"Conseil national de la refondation" : chance ou menace pour les députés ?

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Emmanuel Macron le 27 juillet 2022
par Soizic BONVARLET, le Mercredi 7 septembre 2022 à 09:51, mis à jour le Jeudi 8 septembre 2022 à 15:51

Le président de la République a officiellement lancé le Conseil national de la refondation jeudi 8 septembre à Marcoussis (Essonne). Malgré le boycott des partis d'opposition et de plusieurs syndicats, il a réaffirmé la volonté, au travers de cette nouvelle instance, de "bâtir du consensus sur la situation de la France et son avenir". Du côté des députés, le risque d'un contournement du Parlement est évoqué.

"Innovation démocratique", "nouvelle méthode pour travailler ensemble" : c'est ainsi que le chef de l’État a choisi de définir la nouvelle structure de dialogue dont la séance inaugurale a eu lieu ce jeudi à Marcoussis. Annoncé quelques jours avant le premier tour des élections législatives, en juin dernier, Emmanuel Macron avait indiqué que le Conseil national de la refondation (CNR) réunirait "les forces politiques, économiques et sociales, associatives, des élus des territoires et des citoyens tirés au sort", afin de mener une réflexion concertée autour de grands projets pour le pays, qui gagneraient ainsi en légitimité. "Ce sera l’instance dans laquelle nous ferons vivre nos réformes", avait aussi indiqué le chef de l'État.

Et c'est là où le bât blesse, les acteurs de la démocratie représentative et de la concertation sociale s'estimant pour nombre d'entre eux concurrencés par la perspective de cette nouvelle instance, voire tout bonnement doublés. D'où le boycott de la CGT, FO et de la CFE-CGC (contrairement à la CFDT et à la CFTC), tout comme de l'ensemble des partis de gauche (PS, PCF, EELV et LFI), ainsi que des Républicains et du Rassemblement national.

La journée de lancement du CNR a néanmoins réuni une quarantaine de participants, dont les représentants des grandes associations d'élus locaux, qui avaient exprimé dans un premier temps leurs réticences, avant de finir par se laisser convaincre. Emmanuel Macron y a prononcé un discours introductif, avant la tenue d'une grande table ronde à huis clos.

Les parties prenantes de l’événement devaient notamment plancher sur la méthode à déployer afin de s'emparer des grands chantiers cités par le président de la République tels que "l'école, la santé, le plein emploi". Il a également évoqué les grands défis liés aux transitions démographique et climatique. Emmanuel Macron a souhaité que les personnalités présentes lors de cette première journée d'échanges puissent "lancer un calendrier de travail pour les prochains mois et les prochaines années". Interrogé sur les nombreuses défections, il n'a pas hésité à répondre : "Il y a une formule de bon sens qui dit que les absents ont toujours tort. Cela vaut pour aujourd'hui aussi". La Première ministre prendra le relais du chef de l’État pour superviser le CNR, au sein duquel François Bayrou occupe la fonction de secrétaire général.

Emmanuel Macron a par ailleurs annoncé le lancement d'une consultation nationale dans les jours à venir, afin de "remettre nos compatriotes au coeur des grands choix de la nation". Une initiative qui n'est pas sans rappeler les cahiers de doléances installés dans les mairies et accessibles en ligne lors du précédent quinquennat, en 2019. Le chef de l’État a également indiqué ne pas "exclure" le recours au référendum.

Pour les oppositions, le risque d'un Parlement contourné

"Je pense que cette instance ne peut parvenir à une rénovation de la démocratie à laquelle vous aspirez", avait écrit le président du Sénat dans un courrier adressé à Emmanuel Macron le 26 août dernier à propos du CNR. Gérard Larcher (LR) s'était ainsi inquiété d'une "confusion des rôles" et d'"une forme de contournement du Parlement, c'est-à-dire de la représentation nationale". Le député du Lot et secrétaire général des Républicains Aurélien Pradié s'était pour sa part dit "surpris", "par la manière dont Emmanuel Macron prend de grandes libertés avec notre organisation démocratique", avant de qualifier le CNR de "bidule".

Dès l'annonce de sa mise en place par le Président de la République, Marine Le Pen avait dénoncé quant à elle un "énième artifice de communication qu’Emmanuel Macron a trouvé pour faire croire qu'il changera sa politique et sa manière de gouverner".

Jean-Luc Mélenchon avait pour sa part qualifié le CNR de "saison 2 du grand blabla", après "la première saison du grand blabla", émaillée par le Grand débat et la Convention citoyenne pour le climat. "Rien n'a été appliqué, absolument rien", avait-il ajouté, prédisant le même sort à la nouvelle instance de concertation voulue par le président de la République.

Christine Pirès-Beaune (Socialistes et apparentés) confirme que l'opposition de gauche a pu être "échaudée" par l'expérience de la Convention citoyenne pour le climat, dont les propositions n'ont pas été suffisamment reprises à son goût. Elle indique aussi que la question de l'éventuelle participation au lancement du CNR a fait l'objet de discussions au sein de son groupe et de son parti, et qu'un large consensus s'y est dégagé en faveur du boycott. "Entre les organisations syndicales, le Parlement et le Conseil économique social et environnemental (CESE), on a déjà tous les organes nécessaires pour faire de la concertation", argue la députée du Puy-de-Dôme, "alors perdre du temps dans une concertation qui n'en est pas une, et qui s'apparente plutôt à de la communication..." Elle critique d'autre part le choix d'un très proche du président de la République en la personne de François Bayrou pour chapeauter le dispositif : "Quand on veut créer une instance supposée être au-dessus des partis, on nomme quelqu’un de neutre, pas le Commissaire au plan".

Quant à la possibilité d'un recours au référendum, Danièle Obono (La France insoumise) évoque une autre manière, sur la forme, de "passer outre le Parlement". Si sa famille politique est plutôt favorable au principe du référendum, elle considère que le chef de l’État "décrédibilise des outils qui pourraient revitaliser la démocratie" par des propos qu'elle juge "insincères".

Si le principe d'une consultation peut m'intéresser en tant que citoyenne, en tant que parlementaire, la question que je me pose est celle de l'après. Qui va trancher ? Danièle Obono.

Pour la députée de Paris, il y aurait sans conteste un débat à mener au Parlement sur la démocratie participative, qu'elle souhaite voir cohabiter avec la démocratie représentative. En attendant, la méthode choisie par Emmanuel Macron relève selon elle du "gadget", et pourrait même alimenter le discrédit institutionnel.

La majorité tempère

Erwan Balanant, député MoDem et proche de François Bayrou, confie ne pas comprendre les réticences de l'opposition, qui préfèrent appliquer la politique de la chaise vide. "L'idée du CNR n'est pas de travailler à un texte de loi pour demain", argue-t-il, "mais de poser un cadre des grandes réformes de notre pays pour les années à venir". Pour le député du Finistère, il s'agit avant tout de contribuer à bâtir "une vision sur le long terme de notre société", au travers d'"un dialogue constructif de toutes les forces vives de notre pays".

Je ne vois pas pourquoi il y a la peur pour certains de se faire déposséder de quoi que ce soit. Le Parlement continuera de légiférer. Erwan Balanant

Le député du Finistère voit donc dans le CNR une opportunité de travailler en amont des débats parlementaires, ainsi que la mise en œuvre d'une articulation entre démocratie représentative et participative. Il évoque la possibilité d'une courroie de transmission entre CNR et Parlement, dont le modus operandi pourrait être défini dès demain par les membres du CNR. "Il s'agit avant tout de se mettre autour de la table pour penser le commun, je trouve très bien d'avoir cet espace", ajoute le député, pour qui le CNR a plus vocation à défricher les grandes problématiques qui travaillent la société, qu'à se substituer au rôle du Parlement.

Frédéric Valletoux, lui aussi membre de l'arc majoritaire puisqu'il siège au groupe "Horizons et apparentés" à l'Assemblée nationale, qualifie pour sa part les propos de Gérard Larcher d'"un peu excessifs". Il évoque aussi concernant le président du Sénat "un habillage sémantique pour cacher une volonté de ne pas participer à cette instance pour des raisons politiques". Pour lui non plus, le CNR ne menace en aucun cas le Parlement.

Ce n'est pas parce qu'on réunit des partenaires pour trouver des convergences que L'on fait une entorse au Parlement. Le vote de la loi reste sa prérogative. Il ne s'agit pAS de dessaisir le Parlement de ses missions. Frédéric Valletoux

Selon le député de Seine-et-Marne, le diagnostic du chef de l’État à propos d'un pays en proie à des blocages forts s'avère juste, "d'où la volonté de réunir les forces vives pour donner un peu d'élan aux réformes futures". S'il concède que c'est un type d'exercice dont la France n'a pas l’habitude, il voit dans l'absence revendiquée de certains "un aveu de faiblesse". "C'est toujours un mauvais signal de refuser de débattre", considère Frédéric Valletoux. Il relativise aussi la frilosité d'Edouard Philippe, ce dernier s'étant pour le moins montré dubitatif au lendemain de l'annonce du président de la République. "Je suis attaché au caractère parlementaire de la Ve République. Rien ne peut concurrencer l'Assemblée nationale et le Sénat", avait ainsi martelé l'ancien Premier ministre en juin dernier. En déplacement au Canada, il ne sera pas présent à Marcoussis. Le parti Horizons sera néanmoins représenté par Stéphanie Guiraud-Chaumeil, la maire d'Albi.

"Édouard Philippe n'a jamais dit que ça ne marcherait jamais". fait valoir Frédéric Valletoux, évoquant "un scepticisme qui est né aussi du constat qu'un certain nombre d'acteurs qui auraient dû être autour de la table ont annoncé qu'ils ne viendraient pas", à l'instar de plusieurs grandes centrales syndicales et des partis d'opposition. "Tout le monde se demande sur quoi va déboucher cette instance et si elle sera efficace pour débloquer la société française, c'est un essai", ajoute le député de Seine-et-Marne.

"Peut-être qu’Édouard Philippe fait partie d'une tradition qui aime bien que les choses ne bougent pas trop au plan institutionnel", risque pour sa part Erwan Balanant, évoquant ce qui ferait la "richesse de la majorité", composée selon lui d'esprits "disruptifs" et d'autres "plus conservateurs".