Crèches : une mission parlementaire préconise un "investissement massif" pour redynamiser un "secteur en crise"

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Isabelle Santiago (PS) LCP 8/11/2023
Isabelle Santiago (PS) à l'Assemblée, mercredi 8 novembre 2023 (© LCP)
par Raphaël Marchal, le Mercredi 8 novembre 2023 à 18:37, mis à jour le Mercredi 8 novembre 2023 à 18:50

Face à un secteur de la petite enfance "en crise", les députées Michèle Peyron (Renaissance) et Isabelle Santiago (Socialistes) jugent nécessaire de mettre en place un "plan d'urgence" destiné à répondre à la pénurie de professionnels. 

Au terme d'un mois de travail, la mission flash sur les "perspectives d'évolutions de la prise en charge des enfants dans les crèches" a rendu ses conclusions devant la délégation aux droits des enfants, mercredi 8 novembre. Ce travail, pensé dans "l'intérêt supérieur de l'enfant", s'inscrivait à la suite d'un rapport rendu par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) en avril dernier.

Dans leur rapport, Michèle Peyron (Renaissance) et Isabelle Santiago (Socialistes et apparentés), dressent un constat alarmant d'un secteur en "crise", menacé à court terme par une pénurie de personnels. "Aujourd’hui, 10 000 professionnels manquent déjà dans les 468 000 places de crèches, 20 000 professionnels partiront à la retraite d’ici 2027 et, pour trois places de crèche (ouvertes 55 heures par semaine), il faut des professionnels (35 heures par semaine) en adéquation avec le taux d’encadrement", soulignent-elle. En outre, les "professionnels continuent de quitter le secteur".

L'urgence de la formation

Afin de répondre à ces enjeux, les deux élues brandissent "l'urgence absolue" de la formation des professionnels de la petite enfance. Elles préconisent la mise en place d'un "plan d'urgence" pour augmenter les places de formation, tout en renforçant la qualité des enseignements dispensés aux étudiants. "Employer davantage de professionnels ne doit pas aller de pair avec un nivellement par le bas des compétences", insistent-elles.

Dans leur boîte à outils, les députées proposent de fixer des objectifs nationaux de formation, tout en menant des campagnes de promotion des métiers de la petite enfance. Jugeant la formation initiale "trop généraliste", elles insistent sur la nécessité de la réformer, en renforçant les enseignements sur les neurosciences et la pratique - notamment via la mise en place d'un stage obligatoire de 6 mois en crèche publique. Par ailleurs, afin de garantir la qualité de ces formation, la mission invite à interdire les formations en ligne dès 2024, tout comme à interdire progressivement tout recrutement d'une personne ne disposant pas d'un diplôme d'Etat.

Améliorer les conditions d'exercice

Autre axe de réflexion pour répondre à la crise du secteur, l'amélioration des conditions d'exercice d'un travail "physiquement et psychologiquement éprouvant". Et, en premier lieu, de la rémunération des personnels. Sans surprise, "le salaire des professionnels est un levier majeur pour attirer et fidéliser les professionnels de la petite enfance", écrivent Michèle Peyron et Isabelle Santiago. "Or, aujourd’hui, leur niveau de rémunération est proche du Smic car, bien que les dirigeants des structures œuvrent pour revaloriser les salaires des professionnels, ils sont confrontés à une forte inflation et à de nombreuses hausses du Smic successives non répercutées dans les prix d’accueil."

Une gageure dans un secteur privé où les organisations syndicales sont faiblement implantées, constatent-elles. Dans le public, "rien n'est prévu, alors que l’État se devrait de montrer l’exemple en la matière", observent-elles. Au-delà de la stricte rémunération, elles proposent une diversification des perspectives d'évolution, et de faciliter la reconversion et la sortie des métiers de la petite enfance.

Afin d'améliorer les conditions de travail des professionnels, les deux élues préconisent également de réduire la taille des groupes affectés à chacun d'entre eux, avec un ratio d'encadrement moyen d'un adulte pour cinq enfants lorsqu'ils marchent, et d'un adulte pour trois bébés. Elles invitent à revenir sur la possibilité d'accueil en surnombre, qui avait été mise en place en 2010.

L'incompatibilité de la dérèglementation

Les deux députées portent un regard sévère sur la dérèglementation du secteur, qui a véritablement pris son essor en 2010, époque à laquelle "les crèches privées lucratives se sont développées, avec des modèles de rentabilité qui tiennent difficilement compte des besoins fondamentaux des enfants, dans une logique de [...] profitabilité".

Au-delà de cette "incompatibilité", l'émergence du modèle privé remet en cause l'existence des crèches publiques, déplorent Michèle Peyron et Isabelle Santiago. Les élues préconisent un "changement de paradigme" en la matière, avec un investissement public massif destiné à s'assurer du "bien-être" des enfants. À l'heure actuelle, sur les 460 000 places d'accueil, 50 % relèvent des crèches publiques, 27 % des crèches privées et 23 % des crèches associatives.

Parmi les préconisations, les deux élues jugent nécessaire de repenser les modes de financement des crèches, jugeant que celui-ci, calé sur une tarification à l'heure, favorise une telle dérèglementation. Elles proposent d'expérimenter la mise en place d'un forfait à la demi-journée en lieu et place du système existant.

La durée relativement courte de la mission n'a pas exonéré les élues de réfléchir à plus long terme. Elles préconisent ainsi de doter la petite enfance d'un pilotage global de l'Etat. "Il est nécessaire de placer la petite enfance en tête des politiques publiques", a martelé Isabelle Santiago devant la délégation.

Répondre aux besoins des enfants

Dans une partie davantage centrée sur la psychologie de l'enfance, la mission renverse la logique de crèches tournées vers les besoins des parents. Selon l'instance, le développement des neurosciences et la démocratisation des connaissances ont fait que "les crèches doivent s’adapter à ces connaissances nouvelles et proposer des modalités d’accueil renouvelées répondant aux besoins des enfants".

Soulignant que la crèche représente le premier lieu de sociabilisation des enfants hors de leur domicile, les députées insistent sur l'importance de cette étape pour le développement de l'enfant, qui apprend à tisser des relations complexes avec ses semblables. De ce fait, elles jugent qu'il doit être en mesure d'identifier un adulte précis, qui lui "permettent de prendre confiance en lui et vis-à-vis du monde extérieur". À ce titre, les rapporteures préconisent d'interdire la pratique des places ponctuelles en crèche pour les enfants de moins de trois ans.

Dans le même temps, Michèle Peyron et Isabelle Santiago sensibilisent à la nécessité d'apporter un "soutien à la parentalité", décrivant la "pression sociale et sociétale très prononcée" qui pousse les parents à vite reprendre leur travail. Elles proposent en conséquence de porter le congé maternité à 12 semaines en postnatal, et soutiennent surtout la création d'un congé parental d’un an, à prendre entre parents, qui serait rémunéré à 67 % du salaire antérieur, en s'inspirant du modèle allemand.

Une proposition assez similaire à celle dévoilée ce même jour par la ministre des Solidarités et des Familles, Aurore Bergé. Au point de faire réagir Isabelle Santiago : "Vous souhaitez récolter les honneurs en flouant les députées qui ont travaillé sur le sujet", s'est agacée l'élue socialiste sur X (ex-Twitter) en s'adressant à la ministre.