Six mois après les records d'abstention enregistrés lors des élections régionales et départementales, la mission d'information mise en place à l'Assemblée nationale formule une série de propositions pour faciliter l'acte de voter lui-même.
Les Français se détournent-ils des urnes par désintérêt pour la politique ou pour des difficultés d'ordre pratique ? La mission d'information de l'Assemblée nationale "visant à identifier les ressorts de l’abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale" s'est en tout cas concentrée sur la seconde raison. Lancée fin juin par le président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand, alors que deux Français sur trois ne sont pas allés voter lors des scrutins régionaux et départementaux, elle a adopté son rapport mercredi 8 décembre. Seuls les élus Les Républicains ont voté contre sa publication, regrettant que les propositions "ne touchent pas le coeur du problème".
Présidée par Xavier Breton (Les Républicains) et rapportée par Stéphane Travert (La République en marche), la mission formule vingt-huit propositions pour surmonter les obstacles les plus immédiats au vote, y compris à travers des expérimentations. Les réformes les plus systémiques, comme le recours au vote obligatoire ou la reconnaissance du vote blanc, ont en revanche été écartées.
Si l'abstention est de plus en plus assumée et constitue, pour de nombreux Français, un acte politique assumé (voir ci-dessous), elle peut aussi être une situation subie pour un nombre non négligeable d'entre eux. Selon l'Insee, il existe ainsi 6% de Français non-inscrits sur les listes électorales, soit 3 millions de personnes. Des électeurs potentiels qui sont de fait hors des radars des chiffres de l'abstention. La "mal-inscription" est aussi un phénomène d'ampleur, qui touche les électeurs inscrits dans un autre lieu de résidence que leur domicile actuel. La sociologue Céline Braconnier a estimé en 2020 qu'il existait 7,6 millions de mal-inscrits, sur un corps électoral de 47,9 millions d'électeurs recensés en mai 2021.
Pour faire baisser ces chiffres, le rapport préconise de mener des campagnes d'incitation à l'inscription et de systématiser le changement de lieu de vote en cas de déménagement. Plus étonnant, le vote sur tout le territoire lors des scrutins nationaux est aussi proposé. Concrètement, grâce à l'existence d'un répertoire électoral unique depuis 2016, aucun obstacle technique ne viendrait empêcher de voter dans une autre commune que la sienne pour les élections présidentielles et européennes, ou les référendums. L'électeur, par exemple en vacances ou en déplacement professionnel, pourrait "à sa demande et pour un scrutin donné" voter dans un autre bureau de vote que le sien.
Pour se rendre aux urnes encore faut-il être au courant qu'il y a une élection. Les députés plaident donc pour des campagnes sur "la procédure électorale" et "le rôle de l'institution qui est renouvelée" dans les médias mais aussi les réseaux sociaux. L'envoi par mail ou via une application dédiée des professions de foi des candidats - tout en maintenant l'envoi postal des documents électoraux - fait aussi partie des propositions. Enfin, pour endiguer l'abstention des plus jeunes, la remise des cartes électorales devrait "systématiquement" se faire lors de "cérémonies de citoyenneté", comme les pratiquent déjà certains maires.
Toujours dans le souci de faciliter l'accès au vote, la mission reprend l'idée de la double procuration pour tous les scrutins. Déjà expérimentée pendant la crise sanitaire en 2020 et 2021, cette possibilité n'a pas été maintenue par le Parlement pour l'élection présidentielle. La mission d'information imagine également qu'on puisse demander demain une procuration via "un système de visioconférence" ou par "l'intermédiaire des facteurs", afin d'économiser un déplacement au commissariat ou au tribunal. Stéphane Travert va proposer au gouvernement d'appliquer ces deux mesures dès la présidentielle l'année prochaine.
Les parlementaires restent en revanche prudents sur d'autres moyens tels que le vote par correspondance et par Internet, qu'ils proposent d'expérimenter lors des prochains scrutins locaux. Le vote par anticipation, qui existe par exemple aux États-Unis, pourrait lui aussi être testé de "manière territorialisée".
Le rapport se garde en revanche de rouvrir le débat sur la reconnaissance du vote blanc, qui n'est pas aujourd'hui comptabilisé dans les suffrages exprimés. La mesure est pourtant extrêmement populaire. La mission d'information elle-même a mené sa propre consultation publique et les résultats sont sans appel : 91% des plus de 139000 répondants souhaitent que "la prise en compte du vote blanc puisse conduire à l'invalidation de l'élection et à un nouveau scrutin". Et plus de 88% d'entre eux estiment que cette reconnaissance les rendrait "plus susceptibles d'aller voter".
Concrètement, une telle reconnaissance ne permettrait pas, par exemple lors de l'élection présidentielle, au candidat arrivé en tête au second tour de remporter le scrutin si le nombre de voix de son adversaire ajouté à celui des votes blancs étaient supérieur à son score. Les auteurs craignent dès lors un risque de paralysie :
le risque d’une impasse est réel, obérant la confiance dans la capacité de notre démocratie à assurer la stabilité des institutions. Rapport parlementaire
Beaucoup moins plébiscité, y compris dans la consultation publique, le vote obligatoire est lui aussi écarté. Les députés prônent des mesures institutionnelles plus modestes, comme la mise en place du conseiller territorial, voté sous Nicolas Sarkozy en 2010 et abrogé sous François Hollande. Un conseiller unique pour les départements et les régions permettrait, selon eux, de simplifier la perception du partage des rôles entre les collectivités, souvent méconnu par les administrés.
La question des modes de scrutin alternatif a aussi été examinée par la mission d'information. Elle préconise ainsi l'utilisation du "jugement majoritaire" dans les consultations locales. Cette méthode permet à chacun d'attribuer une note à une proposition ou un candidat ; la meilleure moyenne remporte le scrutin. "Cette méthode a été testée lors de plusieurs élections présidentielles et bouleverse le classement sans changer la personne élue. En 2012, elle aurait aussi conduit à la victoire de François Hollande, mais François Bayou aurait été deuxième à la place de Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen classée huitième plutôt que troisième", rappelle le rapport en se basant sur des travaux publiés en 2012 par la Revue française d'économie.
Loin d'être symbolique quand on sait leur omniprésence dans le débat public, la proposition d'interdire les sondages dans la semaine qui précède un scrutin – et plus seulement la veille – est mise sur la table. La place très importante des enquêtes d'opinion à l'approche des scrutins "ne permet pas d’aborder les questions de fond avec la nécessaire nuance qu’elles méritent", juge Stéphane Travert. Une manière aussi de garder le suspense jusqu'au bout et, peut-être, de donner envie aux électeurs d'écrire eux-mêmes la fin du film.
L'abstention, premier parti de France
À part l’élection présidentielle qui bénéficie d’un haut niveau de participation, aucun rendez électoral n’est épargné par une abstention de plus en plus massive. Subie, intermittente ou même carrément systématique, l’abstention a plusieurs visages. Selon la sociologue Anne Muxel, cette dernière forme grignote de plus en plus le corps électoral : l’abstention systématique a concerné 13,4% des inscrits en 2017, contre 8,6% en 2007. Si les causes de l’abstention sont multiples, les plus jeunes et les moins diplômés sont les plus concernés. Parmi les raisons invoquées par les abstentionnistes, le sentiment que "la même politique est menée quel que soit le parti au pouvoir" est la première citée, nourrissant de fait l’indifférence à l’égard de la politique et de ses représentants.