Abrogation de la retraite à 64 ans : pas de vote sur la proposition de loi de LFI avant l'extinction de la "niche parlementaire" à minuit

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Ugo Bernalicis dans l'hémicycle le 28 novembre 2024
Ugo Bernalicis lors de l'examen de la proposition de loi visant à abroger la retraite à 64 ans, le 28 novembre 2024 - LCP
par Soizic BONVARLET, le Vendredi 29 novembre 2024 à 03:00, mis à jour le Vendredi 29 novembre 2024 à 04:40

Au terme d'un long bras de fer qui a duré de 9h à minuit, jeudi 28 novembre, la proposition de loi "d’abrogation de la retraite à 64 ans", présentée par La France insoumise, n'a pas pu aller à son terme et être mise au vote, en raison du nombre d'amendements déposés par les groupes du socle gouvernemental. Les débats, qui se sont déroulés dans une ambiance particulièrement tendue, ont donné lieu à un dialogue de sourds, les accusations d'obstruction répondant à celles d'irresponsabilité.  

 

Bien que majoritaires dans l'hémicycle compte tenu de la composition de l'Assemblée nationale issue des élections législatives anticipées, les partisans de la proposition de loi "d’abrogation de la retraite à 64 ans" ne sont pas parvenus à la faire adopter, faute de temps pour ce faire. À l'ordre du jour de la "niche parlementaire" de La France insoumise, le texte bénéficiait, en plus du soutien des groupes du Nouveau Front populaire, de celui du Rassemblement national, qui avait lui-même souhaité abroger la réforme des retraites de 2023, lors de sa propre journée de "niche", le 31 octobre dernier.

Un goût d'inachevé pour les partisans de l'abrogation

La proposition de loi du groupe présidé par Mathilde Panot, votée la semaine dernière en commission visait, non seulement à revenir sur le report de l'âge légal de départ en retraite à 64 ans, mais également sur la réforme Touraine qui avait augmenté la durée de cotisation. Le groupe Socialiste avait d'ailleurs déposé un amendement afin de préserver cette loi votée lors du quinquennat de François Hollande, tout en ayant indiqué qu'il soutiendrait quoi qu'il en soit le texte de La France insoumise.

Jeudi en fin d'après-midi, les opposants à la réforme des retraites ont revendiqué une victoire symbolique et politique en repoussant, par 241 voix contre 100, les amendements de suppression de l'article phare de la proposition de loi, à savoir celui qui abrogeait le report de l’âge légal de départ à 64 ans. "Pour la première fois, l'Assemblée nationale a voté contre la retraite à 64 ans en rejetant l'amendement de suppression des députés macronistes", s'est félicité Mathias Tavel (La France insoumise). "C'est bien la preuve que cette réforme était illégitime et un passage en force !", a-t-il poursuivi, avant de renvoyer au vote d'une motion de censure contre le gouvernement pour envisager à terme l'abrogation de la réforme.

Accusations d'"obstruction" et de "dévoiement" des institutions

Tout au long de la journée, les partisans de l'abrogation ont dénoncé "l'obstruction" orchestrée par le "socle commun" qui avait déposé environ 800 amendements. "Oui, l'obstruction fait partie de la vie parlementaire, c'est une technique (...) Cela devient dangereux quand celui qui pratique l'obstruction parlementaire est aussi celui qui soutient le gouvernement et qui détient le pouvoir", a déploré Alexis Corbière (Ecologiste et social) quand sa présidente de groupe, Cyrielle Chatelain, a accusé le socle gouvernemental de "dévoyer" les institutions en sabotant cette journée d'initiative parlementaire réservée à l'opposition.

"C'est vous qui avez à l'époque [de l'examen de la réforme] voulu bloquer les débats, empêcher les votes !", s'est exclamé le ministre chargé du Budget, Laurent Saint-Martin, estimant que les "quelques centaines d'amendements" devant être examinés jeudi n'étaient rien en regard des 19 000 déposés par la gauche en 2023"Vous abordez un sujet qui a nécessité trois semaines de débats, c'est normal que nous ne puissions pas le faire en une seule journée, cela n'a rien à voir avec le fondement d'une 'niche' parlementaire", a pour sa part fait valoir Pierre Cazeneuve (Ensemble pour la République).

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"Je pense aujourd'hui à mon père qui a travaillé toute sa vie à l'usine, dans la métallurgie, qui s'est fait opérer encore aujourd'hui (...) parce qu'il a les avant-bras totalement fracassés par ses 44 années de travail" a témoigné Emmanuel Fernandes (La France insoumise), pour justifier la volonté d'abrogation, avant de lancer aux élus du socle commun : "Montez sur la machine avec une canne, avec des béquilles, montez sur la machine dans l'usine à 64 ans !" Plus tôt dans la journée, Jean-Philippe Tanguy (Rassemblement national), avait évoqué "la morgue de classe du parti des petits bourgeois qui n'ont jamais travaillé et qui veulent prétendre qu'on peut travailler jusqu'au bout !"

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Paroxysme de la tension qui s'est faite sentir tout au long de la journée, une altercation a eu lieu dans la soirée, lors d'une suspension de séance. Un incident provoqué par Nicolas Turquois (Les Démocrates), venu se plaindre auprès d'un député socialiste des menaces et insultes reçues par sa famille en raison de son opposition à l'abrogation de la réforme des retraites. Un incident au terme duquel Antoine Léaument (La France insoumise) a indiqué avoir été pris à partie par Nicolas Turquois.

Le président du groupe Les Démocrates, Marc Fesneau, a admis un "échange vif", considérant que le député de son groupe devrait "s'en expliquer". "Heureusement, Monsieur Fesneau, que vous étiez là pour retenir le collègue de votre groupe et que les huissiers sont intervenus, car sinon je ne suis pas sûr du fait que je ne me serais pas pris une beigne", a déclaré Antoine Léaument. Xavier Breton (Droite républicaine), qui présidait la séance du soir, a proposé que "l'incident" soit examiné lors de la prochaine réunion du Bureau de l'Assemblée nationale.

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Lors des débats, les députés du socle gouvernemental ont plusieurs fois dénoncé les méthodes employées par La France insoumise sur les réseaux sociaux, à l'instar de Sébastien Huyghe (apparenté Ensemble pour la République) fustigeant des "méthodes fascistes" exposant les opposants à l'abrogation à "la vindicte populaire".

La censure brandie pour "abroger réellement la retraite à 64 ans"

Dès le coup d'envoi de l'examen du texte, les députés de l'ex-majorité présidentielle n'ont eu de cesse de pointer l'irresponsabilité de la proposition de loi qui mettrait, selon eux, en danger le système de retraites, Prisca Thévenot (Ensemble pour la République) mettant en garde contre les conséquences en matière de déficit"Vous êtes dans le déni de la responsabilité politique et vous venez aujourd'hui mendier les voix du Rassemblement national", a quant à lui lancé Mathieu Lefèvre (Ensemble pour la République) en direction des députés LFI.  

Au terme de cette journée entre bras de fer et dialogue de sourds, juste avant que la séance ne soit levée, le rapporteur de la proposition de loi Ugo Bernalicis (La France insoumise), après avoir à nouveau dénoncé l'obstruction menée par le socle commun, a renvoyé au vote éventuel d'une motion de censure, qui pourrait intervenir la semaine prochaine sur le budget de la Sécurité sociale.

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"On se passera de vos services dès la semaine prochaine", a-t-il déclaré à l'adresse du gouvernement et de ses soutiens. "Le premier vote pour abroger réellement la réforme de la retraite à 64 ans, il est mercredi prochain, lors de la censure qui permettra de faire tomber le gouvernement Barnier", a renchéri la présidente du groupe LFI, Mathilde Panot, à la sortie de l'hémicycle de l'Assemblée nationale à minuit.