Le président de la commission des Finances et le rapporteur général du budget ont reçu hier soir les documents budgétaires qu’ils exigeaient de Bercy. Le Parlement dispose de soixante-dix jours pour examiner et voter le projet de loi de finances (PLF), seule échéance claire fixée par la Constitution. Dans une situation politique inédite, le calendrier budgétaire, d’ores et déjà serré, pourrait être bousculé, alors que le nouveau gouvernement n’est toujours pas nommé.
Le budget de l’État sera-t-il présenté dans les délais à l’Assemblée nationale ? Le projet de loi de finances est habituellement transmis, au plus tard, le premier mardi d’octobre de l’année qui précède celle de l’exécution du budget, marquant le coup d’envoi du débat budgétaire, qui occupe l’essentiel du calendrier parlementaire de l’automne. Ce délai, imposé par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), la loi de référence qui fixe les règles budgétaires depuis 2001, a toujours été respecté.
Mais dans le contexte actuel d’incertitude politique, alors que le nouveau Premier ministre n’est toujours pas nommé, le budget pourrait arriver après la date butoir du 1er octobre.
Un retard a déjà été pris dans l’envoi de certains documents de synthèse nécessaires à la préparation de la discussion budgétaire à venir. Le président de la commission des Finances Éric Coquerel, et son collègue Charles de Courson, rapporteur général du budget n’ont reçu qu’hier soir ces documents sur la trajectoire des finances publiques et sur les budgets prévus par ministère, qu’ils demandaient aux ministres Bruno Le Maire et Thomas Cazenave. Ils avaient menacé d’aller directement à Bercy faire des investigations "sur pièces et sur place", pour permettre au Parlement d’exercer son pouvoir de contrôle.
Le gouvernement démissionnaire a également envoyé avec un mois de retard aux différents ministères les "lettres-plafonds" qui fixent les volumes de crédits pour chacune des missions de l’État.
Ces retards pourraient impacter le calendrier habituel de la discussion budgétaire, alors que la session ordinaire du Parlement s’ouvre dans moins d’un mois.
"Le gouvernement [démissionnaire] n’envisage pas le dépôt du budget à une autre date (que le 1er octobre)", ont assuré ce lundi les services du Premier ministre à l'AFP, après un article du journal Le Monde évoquant un éventuel retard dans le dépôt du budget. Tout a été "préparé techniquement" pour permettre des arbitrages rapides et un dépôt du budget "dans les délais prévus par la loi organique", affirme Matignon, cité par l’AFP.
Le budget est traditionnellement bouclé à la mi-septembre, pour permettre au Haut Conseil des finances publiques, puis au Conseil d’État , de l'examiner dans les délais constitutionnels, et de rendre son avis sur le projet de loi de finances.
Il reste, de fait, peu de temps au gouvernement pour finir de préparer son PLF et le déposer sur le bureau de l’Assemblée le 1er octobre au plus tard.
Un précédent a eu lieu sous la Ve République, en 1962, après la dissolution décidée par le général de Gaulle. Les élections législatives qui ont suivi avaient retardé d’un mois l’examen du budget, conduisant le gouvernement à prendre des décrets d’avance pour autoriser les crédits, ce que nul n’avait contesté à l’époque.
"Il peut y avoir des cas d’urgence, où la présentation du budget serait décalée de quelques semaines", reconnaît Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences et constitutionnaliste. "Saisi en 2001 sur un texte budgétaire, le Conseil constitutionnel a estimé, en substance, qu’un retard devrait être apprécié en fonction de deux impératifs : la sincérité et la confiance dans les comptes, et la continuité de l’État (…) Tout dépend du délai et de la manière dont les choses sont présentées. Un délai de trois jours ne devrait pas poser de problème. Mais si on tarde de trois semaines, il peut y avoir un problème de constitutionnalité".
Cet éventuel report dans la présentation du budget serait également possible, compte tenu de la situation d’urgence actuelle, ouverte après la dissolution du Parlement : "Le Conseil constitutionnel est le seul interprète valable de ce cas de figure. (…) Il pourrait invoquer la nécessité d’assurer la continuité de la nation, comme il l’a déjà fait pendant l’épidémie de Covid, en évoquant des circonstances particulières", estime aussi Thibault Mulier, maître de conférences et constitutionnaliste.
Article réalisé par Kathia Gilder