Chine : l'Assemblée nationale reconnaît et condamne le "génocide" des Ouïghours

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Assemblée nationale, le 20 janvier 2022
par Maxence Kagni, le Jeudi 20 janvier 2022 à 09:04, mis à jour le Jeudi 20 janvier 2022 à 14:59

Les députés ont adopté, jeudi 20 janvier, une proposition de résolution socialiste qui "condamne le caractère génocidaire des violences politiques ainsi que des crimes contre l’humanité perpétrés par la République populaire de Chine".

Les députés reconnaissent officiellement les violences perpétrées par la Chine à l'encontre des Ouïghours : il s'agit, selon eux, de crimes contre l'humanité et d'un génocide. L'Assemblée nationale a adopté jeudi matin une proposition de résolution qui porte "sur la reconnaissance et la condamnation du caractère génocidaire des violences politiques systématiques ainsi que des crimes contre l’humanité actuellement perpétrés par la République populaire de Chine à l’égard des Ouïghours" (169 pour, 1 contre, 5 absentions). 

"Nous avons le devoir de qualifier le martyre que subit aujourd'hui la minorité Ouïghoure en Chine, nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas", a expliqué jeudi Olivier Faure. Le premier secrétaire du PS ouvrait les débats sur ce texte présenté à l'occasion de la journée d'initiative parlementaire du groupe "Socialistes".

"La Chine ne doit pas pouvoir menacer impunément les libertés et le respect des droits humains", a aussi expliqué l'auteur du texte Alain David (Socialistes), qui a repris à son compte une proposition de résolution rédigée en juin par Frédérique Dumas (Libertés et Territoires).

"Alerter nos concitoyens" 

Le texte a notamment pour objectif "d'alerter nos concitoyens" sur les événements qui se déroulent dans la région autonome du Xinjiang. "Les Ouïghours déplorent la sinisation de leur région induite par des politiques migratoires, linguistiques, sociales et culturelles constituant un danger immédiat pour la continuité de leur propre culture", expliquent les signataires du texte.

A la tribune de l'Assemblée nationale, Olivier Faure s'est livré à une longue description des sévices subis par les Ouïghours dans des camps : "Séances de tortures", viols, "stérilisations forcées", prélèvements d'organes sans consentement... "Deux à trois millions d'hommes et de femmes sont incarcérés de force dans plus de 1.400 camps de concentration", a ajouté le député socialiste, dénonçant "l'anéantissement au présent et au futur" de tout un peuple.

La résolution dénonce donc "la mise en place d’une politique d’État globale et systématique ayant pour intention de détruire les Ouïghours en tant que groupe à part entière (...) par des actes répétés de destruction". En la votant, l'Assemblée nationale demande officiellement "l’arrêt des politiques génocidaires, concentrationnaires et répressives mises en place par la République populaire de Chine".

Lors de sa prise de parole, Olivier Faure a également mis en cause l'action des grandes marques internationales "qui continuent d'utiliser le travail forcé" de ces populations. Une position qui rejoint celle de la députée Béatrice Descamps (UDI et indépendants), qui a critiqué la "complicité des entreprises occidentales" : "Nous devons aussi porter une attention particulière à la cessation des pratiques commerciales qui permettent aux entreprises de se soustraire à leur responsabilité à l'égard de la présence d'esclaves dans les chaînes d'approvisionnement."

La "sagesse" du gouvernement

La proposition de résolution a reçu le soutien de Vincent Ledoux (Agir ensemble), Jean-Michel Clément (Libertés et Territoires), Maud Gatel (MoDem), Fiona Lazaar (apparentée La République en marche), mais aussi de Cédric Villani (non inscrit). "Il est temps pour notre Assemblée nationale de sortir de son silence", a également affirmé Constance Le Grip (Les Républicains). "Il ne s'agit pas de montrer un Etat du doigt mais d'adresser un message", a quant à lui expliqué le président du groupe La République en marche Christophe Castaner.

Les députés socialistes voulaient, avec cette résolution, demander au gouvernement d'adopter "officiellement" la position présentée dans le texte. Et que celui-ci utilise le mot de "génocide" pour qualifier les actions de la Chine. "Face à la gravité de la situation au Xinjiang, la France dénonce avec force, de manière constante, et à tous les niveaux ces pratiques inqualifiables et injustifiables", a répondu jeudi le ministre délégué, Franck Riester, qui représentait l'Exécutif lors de ce débat.

Énumérant longuement les actions menées par la France pour défendre les droits de l'Homme en Chine, le ministre a néanmoins refusé de se prononcer sur le caractère "génocidaire" des actions menées à l'encontre des Ouïghours. "Vous me donnerez acte qu'il n'appartient pas au gouvernement de s'exprimer au sujet de la caractérisation juridique de la situation", a déclaré Franck Riester. Le gouvernement s'en est donc remis "à la sagesse des parlementaires afin que ceux-ci s'expriment librement en vertu du principe de séparation des pouvoirs".

Définir le génocide

Le groupe La France insoumise a pour sa part décidé de s'abstenir sur ce texte. "Le régime chinois se rend coupable de crime contre l'humanité", a d'emblée assuré Clémentine Autain (LFI), dénonçant également la "destruction à marche forcée d'une culture". Mais l'élue "s'interroge sur l'emploi du terme 'génocide' pour qualifier ces atrocités". Car "l'ONU ne reconnaît que trois génocides, celui des Arméniens par l'empire ottoman, le génocide des Juifs par les nazis, et celui des Tutsis par le pouvoir Hutu dans lequel la France a une part de responsabilité". Selon Clémentine Autain, "les mots doivent être pesés avec justesse et précision" : la députée estime qu'il ne faut pas "combler la faiblesse des actes par l'inflation des mots".

Jean-Paul Lecoq (Gauche démocrate et républicaine) s'est lui aussi abstenu. Affirmant sa volonté de ne "pas soutenir la Chine", l'élu a dénoncé une "nouvelle guerre froide" dans laquelle "beaucoup de forces économiques et politiques ont intérêt à faire de la Chine un Etat sanguinaire pour préparer l'opinion à la guerre économique voire pire". Le député communiste estime que "la désignation d'un génocide ou d'un crime contre l'humanité n'appartient pas au législateur mais au juge international après une enquête et procès équitable".

"La seule façon d'agir, c'est d'agir ici", leur a répondu Olivier Faure, qui a évoqué l'impuissance du Tribunal pénal international et de l'ONU. Le texte a été massivement adopté par 169 voix. Un seul député a voté contre :  l'élu La République en marche Buon Tan. Et cinq députés se sont abstenus : Clémentine Autain, Ugo Bernalicis, Danièle Obono et Mathilde Panot du groupe LFI et Jean-Paul Lecoq du groupe GDR.  La résolution adoptée par l'Assemblée se rapproche de la celle du Parlement européen, en date 17 décembre 2020, "sur le travail forcé et la situation des Ouïghours dans la Région autonome ouïghoure du Xinjiang".