Dans son rapport, qui sera présenté ce mardi 23 janvier, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les "défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport" appelle à un "choc de contrôle, de démocratie et de transparence", pointant les dysfonctionnements au sein du mouvement sportif et les manquements de l'Etat. Pour y remédier, le rapport préconise notamment la mise en place d'une "autorité administrative indépendante" d'éthique et de contrôle.
C'est un rapport au vitriol... A moins de six mois des Jeux olympiques et paralympiques de Paris. La commission d'enquête "relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif", lancée à l'initiative des députés du groupe Ecologiste, présente son rapport, ce mardi 23 janvier, à l'issue de six mois d'auditions intenses et de travaux riches en révélations.
Dans ce document de plus de 260 pages, que LCP a pu consulter avant sa présentation en conférence de presse mardi à l'Assemblée nationale, la rapporteure Sabrina Sebaihi (Ecologiste) dresse un portrait accablant de l'univers du sport français, pointant l'"omerta" et l'opacité qui y ont régné, et y règnent parfois encore, aussi bien concernant les affaires ayant trait aux violences sexuelles et psychologiques, aux phénomènes discriminatoires, ou encore à la gestion financière parfois hasardeuse des fédérations. Elle confirme d'ailleurs avoir fait face à des "difficultés" pour obtenir des documents auprès de certaines instances, un phénomène "symptomatique", selon elle, du "défaut de culture démocratique" qui gangrène les instances sportives.
De même, la rapporteure déplore les nombreux "mensonges, inexactitudes, approximations, expressions de déni et de désinvolture" auxquels les députés ont été confrontés au cours de leurs auditions. Résultat, pas moins de 7 signalements à la justice pour de possibles parjures ont été effectués à la suite des quelque 92 auditions menées.
A l'issue de ses travaux, la commission d'enquête appelle à un "choc de contrôle, de démocratie et de transparence", pointant les dysfonctionnements des instances sportives et les manquements de l'Etat en matière de contrôle. Au total, le rapport formule 62 préconisations, pour faire du sport un "environnement plus démocratique, plus transparent, plus respectueux, plus éthique et plus sûr".
Le constat de la commission est sans appel : l'architecture complexe du monde sportif amène à des "dysfonctionnements systémiques", émanant aussi bien de l'Etat que des instances sportives : "inertie", désignation de "boucs émissaires" masquant la chaîne des responsabilités, tutelle trop longtemps "fictive" de l'Etat sur les fédérations... Un phénomène particulièrement mis en lumière en 2020, lors des révélations publiques de l'ex-patineuse artistique Sarah Abitbol, violée par son entraîneur alors qu'elle était mineure, et qui avait averti les instances, sans réaction.
Pour y remédier, la commission d'enquête, qui était présidée par Béatrice Bellamy (Horizons), préconise notamment la mise en place d'une autorité administrative indépendante chargée de l'éthique du sport, qui serait dotée d'un pouvoir de sanctions financières en cas de non-respect de leurs obligations et de leurs engagements par les fédérations. Le rapport propose que cette autorité puisse aussi prononcer des mesures d'inéligibilité, ou de suspension conservatoire, d'un dirigeant de fédération mis en cause. Elle serait, en outre, chargée de valider les prochains contrats de délégation mis en place avec les fédérations, les contrats actuels étant jugés "lacunaires".
En parallèle, la rapporteure estime nécessaire de relever les moyens dévolus à l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (Igesr), afin de renforcer la fréquence et la profondeur de ses contrôles.
Sabrina Sebaihi soulève, par ailleurs, des retards et des défaillances dans la mise en œuvre des lois relatives au monde sportif, par exemple concernant la mise en place de comités d'éthiques au sein des fédérations, ainsi que le contrôle d'honorabilité des bénévoles. Pour la députée, cette carence est "révélatrice d'une absence de volonté politique" et démontre que le ministère des Sports est "plus soucieux de ne pas contraindre les fédérations que de mettre en œuvre la volonté du législateur".
Et elle déplore que "la haute performance sportive ait été priorisée au détriment du renforcement de la protection des publics".
Afin de remédier à "l'entre-soi" qui règne au sein des instances, la rapporteure appelle à un "profond renouvellement" dans le milieul sportif : "choc de féminisation" - à l'heure actuelle, seuls 16 % des postes de présidence sont occupés par des femmes -, "choc démocratique" - avec une gouvernance moins verticale dans les fédérations -, reconnaissance du statut de bénévole...
Amélie Oudéa-Castéra critique un rapport "militant"
La ministre de l'Éducation nationale et des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, a dénoncé lundi un rapport "militant" et des travaux "instrumentalisés à des fins politiques", a fait savoir son entourage à l'AFP. Pour la ministre, les conclusions du rapport "jettent sans nuance l’opprobre sur tous les acteurs du sport français".
De la même manière, la commission appelle à reconsidérer le niveau de rémunération des principaux cadres de certaines fédérations sportives, les jugeant "anormales" et "peu conciliables avec leur statut associatif". Sabrina Sebaihi s'attarde notamment sur la rémunération d'Amélie-Oudéa Castéra lorsqu'elle était directrice générale de la Fédération française de tennis, reprochant en outre à l'actuelle ministre de l'Education nationale et des Sports d'avoir "minimisé" son importance lors de son audition.
Le rapport revient largement sur les violences sexuelles et sexistes (VSS), ainsi que sur les discriminations, dans le monde sportif - largement illustrées au cours des auditions de la commission d'enquête - et sur l'insuffisance des réactions pour lutter contre ces phénonomènes. Bien que saluant la prise de conscience tardive ayant eu lieu en 2020, année des révélations de Sarah Abitbol, Sabrina Sebaihi fustige la dilution des responsabilités, l'omerta des fédérations et la figure sacro-sainte de l'entraîneur, dans un cadre où la recherche de la performance reste l'objectif principal.
Pointant "l'inertie", voire la "complaisance" des pouvoirs publics envers certains, notamment dans l'univers des sports de glace, mais également du judo ou de la gymnastique, la rapporteure appelle à la conduite d'une "vaste enquête systématique" dans l'ensemble des fédérations sur les violences sexuelles, sexistes et psychologiques afin de lutter contre une "omerta encore trop présente", et "renforcée à l'approche des Jeux olympiques".
Elle souligne également l'insuffisance et l'invisibilité de la cellule de signalements du ministère des Sports, Signal-sports. Cette cellule est "sous-dimensionnée" et "très largement méconnue", déplore-t-elle, y compris parmi les dirigeants sportifs, et parfois même concurrencée par des outils internes à certaines fédérations. Sabrina Sebaihi pointe notamment les errements de Fabien Canu, directeur de l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), lors de son audition.
Autre axe largement mis en avant au cours du cycle d'auditions : la gestion très inégale des bénévoles et de leur contrôle d'honorabilité au sein des fédérations. "Force est de constater que ni les fédérations, ni le ministère, ne sont au rendez-vous sur ce volet essentiel de la lutte contre les violences sexuelles", conclut la rapporteure, qui appelle à la mise en place d'une mission d'inspection en la matière.
Sur la persistance du racisme et de l'homophobie dans les stades, notamment mise en lumière par l'audition de Lilian Thuram, Sabrina Sebaihi préconise de faire évoluer la loi, afin de permettre au préfet d'interrompre une rencontre sportive en cas d'incident à caractère discriminatoire. Les propos haineux "n'ont pas leur place dans les stades français", assène-t-elle, visant tout particulièrement les enceintes de football.
Plus novateur, elle propose également d'interrompre la retransmission audiovisuelle d'un match en cas d'insulte homophobe ou raciste. Cette mesure "enverrait un signal fort à l’ensemble du corps social", justifie-t-elle, avant d'appeler de ses vœux l'extension et la systématisation des interdictions judiciaires et administratives de stade.