Terre de gauche, l'Ariège compte deux députés insoumis sortants. LCP s'est rendu dans la 2e circonscription où Michel Larive défend son siège et doit faire face à un maire socialiste dissident, un représentant de la majorité présidentielle et une candidate Rassemblement national.
Sur la départementale qui relie Pamiers à Saint-Girons, les deux villes principales de la deuxième circonscription de l'Ariège (respectivement 15000 et 6400 habitants), on peut rouler une heure sans croiser un autre véhicule. Ici, pas de gare TGV. À peine un tout petit tronçon d'autoroute et une unique ligne de TER qui descend de Toulouse et fend l'est du département jusqu'à Foix, la modeste préfecture située dans la première circonscription. La voiture reste donc le principal moyen de locomotion pour faire vivre l'agriculture, la chasse et ce qui reste d'industrie dans ce département pyrénéen qui vient seulement de repasser sous la barre des 10% de chômage l'année dernière (contre 7,3% dans le pays).
Sous la Ve république, l'Ariège a toujours envoyé au moins un si ce n'est deux députés socialistes à l'Assemblée nationale. Mais en 2017, après l'élection d'Emmanuel Macron, les Ariégeois ont préféré le rouge insoumis au rose socialiste en choisissant Michel Larive et Bénédicte Taurine, qui ont devancé de quelques centaines de voix chacun leurs adversaires La République en marche. "Un coup de chance", selon Rémi Dutrenois. Le candidat Ensemble étiqueté MoDem de la deuxième circonscription entend bien cette fois ravir le mandat à son adversaire, réinvesti par la Nouvelle Union populaire écologiste et socialiste (Nupes) tout comme sa collègue ariégeoise.
A écouter Michel Larive, l'affaire semble pourtant entendue. Le député sortant a fait les comptes : cinq ans après avoir gagné seul, il se représente enrichi de l'expérience d'un mandat, du soutien de tous les partis de la Nupes (EELV, PS, PCF) et de l'effet "vu à la télé". Le parlementaire caresse même le rêve de se faire réélire dès le premier tour en arpentant sa vaste circonscription vallonnée et verdoyante : "Je fais une campagne à la papa sur le terrain et mon équipe fait les tweets", résume le candidat, dont les sneakers flambant neuves l'emmènent tracter d'un lotissement à l'autre sous un ciel estival.
"Tiens, mais c'est M. Larive en personne !" Agréablement surpris de la visite du député en campagne, plusieurs habitants de Saverdun le reconnaissent au premier coup d’œil. "C'est bien de voir quelqu'un comme vous passer ici", se réjouit Lilian. Ce quinquagénaire, qui a toujours eu le coeur à gauche, a recentré son vote ces dernières années. Mais la coalition de la Nupes lui plaît bien, il donnera sa voix à l'insoumis. "Les gens aiment l'union, ils la demandent depuis 25 ans !", commente le député.
Plus placide que vitupérant dans l'hémicyle, Michel Larive honnit "l'autoritarisme et la suffisance" d'Emmanuel Macron mais revendique un style plus posé que ses homologues insoumis au Palais-Bourbon :
Je n'ai pas besoin de faire du rufin ou du mélenchon, ils sont déjà là pour ça. mes interventions sont plus calmes, c'est mon tempérament. michel larive à Lcp
L'élu affirme mener "un combat politique" pas "un combat contre des personnes" et confesse une forme de respect pour certains élus d'autres familles politiques au sein la commission des affaires culturelles et de l'éducation, qu'il a occupée toute la législature.
Mais pendant qu'il siégeait à Paris, le parlementaire s'est fait une ribambelle d'ennemis à la maison. Au premier rang desquels les élus socialistes locaux, qui n'ont jamais digéré la perte de leur fief et aussi d'un précieux relais au sommet de l'État. À tel point que, comme dans une douzaine de circonscriptions de l'Occitanie, un candidat socialiste dissident a décidé de se maintenir, malgré l'accord national signé par le PS avec les autres partis de la Nupes.
À 46 ans, Laurent Panifous est maire du Fossat, dont il gère aussi la communauté de communes. Ce directeur d'Ehpad à la carrure de rugbyman ne partage "ni le style, ni le fond" de la philosophie de La France insoumise qu'il "combat sur le terrain depuis cinq ans". Investi très tôt par la fédération socialiste, il est parti en campagne avant Noël et a été estomaqué par l'accord signé par les instances nationales, deux petites semaines après la cuisante défaite d'Anne Hidalgo à la présidentielle. Sur l'Europe, la laïcité ou l'économie, Laurent Panifous pense que son parti a égaré sa boussole idéologique :
On a vécu la NUPES comme un reniement de nos valeurs. Laurent Panifous à LCP
Sa dissidence n'est donc pas qu'une affaire de poste mais bien d'idées, même s'il reconnaît que les élus du territoire – le PS préside la région, le département et la plupart des intercommunalités – aimeraient bien "récupérer quelqu'un qui travaille main dans la main avec eux" à l'Assemblée nationale. Principal concurrent de gauche à Michel Larive, il lui reproche son "opposition systématique" à tous les projets qui œuvrent pour "l'attractivité économique" des plateaux et montagnes de l'Ariège. "C'est simple, on les appelle les anti-tout." Dernier exemple en date : l'installation d'un projet de cabanes touristiques sur les bords du lac de Montbel. "Ils ont fait venir 1000 zadistes. Résultat : l'investisseur est allé faire son projet ailleurs", commente le socialiste. "C'était un projet d'appropriation de l'espace public", rétorque l'insoumis.
Le dissident joue tellement la carte locale qu'il partage son affiche de campagne avec Carole Delga et Christine Téqui, respectivement présidente de la région et du département. Il a aussi reçu les encouragements vidéo de l'ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, la visite de l'ancien président du Sénat Jean-Pierre Bel et compte venger la défaite d'Alain Fauré, l'ancien député socialiste battu en 2017 (un point derrière Michel Larive au premier tour), "sanctionné pour avoir été un fidèle soutien de François Hollande".
Événement presque baroque, mais peut-être plus si étonnant alors que la politique française vit sur des sables mouvants, le maire de Saverdun Philippe Calleja, ancien candidat Les Républicains aux législatives, a décidé d'apporter son soutien à Laurent Panifous. Un élu de droite qui soutient un élu de gauche ? Même les Ariégeois en perdent leur occitan : "C'est un petit département, on se connaît, on vote pour l'homme ici", justifie le socialiste, qui espère se qualifier facilement pour le second tour.
Cette dissidence ne gêne pas tant à gauche que dans le camp macroniste. "Mon principal adversaire au premier tour, c'est Laurent Panifous", cible Rémi Dutrenois, qui se désole de devoir disputer l'électorat social-démocrate à un candidat "qui n'aura aucun pouvoir en siégeant en dehors de la majorité présidentielle". Le représentant du MoDem n'en est pas à sa première campagne. Il a fait ses classes à droite, auprès d'André Trigano, une des rares figures locales à avoir fait de l'ombre aux barons socialistes en se faisant élire député UDF en 1993.
Cet Ariégeois "marié et père de trois enfants, un chien et quatre poules" travaille comme directeur des ressources humaines d'une usine de la région. Sur le marché de Saint-Girons, réputé pour ses produits locaux, où l'on croise aussi bien des touristes en mal de pittoresque que des artisans qui rêvent de décroissance, Rémi Dutrenois se présente comme un homme libre... y compris vis-à-vis du président de la République. "Je ne suis pas Emmanuel Macron, ni un marcheur de la première heure", explique-t-il à David, un potier qui s'indigne d'avoir été interdit de marché pendant les confinements. "Ce que vous avez vécu, je l'ai vécu aussi en mettant tous mes salariés au chômage partiel du jour au lendemain."
Un stand plus loin, devant un appétissant évantail de croustades "fabrication maison", le candidat est interpellée par Eudoxie, sa tenancière : "Vous direz à M. Macron qu'on existe ! Il doit croire que l'Ariège est en Espagne..." Partisane de la fin des régimes spéciaux, la cuisinière votera pour "le moins pire" le 12 juin, lors du premier tour. "Eh bien alors, c'est moi !", répond-il du tac au tac. Rémi Dutrenois n'hésite pas à remanier le programme présidentiel, notamment sur la question des retraites : "Il faut prendre en compte tous les sujets, pas seulement celui de l'âge". Ou celle des éoliennes : "Je suis le premier candidat à avoir pris position contre un projet éolien en Haute-Garonne, situé à 500m de l'Ariège. Il était mal pensé, c'était un projet financier avant d'être un projet écolo", assume-t-il.
Trois hommes se disputent donc les deux places pour le deuxième tour. Leur plan pourrait toutefois être contrarié par un quatrième protagoniste, en l'occurrence une femme. Bérengère Carrié est petite-fille d'un communiste, fille d'un socialiste et... candidate Rassemblement national aux législatives. Après une première tentative aux élections cantonales, cette responsable de secteur pour une entreprise d'aides à domicile a décidé de se lancer à l'assaut de l'Assemblée nationale. "L'Ariège est de gauche, il ne faut pas se leurrer, mais on sent un basculement depuis peu", constate l'aspirante députée en éteignant sa cigarette.
De fait, Marine Le Pen est arrivée en tête dans la circonscription en avril. Au premier tour, elle a obtenu 24,89% des voix, juste devant Jean-Luc Mélenchon (24,84%) et Emmanuel Macron (19,87%). Au second tour, elle a battu le président d'une courte tête en réalisant un score de 50,57%. En 2017, Emmanuel Macron avait triomphé avec 60,84% des voix... Pour surfer sur cette bonne dynamique, inédite sur ces terres de gauche, Bérengère Carrié fait campagne non pas sur l'insécurité, ni même l'immigration, mais sur le pouvoir d'achat.
Elle martèle que le prix de l'essence est le problème numéro un et reproche aux élus locaux d'avoir augmenté le prix du mètre cube d'eau. La candidate reconnaît la mise en place par la région d'un système de bus, qu'elle juge toutefois "trop chers et pas assez nombreux" :
des gens de gauche votent pour nous car ils en ont marre de 50 ans de socialisme sans que rien ne change. Bérengère Carrié à LCP
Elle espère doubler le score de son prédécesseur, qui affichait un modeste 14% lors des législatives de 2017, même si une candidature Reconquête pourrait gêner son ascension. Et être élu députée ? L'idée semble presque l'effrayer, alors qu'elle vient de faire sa première télévision sur France 3 Occitanie, lors d'un débat avec ses trois principaux compétiteurs. Un reportage y introduit les enjeux locaux et décrit l'Ariège comme "l'anti-start-up nation". À voir ce que les électeurs en diront dans quelques jours.