, 20% des bénéficiaires captent 51% des aides directes. L'élu propose donc que la PAC puisse intégrer des mécanismes de péréquation et de solidarité "plus importants". 

Charles Sitzenstuhl a également évoqué sa satisfaction de voir que la "souveraineté alimentaire" sera ajoutée au prochain projet de loi de l'exécutif relatif à l'agriculture, tout en soulignant qu'il espérait que des "mesures concrètes" y seront introduites.

Ne pas signer le Mercosur "en l'état"

Par ailleurs, Charles Sitzenstuhl et Rodrigo Arenas s'accordent pour préconiser de"s'opposer, en l'état des négociations, à la signature et à la ratification de l'accord d'association entre l'Union européenne et le Mercosur". Cet projet d'accord de libre-échange avec les pays de ce "marché commun du sud" (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay) est très critiqué par le monde agricole français, qui craint l'arrivée massive de produits sud-américains en Europe. "Dans l'état des textes du Mercosur, la France s'oppose et continuera de s'opposer à cet accord de libre-échange", a déclaré le président de la République Emmanuel Macron, le 1er février dernier. Toutefois, la Commission européenne a précisé que "les discussions continuent" et que "l’Union européenne continue de poursuivre son objectif d’atteindre un accord".

Rodrigo Arenas a, en outre, mis en garde contre une "logique productiviste" qui consiste à permettre à des denrées d'"envahir les marchés mondiaux". Dans un tel cadre, l'Europe pourrait être "en difficulté" et avoir "bien du mal à résister face à des gros pays céréaliers comme les Etats-Unis et le Canada" ou encore "le Brésil sur d'autres productions". Le groupe La France insoumise a d'ailleurs, sous l'impulsion de Sophia Chikirou, plaidé pour la fin des traités de libre-échange qui "créent du dumping social, un abaissement des normes écologiques".

Côté propositions, le rapport propose d'inclure dans les négociations une "clause de sauvegarde verte" qui conditionnerait "l'abaissement des droits de douane et l'ouverture des contingents tarifaires au respect des stipulations relatives à l'agriculture durable". Autre proposition : instaurer des "mesures miroirs dans l'ensemble des législations pertinentes de l'Union européenne". Ces "clauses miroirs" permettraient d'imposer aux produits importés les mêmes règles sanitaires et environnementales que celles en vigueur au sein de l'Union européenne.

Sur le sujet des pesticides, les députés suggèrent de "débuter" une "harmonisation mieux-disante de la réglementation européenne relative à l'utilisation de semences traitées à l'aide de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes" afin de "rétablir les conditions d'une concurrence équitable au sein du marché intérieur".

"Demander à la Commission européenne"

Le rapport ouvre également des pistes qui consistent à "demander à la Commission européenne" la mise en œuvre de nouvelles politiques : "une nouvelle proposition de règlement sur la réduction de l'utilisation des pesticides", une "législation cadre relative à des système alimentaires durables qui comprenne notamment un volet dédié à la commande publique" ou encore une "stratégie européenne sur les protéines végétales".

Les députés souhaitent également "renforcer les moyens et le rang du commissaire européen chargé de l'Agriculture". Ils évoquent la possibilité de donner plus de moyens aux services de la Commission européenne et d'expérimenter la mise en place de "structures administratives transversales" afin d'"assurer un pilotage cohérent des initiatives susceptibles d'avoir une incidence sur la souveraineté alimentaire de l'Union".

Alors que son groupe a annoncé vouloir créer une commission d'enquête sur la souveraineré alimentaire, le député Rassemblement national Grégoire de Fournas a qualifié le rapport de ses deux collègues de "vaste tromperie" : "Contrairement à ce que vous dites, oui, la souveraineté alimentaire française est belle et bien menacée", a-t-il estimé, évoquant le cas de la viande bovine qui connaît, selon lui, un "effondrement majeur". L'élu a également mis en cause la stratégie européenne "farm to fork" (de la ferme à la fourchette, ndlr), un "outil de décroissance agricole totalement contraire à la souveraineté alimentaire".

La députée écologiste Julie Laernoes a, pour sa part, pris la défense de la stratégie européenne : "Nous, en tant qu'écologistes, partageons l'urgence d'une transition profonde vers des pratiques agricoles durables", a-t-elle réagi. "Celles et ceux qui pensent que l'issue sera hexagonale sont soit des menteurs, soit des cyniques, en tout cas ils ne correspondent à aucune réalité du monde", a quant à lui indiqué Rodrigo Arenas, lors d'échanges qui ont parfois eu comme un avant-goût de campagne, en vue des élections européennes du 9 juin prochain.