Violences sexuelles dans le sport : "Tout le monde se serrait les coudes, car il ne fallait pas que ça se sache" (Sarah Abitbol)

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Patineuse artistique sur glace. © Manfred Richter / Pixabay
Patineuse artistique sur glace. © Manfred Richter / Pixabay
par Léonard DERMARKARIAN, le Mercredi 6 septembre 2023 à 11:38, mis à jour le Mercredi 6 septembre 2023 à 12:27

La commission d'enquête "relative à l’identification des défaillances" au sein des structures sportives françaises, notamment en matière de violences sexuelles, a débuté ses auditions mardi 5 septembre à l'Assemblée nationale, en recueillant les témoignages de plusieurs victimes, dont l'ancienne championne de patinage artistique, Sarah Abitbol, et l'ancienne joueuse de tennis, Angélique Cauchy. 

"Continuer le combat" : tel est le message aux députés qu'est venu délivrer, mardi 5 septembre, Sarah Abitbol, ancienne championne de patinage artistique dont le témoignage, en janvier 2020, avait ébréché la loi du "silence" sur les violences sexuelles et sexistes dans le monde du patinage artistique français, et ouvert la voie à de nombreux témoignages similaires dans dans le sport français.

Plus de trois ans après, l'audition de Sarah Abitbol devant les députés de la commission d'enquête "relative à l'identification des défaillances de fonctionnement" au sein des structures sportives françaises s'est déroulée au carrefour du vécu et des recommandations afin de mettre fin, selon elle comme d'autres sportives entendues le même jour (Angélique Cauchy, Emma Oudiou et Claire Palou), à "l'omerta" des violences sexuelles et sexistes qui peut encore perdurer au sein de l'écosystème sportif français.

"Beaucoup de temps et de courage pour parler"

Victime de multiples violences sexuelles vécues entre ses 15 et 17 ans par son entraîneur Gilles Beyer, Sarah Abitbol est revenue durant son audition sur son cheminement personnel ayant nécessité "beaucoup de temps et de courage pour parler" pour rendre son témoignage public en 2020 par une enquête de L'Obs et un livre, "Un si long silence".

Je ne pouvais plus supporter l’idée que mon agresseur soit dans un club de patinage artistique et qu’il puisse de nouveau reproduire ce qu’il a reproduit sur moi. Sarah Abitbol, ex-championne de patinage artistique

"Il y a encore une grande éducation à faire"

Décidant "de faire de ce malheur une chance", l'ancienne championne mène depuis 2020, avec son association, des actions de sensibilisation de lutte contre les violences sexuelles et sexistes au sein des fédérations sportives (notamment celle des sports de glisse). Saluant la création de la cellule de signalement "Signal-Sports", elle a aussi rendu hommage à l'implication sur le sujet de l'ex-ministre des Sports, Roxana Maracineanu, ainsi qu'à l'actuelle ministre, Amélie Oudéa-Castera.

Si "les victimes ont moins peur de parler aujourd'hui", Sarah Abitbol a cependant estimé qu'il y a "malheureusement toujours un petit peu d'omerta dans les autres fédérations" - un avis résonnant avec les témoignages des athlètes Claire Palou et Emma Oudiou, championnes d'athlétisme et victimes d'agressions et de harcèlement sexuel, ainsi qu'avec celui de l'ancienne joueuse de tennis Angélique Cauchy, qui a aussi déploré le manque d'"éducation" sur le sujet des violences sexistes et sexuelles dans le sport.

On a tendance à être beaucoup plus permissif dans le milieu sportif, [...] mais il n'y a aucun milieu de la société où on peut insulter et humilier un enfant. Ca n'existe pas. Il y a encore une grande éducation à faire. Angélique Cauchy, ex-joueuse de tennis professionnelle et présidente de l'association rebond

Prenant le cas de la Fédération française d'athlétisme au sein de laquelle elle recueille des témoignages, Emma Oudiou a, par ailleurs, fait part de sa crainte de voir les instances sportives françaises prioriser la quête de médailles lors des Jeux olympiques de Paris l'été prochain, plutôt que de protéger les athlètes victimes de violences, en dépit de "retours très inquiétants".

Oui on peut parler, mais il n’y a pas de décision derrière... A quoi bon parler ? Emma Oudiou, ex-CHAMPIONNE D'ATHLétisme et auteure d'un documentaire sur les violences sexuelles dans le milieu de l'athlétisme français

Imprescriptibilité des crimes sexuels contre les mineurs et reconnaissance de l'amnésie traumatique

Au-delà des témoignages, les auditions de mardi ont permis au sportives ou ex-sportives de formuler plusieurs types de recommandations pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes au sein des structures sportives françaises.

Sarah Abitbol a notamment plaidé pour la reconnaissance par la loi de l'amnésie traumatique, ainsi que l'imprescriptibilité des crimes sexuels commis contre des mineurs.

Claire Palou et Emma Oudiou ont, quant à elles, insisté sur la nécessité d'établir une liste de "personnes ressources" dans chaque fédération sportive et la "mise à l’écart claire et nette […] des mis en cause par rapport aux victimes". Toutes les quatre ont enfin souligné la nécessité de repenser l'encadrement des mineurs, notamment en créant des duos mixtes d'entraîneurs et en revoyant les modalités de déplacement et d'entraînement, afin de minimiser la possibilité d'isolement des mineurs et les comportements abusifs.