Conditions d'accès à "l'aide à mourir" : les députés réintroduisent le "pronostic vital", sans revenir à l'expression "à court ou moyen terme"

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Catherine Vautrin LCP 06/06/2024
Catherine Vautrin dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, le 6 juin 2024 (© LCP)
par Raphaël Marchal, le Jeudi 6 juin 2024 à 21:37

L'Assemblée nationale a trouvé un compromis, ce jeudi 6 juin, sur l'un des points clés du projet de loi sur la fin de vie, qui instaure une "aide à mourir". En commission spéciale, parmi les conditions à remplir pour accéder à cette "aide à mourir", les députés avaient remplacé la notion de "court ou moyen terme" par celle "phase avancée ou terminale", effaçant, en outre, le "pronostic vital" engagé de cette partie du texte. Dans l'hémicycle, contrairement à ce que souhaitait le gouvernement, l'expression "court ou moyen terme" n'a pas été rétablie, mais le "pronostic vital" a été réintroduit.  

Soudain, au moment d'examiner les conditions cumulatives d'accès à "l'aide à mourir", l'ambiance s'est faite plus dure dans l'hémicycle. Et plus particulièrement lors de la discussion sur la troisième de ces conditions, relative à l'état du malade. En commission spéciale, au terme d'un débat animé, les députés avaient retenu la nécessité d'être atteint d'une "affection grave et incurable en phase avancée ou terminale".

Une rédaction qui ne satisfaisait ni le gouvernement, ni un certain nombre de députés. "Phase avancée, ça ne veut rien dire, médicalement" a, par exemple, dit et répété Philippe Juvin (Les Républicains). Plusieurs élus craignaient aussi que cette formulation ne soit pas suffisamment restrictive, aboutissant à ouvrir "l'aide à mourir" à des affections neurodégénératives qui n'auraient pas été prise en compte par la formulation initiale retenue par le gouvernement. C'est, au contraire, exactement pour cette raison que d'autres députés, comme Marie-Noëlle Battistel (Socialistes) trouvaient la version votée en commission satisfaisante.

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Inversement, le gouvernement a tenté de revenir sur la version de la commission "problématique",  par la ministre de la Santé, Catherine Vautrin, qui a donc marqué sa préférence au retour au texte initial : celle d’une "affection grave et incurable engageant [le] pronostic vital à court ou moyen terme". "Nous disposons de suffisamment de travaux de recherches pour considérer que le terme de 'moyen terme' est approprié et pragmatique", a-t-elle affirmé, citant les travaux de l'Ordre national des médecins et de l'Académie de médecine, tentant ainsi de devancer les critiques pesant sur l'absence de définition du "moyen terme". La ministre a d'ailleurs chargé la Haute Autorité de santé (HAS) de formuler des recommandations sur l'appréciation de cette notion. Une réponse qui n'arrivera cependant pas avant l'horizon 2025.

De nombreuses variantes et un amendement de compromis

Un argumentaire qui n'a pas pleinement convaincu l'hémicycle. Le "moyen terme" faisant toujours figure de repoussoir pour nombre de députés. Jusqu'au rapporteur général, Olivier Falorni (Démocrate), qui a redit pourquoi retenir ce critère du reste à vivre "ne serait pas seulement une erreur, mais une faute". "Il faut quand même oser de vouloir demander à un médecin d'être un devin", a-t-il considéré. Avant de citer le président de la HAS, Lionel Collet, qui avait plaidé pour ne pas fixer de délai dans le texte.

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Pour beaucoup de députés, réintroduire le critère du "pronostic vital" engagé était une nécessité ; celui du moyen terme, une erreur. "Si le mot 'moyen' figure encore dans votre amendement, nous ne le voterons pas", a averti Marc Le Fur (Les Républicains), par ailleurs opposé à "l'aide à mourir".  "On ne peut pas voter, en tant que législateurs, une notion indéfinie", a renchéri Christophe Bentz (Rassemblement national). "La notion de moyen terme est indéfinissable, et de nombreux médecins nous l'ont dit", a averti Christine Pirès Beaune (Socialistes), quant à elle favorable au projet de loi. "Nous n'avons pas entendu une personne qui valide la notion de moyen terme" a, pour sa part, renchéri Gilles Le Gendre (Renaissance), évoquant les auditions préparatoires menées avant l'examen du texte. "Vous nous proposez de remplacer une version non satisfaisante par une version non satisfaisante. Il faut que nous retravaillions cette affaire-là", a-t-il estimé. 

[Une personne malade devra] Être atteinte d’une affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale. Formulation retenue par les députés pour avoir accès à l'aide à mourir, dans le projet de loi sur la fin de vie.

Finalement, l'Assemblée nationale a fait son choix parmi la multitude de variantes proposées en adoptant l'amendement de Géraldine Bannier (Démocrate), après avoir rejeté celui du gouvernement, retenant ainsi une formulation hybride, conservant une partie de chaque version du texte - commission spéciale et projet de loi initial. Pour avoir accès à l'aide à mourir, un malade devra donc être atteint "d'une affection grave et incurable, qui engage son pronostic vital, en phase avancée ou terminale". 

Une formulation qui pourrait encore changer au fil du parcours législatif du texte, qui ne fait que commencer, et de la réflexion des parlementaires, qui sera notamment nourrie par l'avis que rendra la Haute Autorité de santé. Le choix fait à ce stade n'a d'ailleurs pas chassé tous les doutes, comme l'a finement fait savoir Jérôme Guedj (Socialistes) : "J'ai rarement loué les vertus du bicamérisme, mais là, je suis ravi d'avoir du temps", a-t-il déclaré alors que le projet de loi fera l'objet d'au moins deux lectures à l'Assemblée nationale et deux lectures au Sénat.