Les députés ont entériné le volet "recettes" du projet de loi de finances. L'exécutif et la majorité ont affirmé pendant tout le débat ne pas toucher aux impôts des Français. Qu'en est-il réellement ? Une baisse de la fiscalité des entreprises. Et un engagement globalement tenu pour la plupart des ménages.
"Aucune hausse d'impôt" : ce fut pendant une semaine le mantra du gouvernement dans l'hémicycle lors de l'examen de la première partie du projet de loi de finances 2021 (PLF). Avant l'examen du volet "dépenses" - dont les crédits du plan de relance -, les quelques 32 articles du texte qui concernent les recettes de l'État pour l'année à venir ont été adoptés mardi par 349 voix contre 199.
L'objectif affiché est-il atteint ? Concernant les entreprises, aucun doute : l'exécutif a réussi à faire voter tel quel le rabotage des impôts de production, soit une baisse de 10 milliards d'euros l'année prochaine. Comme la réforme concernera, en volume, d'abord les plus grandes entreprises, un amendement du rapporteur général Laurent Saint-Martin (LaREM) a fait un geste en direction des PME, en élargissant le nombre de petites entreprises éligibles au taux réduit sur l'impôt sur les sociétés (15% contre 26,5%). Coût de la ristourne : 35 millions d'euros.
Côté ménages, la stabilité fiscale promise semble bien de mise sur les principaux impôts et taxes. Avec quelques exceptions qui se chiffrent tout de même en millions.
Chaque année, le barème de l'impôt sur le revenu est revalorisé en suivant les projections de l'inflation pour l'année en cours. Une manière de prendre en compte la hausse du coût de la vie dans la feuille d'imposition des ménages. Pour 2020, le chiffre retenu par l'exécutif est de 0,2%. Un "geste faible" selon les députés socialistes, qui ont proposé en vain de revaloriser les tranches de 0,8% "afin d’aider le pouvoir d’achat des ménages".
L'écart paraît mince, et pourtant il s'élève à 800 millions d'euros selon les calculs présentés lors du débat parlementaire. "Vous allez faire rentrer des Français dans l'impôt sur le revenu alors qu'ils n'en payaient pas jusque-là", a opposé Valérie Rabault (PS) :
Députés PS et LR unissent leurs forces pour relever le niveau des tranches de l'impôt sur le revenu (+0,8% au lieu de +0,2%) pour "éviter de faire rentrer des Français dans l'IR". Le rapporteur et la majorité plaident la "stabilité fiscale". Amendement rejeté. #PLF2021 #DirectAN pic.twitter.com/1zPnNKnv6t
— LCP (@LCP) October 12, 2020
Dans les faits, selon la dernière note de conjoncture de l'Insee, l'inflation s'établirait à 0,5% pour 2020. Pour assurer une stabilité fiscale juste, la vérité se situerait donc à mi-chemin entre le gouvernement et l'opposition.
D'un point de vue macroéconomique cependant, le rendement de l'impôt sur le revenu s'affichera en net recul en 2020. À cause de la hausse du chômage et d'une activité économique réduite, le montant total perçu par l'État cette année serait de 72,7 milliards d'euros, contre 75,5 milliards escomptés avant-crise.
Passé sous les radars, l'article 13 du PLF pourrait avoir lui des conséquences directes sur le porte-monnaie des Français. Il unifie la collecte des taxes locales sur la consommation d'électricité au profit d'une taxe unique, centralisée par la direction générale des finances publiques. Bon point, cette réforme devrait permettre des économies de gestion à hauteur de 30 millions d'euros.
Mais, sous couvert de simplification, les taux vont être alignés par le haut sur trois ans, alors qu'une partie des communes et des départements n'appliquaient pas le barème maximal : "Cela signifie que l’on va accroître de 170 millions d’euros la pression fiscale, et cela essentiellement sur les ménages. D’après l’étude d’impact, l’augmentation de la facture d’électricité pourrait atteindre 55 euros", a objecté Charles de Courson (Libertés et Territoires) lors des débats.
Dans le détail, la hausse sur la part départementale pourrait concerner 13 départements pour un montant "d'au plus 1,60 euro" selon Bercy. Plus importante, la hausse de la part communale s'échelonnerait ainsi : pour 9,8 % des communes, la hausse de la facture annuelle serait comprise entre 0,8 € et 3,2 €, pour 6,6 % des communes entre 4 € et 30 € et pour 5,2 % des communes entre 10 € et 55 €. En tout, une ville sur cinq n'est pas au taux maximal et devra donc l'appliquer d'ici à 2023.
Pour faire passer la pilule, Olivier Dussopt s'est livré à un numéro d'équilibriste : il a reconnu que l'inflation était réelle... mais indiqué qu'elle ne concernerait qu'un petit nombre de ménages.
Chacun reconnaît que ce coût sera important pour certains foyers, mais ne laissons pas penser que l’électricité et le chauffage augmenteront partout de 55 euros. Olivier Dussopt
Selon le ministre des Comptes publics, la hausse de 55 euros touchera "un peu moins de 1% des communes".
Le débat a été vif également sur l'imposition des plus riches. Par souci de cohérence, gouvernement et majorité ont rejeté en bloc toutes les demandes pour revenir sur la réforme de l'ISF votée au début du quinquennat ou augmenter le taux du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital, sanctuarisé à 30% depuis 2017.
Le tir de barrage des groupes de gauche a été particulièrement nourri afin d'augmenter la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR). Cet impôt, instauré sous Nicolas Sarkozy, taxe les célibataires à partir de 250 000 € de revenus par an (500 000 € pour un couple), en plus de leur impôt sur le revenu.
Les élus insoumis ont proposé de tripler les taux, les communistes de les doubler, quant aux socialistes et aux membres de l'ancien groupe Écologie démocratie solidarité, ils ont proposé une augmentation symbolique au nom de la solidarité nationale en période de crise.
Aucun des amendements n'a été adopté, le niveau de redistribution étant jugé suffisant par le rapporteur général, Laurent Saint-Martin, qui s'est défendu d'être "l'avocat des riches".
Si les hausses d'impôt seront donc bien minimes, reste une question lancinante : comment l'État va financer à la fois le plan de relance et son déficit de fonctionnement ? Hors relance, celui-ci atteindra 125 milliards d'euros en 2021 selon des estimations demandées à Bercy :
"Voilà l'état de nos finances : c'est affreux !"@C_deCourson pointe le "déficit de fonctionnement de 125 milliards €" de l'État. "Pour équilibrer les recettes et les dépenses, il faudrait augmenter de 50% les impôts !", alerte le député#PLF2021 #DirectAN pic.twitter.com/6oMVUXxOl3
— LCP (@LCP) October 12, 2020
Pour l'instant, le gouvernement espère financer les pertes de recettes dues à la crise et les crédits d'investissement par la croissance, qui pourrait osciller entre 7% et 8% l'année prochaine, selon des estimations réalisées avant la mise en place du couvre-feu pour 20 millions de Français. Et après une chute programmée de 10% du PIB en 2020... "Le mur de la dette se traduira inexorablement par un mur de l'impôt", a prédit Véronique Louwagie (Les Républicains). Un débat brûlant renvoyé au projet de loi de finances 2022. Comme un avant-goût de campagne présidentielle.