Auditionné à l'Assemblée nationale, ce lundi 29 avril, le ministre de l'Intérieur et des Outre-er a appelé à une adoption sans modification du projet de loi constitutionnelle devant aboutir au dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie dans le cadre des élections provinciales. Le texte lui-même, déjà examiné et approuvé par le Sénat, sera étudié le 7 mai par la commission des lois de l'Assemblée nationale.
Il s'agit de la suite logique de la loi actant le report des élections locales en Nouvelle-Calédonie, approuvée par le Parlement en mars. Le projet de loi constitutionnelle "portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle‑Calédonie" sera examiné en première lecture par la commission des lois de l'Assemblée nationale, à compter du mardi 7 mai.
Comme son nom l'indique, le texte prévoit d'élargir le corps électoral de la collectivité dans le cadre des élections provinciales. Actuellement, ces élections sont réservées aux natifs et aux résidents arrivés avant 1998 et à leurs descendants. La réforme doit permettre à tous les natifs calédoniens d'y prendre part, ainsi qu'aux résidents installés depuis aux moins 10 ans. Quelque 25 000 électeurs sont concernés. "Veut-on ou non que la démocratie locale puisse s'exprimer en nouvelle-Calédonie ?", a questionné lundi 29 avril le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, lors de son audition devant la commission des lois de l'Assemblée nationale. "Le corps électoral gelé n'est plus conforme aux principes élémentaires de la démocratie en Nouvelle-Calédonie."
L'examen du projet de loi intervient dans un contexte tensions entre loyalistes et indépendantistes de l'archipel, dans un contexte de profonde crise économique. D'importantes manifestations ont eu lieu à Nouméa il y a deux semaines mobilisant, de part et d'autre, partisans et opposants au dégel du corps électoral. "C'est près de 10 % du corps électoral calédonien qui était dans la rue. Le sujet est éminemment important, politique", a commenté le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer.
Il ne peut pas y avoir de renouvellement démocratique s'il n'y a pas d'élection, il ne peut pas y avoir d'élection si il n'y a pas un changement de corps électoral. Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et des Outre-mer
Gérald Darmanin a appelé à ce que le projet de loi constitutionnelle, déjà approuvé par le Sénat, soit adopté conforme par l'Assemblée nationale dès le stade de la première lecture. La rédaction des sénateurs "ne nous satisfait pas totalement mais reste conforme à l'esprit du texte posé par le gouvernement, à la volonté calédonienne, mais aussi au temps qu'il nous faut discuter avec les partis", a-t-il soutenu, confirmant son souhait de voir un scrutin provincial organisé "avant le 15 décembre de cette année". Pour entrer en vigueur, la réforme devra ensuite être approuvée par les trois cinquièmes du Parlement, réuni en Congrès à Versailles. Elle entrerait alors en vigueur au 1er juillet 2024, sauf en cas d'accord global entre les différentes parties prenantes locales.
Les députés de gauche ont manifesté leur opposition à la réforme, qu'ils identifient comme un "passage en force", comme l'a dénoncé Sandra Regol (Ecologiste). "La méthode employée est dangereuse", a ajouté l'élue, y voyant "l'illusion du dialogue pour transposer un modèle colonial". "Ce texte présente un risque d'embrasement généralisé", s'est pour sa part alarmé Arthur Delaporte (Socialistes), alors que les tensions s'avivent dans l'archipel.
"Le gouvernement ne pouvait pas faire un texte plus équilibré que ça", leur a opposé le rapporteur du projet de loi, l'élu néo-calédonien Nicolas Metzdorf (Renaissance). "N'oubliez pas, les demandes qui sont dans ce texte là sont celles des indépendantistes", a estimé le député, militant non-indépendantiste. Regrettant que l'on "invisibilise souvent les loyalistes", il a rappelé, non sans ironie, qu'il "y a aussi des gens qui ont voté non [aux référendum]", alors qu'aucune des trois consultations menées sur l'autodétermination de l'archipel n'a été approuvée. "Ils tiennent à ce qu'on les écoute."
Plusieurs députés ont soutenu la préconisation faite, peu avant l'audition de Gérald Darmanin, par la mission d'information sur l'avenir institutionnel des outre-mer : mettre en place une "mission impartiale" destinée à faciliter les négociations entre les deux camps, dans le but d’aboutir à un accord global sur la Nouvelle-Calédonie. Cette initiative associerait députés et sénateurs, comme l'a indiqué l'un des rapporteurs de la mission d'information, Philippe Gosselin (Les Républicains).
"Je ne sais pas très bien ce que vous appelez une mission impartiale", leur a rétorqué le ministre de l'Intérieur, jugeant que l'Etat "joue ce rôle impartial d'organisation". Gérald Darmanin a toutefois indiqué qu'il ne voyait "aucun inconvénient" à ce que les parlementaires et les présidents de chacune des deux Chambres du Parlement "apportent leur pierre à l'édifice calédonien". "Le but, c'est la paix publique, le retour de la démocratie, et le fait que la Nouvelle-Calédonie retrouve un développement économique et social conforme à l'intérêt général."
Gérald Darmanin dénonce l'ingérence "extrêmement négative" de l'Azerbaïdjan en Nouvelle-Calédonie
Lors de son audition, Gérald Darmanin est également revenu sur la signature d'un mémorandum de coopération entre le Congrès de Nouvelle-Calédonie et l'Assemblée nationale de l'Azerbaïdjan, intervenue la semaine dernière. Le ministre de l'Intérieur y voit le signe d'une "ingérence extrêmement négative, néfaste" du pays caucasien.
L'accord, qui vise à développer les relations entre les deux Chambres en matière de culture, d'enseignement ou encore de politique, a provoqué une intense polémique en Nouvelle-Calédonie, étant vivement critiqué par le camp des loyalistes.
"Profondément choqué" par la manœuvre "opportuniste" azérie, Gérald Darmanin a jugé qu'elle visait à "répondre à la défense des Arméniens, qui fait honneur à la France". "Nous regrettons que certains indépendantistes voient dans l'Azerbaïdjan une planche de salut", a-t-il complété, s'inquiétant que le régime autoritaire azéri puisse représenter un "modèle politique" pour certains groupes.