Cinéma, audiovisuel, mode... : l'Assemblée nationale lance une commission d'enquête sur les "abus et violences" dans ces secteurs

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Judith Godrèche dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, le 2 mai 2024.
Judith Godrèche à l'Assemblée nationale lors de l'examen de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête relative aux violences dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, de la mode et de la publicité, le 2 mai 2024 - LCP
par Soizic BONVARLET, le Jeudi 2 mai 2024 à 17:50, mis à jour le Jeudi 2 mai 2024 à 18:45

Issue d'une volonté transpartisane, la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative "aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité", a été votée à l'unanimité, ce jeudi 2 mai, par l'Assemblée nationale. Présente dans les tribunes, l'actrice et réalisatrice Judith Godrèche, qui avait appelé les députés à créer une telle commission d'enquête, est apparue visiblement émue.

"160 000. C'est le nombre estimé de mineurs victimes de violences sexuelles tous les ans en France (...) Ce chiffre terrible me hante". Le 14 mars dernier, Francesca Pasquini (Ecologiste) avait déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale une proposition de résolution transpartisane, afin que puisse être créée une commission d'enquête relative "à la situation des mineurs dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode".

"Mécanismes de prédation, d'isolement et d'omerta"

Auditionnée à l'Assemblée nationale ce même 14 mars, l'actrice, réalisatrice et écrivaine, Judith Godrèche - qui a porté plainte pour viols sur mineure contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon -, avait exhorté les députés à "prendre l'initiative d'une commission d'enquête sur le droit du travail dans le monde du cinéma, et, en particulier, ses risques pour les femmes et les enfants".

Désormais étendue à un champ plus large que dans le titre initial, la proposition de résolution portée par Francesca Pasquini et co-signée par près de 80 députés de 9 groupes différents, vise à la création d'une commission d'enquête sur les "violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité".

Le texte voté indique qu'il s'agira : 

  • D’évaluer la situation des mineurs évoluant dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ;
  • De faire un état des lieux des violences commises sur des majeurs dans les secteurs mentionnés ;
  • D’identifier les mécanismes et les défaillances qui permettent ces éventuels abus et violences et d’établir les responsabilités de chaque acteur en la matière ;
  • D’émettre des recommandations sur les réponses à apporter.

"Les industries du cinéma, de l'audiovisuel, de la publicité, de la mode et du spectacle vivant (...) partagent des caractéristiques communes", a aussi expliqué Francesca Pasquini. "Les mécanismes de prédation, d'isolement et d'omerta sont les mêmes partout, mais ils semblent s'épanouir d'autant plus dans ces industries qui fonctionnent en vase clos comme une grande famille, et où le rapport entre enfants et adultes, et le rapport au corps et à l'image, sont si particuliers".

La députée écologiste n'a pas tardé à dresser la liste - non exhaustive - "des courageuses et des courageux ayant témoigné", parmi lesquels Judith Godrèche, dont elle a rappelé qu'elle avait "directement formulé le souhait de création d'une commission d'enquête". "Nous voterons pour la commission Godrèche", s'est ainsi exclamée Clémentine Autain (La France insoumise) lors de son intervention à la tribune, après avoir apparenté le monde du cinéma à un "univers de pouvoir (...) un territoire parfait pour la possession et pour l'emprise".

Nous voterons pour la commission Godrèche ! Clémentine Autain (LFI)

Sophie Taillé-Polian (Ecologiste) a pour sa part dénoncé la "romantisation de la transgression de l'artiste qui franchit les limites du tabou et de l'interdit", après que Francesca Pasquini a fustigé le phénomène "allant jusqu'à sublimer ces agressions et ces violences, glamourisant l'indicible".

Du côté de la majorité, Véronique Riotton (Renaissance) a également rendu un hommage appuyé aux "lanceurs et lanceuses d'alerte", qui ont pris le risque de rompre l'omerta, en particulier dans le monde du cinéma français. "Nous ne pouvons accepter que le corps de nos enfants, des femmes, soient sacrifiés sur l'autel de la culture", a aussi déclaré la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes. "Nous ne pouvons faire partie de ceux qui mettent la poussière sous le tapis", a estimé Erwan Balanant (Démocrate), "aujourd'hui réveillons-nous, agissons !", a-t-il martelé.

"Déviances post-soixante-huitardes"

"Mesurons les stigmates laissés par ces décennies de déviances libertaires", a avancé Annie Genevard (Les Républicains), évoquant des dérives liées à l'héritage de mai 68 et à la libération des mœurs qui a eu lieu dans la foulée. Elle a qualifié les visées de la commission d'enquête de "tout à fait salutaires", à la seule condition qu'elle respecte à la fois la parole des victimes et la présomption d'innocence.

Angélique Ranc (Rassemblement national) a, elle aussi, dénoncé des agissements commis pour la plupart à "la pire époque, celle issue du libertarisme post-soixante-huitard", avant de regretter que les députés du RN aient été "écartés de la co-signature" de la proposition de résolution, dénonçant un réflexe qui ne serait "pas à la hauteur du sujet".

Indiquant qu'à l'issue de ses travaux, le rôle la commission d'enquête sera de "faire des recommandations, et de proposer des modifications de la loi lorsque ce sera nécessaire", Francesca Pasquini a considéré qu'il était de la responsabilité du Parlement "de prendre le relais pour faire toute la lumière sur ces violences systémiques, et pour s'assurer qu'elles ne se reproduisent plus".

Juste avant que la proposition de résolution ne soit mise aux voix, Perrine Goulet (Démocrate) s'est adressée à Judith Godrèche, présente dans les tribunes. "Chère Judith, si les autres ne vous ont pas entendue, nous vous avons entendue, nous députés, alors aujourd'hui nous allons faire mieux que vous écouter, nous allons agir, parce qu'il y a urgence", a déclaré la présidente de la délégation aux droits des enfants de l'Assemblée. Visiblement émue, l'artiste a applaudi l'adoption à l'unanimité de la proposition de résolution. Les travaux de la commission d'enquête devraient commencer le 14 mai, avec sa réunion constitutive. Et ses auditions débuteront autour du 20 mai, pour une durée maximale de six mois, avant la remise du rapport qui sera présenté à l'issue. 

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