Avant le Sommet de Paris, Esther Duflo appelle à repenser "le rôle de la solidarité internationale"

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par Léonard DERMARKARIAN, le Mercredi 21 juin 2023 à 17:11, mis à jour le Lundi 26 juin 2023 à 10:28

Alors que le "Sommet pour un nouveau pacte financier mondial" se tient à Paris, jeudi 22 et vendredi 23 juin, la prix Nobel d'économie 2019, Esther Duflo, a plaidé lors d'une audition à l'Assemblée nationale pour une refonte de l'aide internationale au développement et la mise en place de nouveaux outils financiers afin de lutter contre le changement climatique.

Une ville, deux événements : alors que va s'ouvrir, dans les locaux de l'Unesco et de l'OCDE à Paris, le "Sommet pour un nouveau Pacte financier mondial" rassemblant une centaine de chefs d’État et de gouvernement pour repenser l'architecture de la finance et de la coopération mondiales, les députés de la commission des affaires étrangères ont auditionné, mercredi 21 juin, l'économiste franco-américaine Esther Duflo. 

Distinguée pour ses travaux par le Prix Nobel d'économie en 2019, la spécialiste du développement a fait part de ses vues "en toute indépendance" sur les enjeux du Sommet, confronté à deux nécessités : celle de repenser la coopération internationale entre les pays du Nord et du Sud, et celle de trouver de nouveaux mécanismes financiers à destination des pays du Sud pour lutter collectivement et efficacement contre le changement climatique.

Lutte contre la pauvreté : des "progrès", un paradoxe

En introduction de l'audition, Esther Duflo, qui enseigne au Massachusetts Institute of Technology et au Collège de France, a tenu à souligner des éléments contextuels témoignant de "progrès" à l'échelle mondiale dans la lutte contre la pauvreté, menant notamment, depuis les années 1990, à une diminution mondiale par deux de la pauvreté extrême (moins de 2,15 dollars par personne par jour) et de la mortalité infantile, ainsi qu'une hausse mondiale de la scolarisation.

Pour la prix Nobel d'économie, ces "progrès" sont cependant insuffisants face au besoin de trouver de nouvelles ressources pour faire face aux conséquences du changement climatique et à dégradation financière de nombreux pays dans le monde. La pandémie de Covid ayant, indique-t-elle, provoqué une "crise économique et sociale" dans les pays les plus pauvres, une dizaine d'Etats font face à une crise de leurs dettes souveraines et une cinquantaine d'autres risquent une crise d'endettement.

Je pense que dans toute ma carrière, je n’ai jamais connu un moment aussi inquiétant pour les populations des pays les plus pauvres. Esther Duflo, prix nobel 2019 d'économie

Appel à refonder une aide au développement en "crise de légitimité"

Alors que la solidarité internationale est confronté à une "crise de légitimité" en raison de l'essor des pays émergents, non pris en compte par les institutions internationales, et de l'affirmation de stratégies de développement autonomes par les pays du Sud, Esther Duflo a appelé à repenser "le rôle de la solidarité internationale."

Quatre rôles sont jugés pertinents pour l'économiste : un "rôle d'assurance" des pays pauvres en cas de crise majeure, un "rôle d'innovation des politiques publiques", le financement des "biens publics mondiaux" (santé, climat) et une action de "compensations pour des dommages liés au changement climatique" - des préconisations rejoignant l'ordre du jour du Sommet, sans qu'Esther Duflo n'ait participé aux préparatifs de ce dernier.

Réchauffement et transition climatiques : "commencer par ce qui est à notre portée"

Alors que les discussions du Sommet pour un nouveau Pacte financier mondial vont notamment se pencher sur la possibilité de créer de nouvelles taxations (en particulier sur le transport maritime, responsable de 3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre), Esther Duflo a rappelé que les pistes actuellement envisagées seraient insuffisantes pour répondre aux besoins nécessaires, estimés a minima aux alentours de 500 milliards de dollars par an.

Interrogée par les députés sur les différents types de taxation pouvant être mis en œuvre, l'économiste a appelé à "commencer par ce qui [était] à notre portée". A défaut d'un "impôt international sur les hautes fortunes" jugé souhaitable quoique peu probable, une taxe sur les émissions carbone du transport maritime constituerait ainsi un premier pas salutaire, en rapportant entre 60 milliards et 80 milliards de dollars par an à l'échelle mondiale. 

forfait" réservé de 15.000 hectares par an car, sans cela, "c'est l'esprit même de la trajectoire de sobriété que nous finissons par menacer".