L'Assemblée nationale a adopté la proposition de loi "visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels" qui comporte une série de mesures destinée à faire reculer les déserts médicaux. L'idée de restreindre la liberté d'installation des médecins, défendue par certains médecins, n'a pas été retenue.
L'Assemblée nationale a adopté en première lecture, jeudi 15 juin au soir, la proposition de loi "visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels". Le texte, dont le rapporteur est le député Horizons Frédéric Valletoux, était soutenu par le gouvernement. Il contient une série de mesures dont le but est de lutter contre les déserts médicaux. L'exposé des motifs de la proposition de loi indique que "87% du territoire" national est concerné par cette situation.
Au cours des débats, l'Assemblée n'a pas retenu l'idée de restreindre la liberté d'installation des médecins, comme le demandaient Guillaume Garot (Socialistes) et près de 200 autres députés dans un amendement transpartisan. Le ministre de la Santé, François Braun, ainsi que Frédéric Valletoux, ont considéré qu'alors que la France est confrontée à une pénurie de soignants, il s'agissait d'une fausse solution qui risquait même d'aggraver la situation au lieu de l'améliorer.
Déplorant un "rendez-vous manqué", Guillaume Garot a assuré qu'une telle mesure était pourtant un "vrai levier d'efficacité" des autres dispositions du texte. "Ce chemin de la régulation, tôt ou tard, nous l'emprunterons, car ce n'est pas un chemin coercitif c'est un chemin d'équilibre", a pronostiqué Philippe Vigier (Démocrate), élu de la majorité.
Le texte de Frédéric Valletoux fait du territoire de santé l'échelon de référence de l'organisation locale de la politique de santé. La délimitation de ces territoires pourra être modifiée "par les acteurs du territoire eux-mêmes", notamment pour "assurer un équilibre et une solidarité entre les territoires en matière d’accès aux soins". Pour mieux évaluer les manques et besoins par bassin de vie, le texte crée un "indicateur territorial de l’offre de soins" qui aura pour but de cartographier la répartition de l'offre de soins. Ses chiffres seront révisés tous les deux ans.
Les professionnels de santé seront par ailleurs rattachés par défaut aux "communautés professionnelles territoriales de santé" (CPTS), qui facilitent la coopération entre soignants. "Les CPTS sont de bons moyens pour que les professionnels travaillent entre-eux, apprennent à se connaître", a souligné la ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des Professions de santé, Agnès Firmin-Le Bodo. Auparavant, les médecins qui voulaient faire partie d'un CPTS devaient s'y inscrire. La proposition de loi inverse la logique : ceux qui refusent d'y participer devront formellement le faire savoir.
Si la liberté d'installation des médecins n'a pas été limitée, l'Assemblée a toutefois voté en faveur de plusieurs restrictions visant les professionnels de santé. Il en va ainsi de l'interdiction de l'intérim pour tous les professionnels médicaux et paramédicaux en début de carrière. Seuls ceux qui sont encore étudiants en santé pourront continuer à exercer en tant qu'intérimaires, afin de leur permettre de financer leurs études. Dans l'hémicycle, les élus ont étendu cette mesure au champ de la protection de l’enfance et aux professions d’accompagnement socio-éducatif.
Les professionnels de santé ne pourront plus faire de "nomadisme médical" : l'obtention des aides financières à l'installation sera limitée à une fois tous les 10 ans. Les médecins, sages-femmes et dentistes, qui veulent quitter un désert médical, devront l'indiquer six mois à l'avance à leur Agence régional de santé et à leur Conseil de l'ordre.
"Cela [permettra] au patient en affection de longue durée de pouvoir, avec l'aide de la caisse primaire d'Assurance maladie, retrouver un médecin traitant plus rapidement", a justifié le ministre de la Santé, François Braun. Cette obligation ne s'appliquera pas si le départ s'explique par un "cas de force majeure".
Par ailleurs, l'Assemblée a repoussé à 75 ans la limite d'âge des médecins salariés travaillant, dans le cadre du cumul emploi-retraite, dans un établissement hospitalier du secteur public mais aussi dans les centres de santé gérés par les collectivités territoriales ou leurs groupements.
Les députés ont élargi le bénéfice du contrat d’engagement de service public aux étudiants dès la deuxième année d’études médicales. Cette incitation financière est prévue pour les jeunes médecins qui s'installent dans un désert médical. En contrepartie, le bénéficiaire s’engage à poursuivre son activité dans ce territoire, pour une période ne pouvant être inférieure à deux ans.
Et afin de renforcer l'attractivité de la France pour les praticiens de santé ayant un diplôme hors Union européenne, le texte prévoit de nouvelles autorisations d’exercice provisoire. Il crée également une nouvelle carte de séjour pluriannuelle, intitulée "talent-professions médicales et de la pharmacie" d'une durée maximale de 4 ans.
En outre, les députés ont adopté un amendement transpartisan, notamment porté par Guillaume Garot, qui "supprime la majoration des tarifs appliquée pour les patients perdant leur médecin traitant en raison d'un départ à la retraite, ou d'un changement de département du praticien". Car aujourd'hui, a rappelé le député socialiste, "non seulement vous n'avez pas de médecin traitant, mais en plus vous êtes sanctionnés pour cela".
Alors que la proposition de loi prévoit notamment que les cliniques privées devront davantage participer à la "permanence des soins" le soir et le week-end, les députés ont ajouté que l'ensemble des soignants "participent" à cette permanence des soins, certains se félicitant d'un "changement de paradigme". Le ministre de la Santé a cependant interprété ce vote comme une "incitation" à participer, à laquelle il est favorable, pas comme une "obligation". Ces gardes sont actuellement assurées par une minorité de médecins libéraux.
Enfin, une expérimentation a été votée, pour une durée de 5 ans : elle vise à encourager l’orientation des lycéens issus de déserts médicaux vers les études de santé, en instaurant une "option santé" dans leur établissement. Ces étudiants étant plus susceptibles de conserver une attache avec leur territoire.
Lors du scrutin, la majorité présidentielle a voté en faveur de la proposition de loi, tandis que LR a voté contre, et que la Nupes, ainsi que le RN, se sont abstenus. Le texte ainsi modifié et enrichi va désormais poursuivre son parcours législatif au Sénat.