L'ancien ministre de la Santé, auditionné jeudi par la commission d'enquête sur la gestion de l'épidémie de Covid-19, a mis en cause un changement de doctrine opéré, selon lui, en 2013 et qui aurait créé un "trou noir" dans la gestion des stocks de masques.
"Disons les choses clairement, c'est un problème d'argent quasiment du début jusqu'à la fin." Jeudi, l'ancien ministre de la Santé Xavier Bertrand (de Jacques Chirac 2005-2007 et de Nicolas Sarkozy 2010-2012) était auditionné par la commission d'enquête sur la gestion de l'épidémie de coronavirus.
Il a défendu son action, affirmant que lors de son départ du ministère en 2012, il restait 1,4 milliard de masques en stock. Xavier Bertrand a également nié être à l'origine d'un changement de doctrine qui aurait eu lieu en 2011 et qui aurait entrainé une baisse du nombre de masques disponibles.
Selon Xavier Bertrand, c'est bien la "pénurie" de tests ou de masques qui a dicté les mesures prises par l'Etat lors de la crise du coronavirus.
La pénurie des masques a fixé en quelque sorte la doctrine publique. Xavier Bertrand
Le président de la région Hauts-de-France estime que cette pénurie est la conséquence des actions de "tout un système qui s'est fait bouffer la tête par des logiques court-termistes, budgétaires et comptables". Alors que les "masques coûtent cher", cette logique se serait "encore plus" imposée "au fil des années".
Déclarant ne pas vouloir "pointer les responsabilités des uns et des autres", Xavier Bertrand a pourtant critiqué, en creux, Agnès Buzyn. L'ancienne ministre de la Santé d'Emmanuel Macron, auditionnée mardi par la commission d'enquête, a expliqué qu'elle n'avait pas été mise au courant en 2018 qu'une partie importante du stock stratégique de masques était périmée. "[C'était] de la responsabilité de l'agence [Santé publique France] de reconstituer les stocks", a assuré Agnès Buzyn devant les députés.
"La responsabilité politique ne se partage pas et ne se délègue pas", lui a répondu jeudi Xavier Bertrand. Le président de la région des Hauts-de-France évoque même une loi du 5 mars 2007, selon laquelle c'est "le ministre ou son représentant (le directeur général de la Santé) qui fixe chaque année les moyens pour le nombre de masques qu'il y aura besoin de commander pour atteindre les objectifs-cibles".
Xavier Bertrand a également critiqué le gouvernement, accusé d'avoir "infantilisé" la population : "On a entendu que les masques n'étaient pas utiles ou que l'on ne saurait pas les mettre", déplore l'ancien ministre, qui estime qu'il fallait "dire la vérité" et reconnaître que les masques manquaient.
Xavier Bertrand a également profité de son audition pour nier vigoureusement être à l'origine de la fonte des stocks d'Etat de masques. "Quand je quitte mes fonctions [en 2012], il y a 1,4 milliard de masques en France", a-t-il affirmé, avant de nier tout changement de doctrine en 2011.
Le président des Hauts-de-France évoque certes un "avis du Haut conseil de la Santé publique relatif à la stratégie à adopter concernant le stock d'Etat de masques respiratoires". Mais, assure-t-il, celui-ci dit simplement "que le masque FFP2 doit être réservé en priorité aux professionnels de santé les plus exposés". A ce moment-là, précise Xavier Bertrand, "on ne dit pas qu'il n'en faut plus, on ne dit pas qu'il en faut moins". "Pendant la crise du H1N1, on n'a jamais manqué de masques", a ajouté l'ancien ministre, pour prouver sa bonne foi.
Xavier Bertrand reconnaît également avoir signé une "instruction ministérielle" en 2011 qui distingue les stocks stratégiques (gérés par l'Etat) et les stocks tactiques (gérés par les établissements de santé). Mais, précise l'ancien ministre, les masques n'ont jamais fait partie de ces stocks tactiques gérés localement.
Par ailleurs, explique-t-il, si les choix opérés en 2011 étaient mauvais, François Hollande et Emmanuel Macron, mais aussi leurs Premiers ministres et ministres de la Santé, avaient tout le loisir de modifier cette doctrine.
Selon Xavier Bertrand, il y a bien eu un changement de doctrine, mais datant en réalité du 16 mai 2013. Elaborée par le secrétariat général de la Défense nationale (SGDSN), celle-ci prévoit qu'"il revient à chaque employeur de déterminer l'opportunité de constituer des stocks de masques pour protéger son personnel".
"A partir de cette date, vous entrez dans un trou noir", estime Xavier Bertrand, puisque la question de savoir qui fournira des masques aux médecins libéraux n'a pas été tranchée. "Là, vous avez un délitement de la responsabilité", analyse l'ancien ministre.
D'après lui, "ce n'est pas le ministère de la Santé qui a élaboré cette doctrine" car le SGSDN est "rattaché à Matignon". A cette époque-là, analyse-t-il, on considérait que "le ministère de la Santé en avait trop fait" lors de la crise du H1N1. Il estime donc qu'il y avait une volonté de "reprise en main" qui culminera avec la dissolution, en 2016, de l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) dans une nouvelle entité plus vaste, Santé publique France.
C'est cette nouvelle doctrine qui, selon Xavier Bertrand, a entraîné la pénurie de masques constatée pendant la crise du coronavirus. Cette doctrine a permis de faire "des économies de trois francs six sous", mais "au bout d'un moment vous avez aussi un drame", a estimé le président de la région Hauts-de-France. "Quand c'est chaque employeur qui paie, ce n'est plus l'Etat qui paie", commente Xavier Bertrand, qui critique une "logique budgétaire".
L'ancien ministre a par ailleurs pris le contre-pied de Roselyne Bachelot, auditionnée la veille par la commission d'enquête. L'ancienne ministre avait mis en cause les médecins libéraux, en sous-entendant qu'ils ne s'étaient pas assez "pris en main" pendant la crise. "Les professionnels de santé libéraux sont également les bras armés de l'Etat, ils doivent être protégés par l'Etat", a déclaré Xavier Bertrand, qui estime que cela relève d'une compétence régalienne.