Fin de vie : après les modifications effectuées en commission, le projet de loi examiné dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale

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Nouvel Hemicycle
par Soizic BONVARLET, le Dimanche 26 mai 2024 à 17:30, mis à jour le Lundi 27 mai 2024 à 10:20

Le projet de loi sur la fin de vie a été adopté dans la nuit du 17 au 18 mai par la commission spéciale de l’Assemblée nationale. Le texte - qui va maintenant être examiné dans l'hémicycle à partir de ce lundi 27 mai - a fait l'objet de plusieurs modifications par rapport à la version présentée par le gouvernement. Ces modifications inquiètent certains députés, qui estiment que plusieurs verrous ont été levés. La présidente de la commission spéciale, Agnès Firmin Le Bodo (Horizons) considère que "l'équilibre d'origine" du projet de loi "a été rompu".

C'est un débat attendu avec espoir par les uns, redouté en raison du sujet auquel il touche par les autres, qui commence ce lundi 27 mai dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Après avoir été examiné par les 71 députés de la commission spéciale qui lui a été dédiée, le projet de loi relatif à "l'accompagnement des malades et de la fin de vie" est soumis à l'ensemble de la représentation nationale. Sur ce texte, qui relève à la fois de l'intime et des convictions, de la politique et de l'éthique, la discussion s'annonce engagée et intense. Signe de l'importance du projet de loi et de l'ambiance dans laquelle aura lieu la discussion, Yaël Braun-Pivet a prévu de présider elle-même "la quasi intégralité des débats" qui auront lieu matin, après-midi et soir, pendant deux semaines.  

Dans l'hémicycle, l'examen du texte - qui vise à instaurer une aide à mourir, principe qui en lui même fait débat - va se faire sur la base des modifications qui ont été apportées sur certains points par la commission spéciale. Des évolutions qui ne font pas l'unanimité, y compris parmi les promoteurs du projet de loi. A l'issue de cette première étape, le rapporteur général, Olivier Falorni (Démocrate), a salué une "grande et belle loi républicaine", tandis que la ministre de la Santé, Catherine Vautrin, et la présidente de la commission spéciale, Agnès Firmin Le Bodo (Horizons) se sont inquiétées de l'introduction d'inflexions majeures mettant à mal "l'équilibre" initial du texte.

Le "pronostic vital engagé à court ou moyen terme" remplacé par "phase terminale ou avancée"

C'est le changement majeur introduit en commission spéciale. Dans sa rédaction initiale, le projet de loi dispose que pour avoir accès à l'aide à mourir, le malade doit, entre autres critères, "être atteint d’une affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme". Mais face à la difficulté d'appréhender ce "moyen terme", Stéphane Delautrette (Socialistes) et Anne-Laurence Petel (Renaissance) ont proposé en commission spéciale des amendements visant à substituer au critère de "pronostic vital engagé à court et moyen terme", celui d'une affection en "phase terminale ou avancée".

Si la rapporteure pour le titre concerné, Laurence Maillart-Méhaignerie (Renaissance), a soutenu cet amendement, la ministre de la Santé s'y est opposée. Tout comme la présidente de la commission spéciale, Agnès Firmin Le Bodo (Horizons), qui a estimé qu'"en supprimant le court et moyen terme, très clairement, on n’est plus du tout dans la même loi (...) Ce n’est pas l’équilibre de la loi qui a été présentée".

Le rapporteur général, Olivier Falorni (Démocrate) a, quant à lui, soutenu ces amendements. Et à ceux qui se sont alarmés de la disparition des termes "pronostic vital engagé", il a répondu que selon l'exposé des motifs du projet de loi, "la maladie grave et incurable engage par définition le pronostic vital". A contrario, Agnès Firmin Le Bodo estime que cette rédaction met à mal la condition du pronostic vital engagé. Pour autant, l'ex-ministre considère que - la "phase avancée ou terminale" étant définie par la Haute autorité de santé (HAS) comme recouvrant un pronostic vital engagé à une échéance de quinze jours - cette nouvelle écriture pourrait finalement s'avérer plus restrictive que celle du texte initial. Toujours est-il que, contre l'avis du gouvernement et de la présidente de la commission spéciale, les amendements des groupes Socialistes et Renaissance ont été adoptés. Et qu'à l'évidence, le sujet fera à nouveau l'objet de longues discussions dans l'hémicycle. 

Aide à mourir et directives anticipées

Si la version initiale du projet de loi consacre les directives anticipées en les adossant au plan personnalisé d'accompagnement du malade et permet de les enregistrer dans l’espace numérique de santé, elles ne s’avèrent pas efficientes dans le cadre d’une demande d’aide à mourir. En effet, les directives anticipées se heurteraient selon la lettre du projet de loi au critère, qu'il érige comme déterminant, qu'est la possibilité pour le malade d'exprimer sa volonté libre et éclairée jusqu'au terme de la procédure d'aide à mourir.

Ainsi, selon les critères du texte initial, l'aide à mourir ne peut donc pas être formulée dans des directives anticipées, réalisées plusieurs semaines, mois, voire années, avant la survenue du décès. Une lacune du projet de loi selon certains députés, qui ont souhaité élargir le champ des directives anticipées au-delà de ce que prévoit la loi Claeys-Leonetti de 2016 en matière d’arrêt de soins et de non-acharnement thérapeutique. Un amendement de Frédérique Meunier (Les Républicains), sous-amendé par Elise Leboucher (La France insoumise) a ainsi été adopté, afin que "dans le cadre des directives anticipées, la personne [puisse] indiquer son choix individuel du type d’accompagnement pour une aide à mourir [si] la personne perd conscience de manière irréversible". Ailleurs dans le texte, le critère selon lequel le patient doit être "apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée" est maintenu, mais selon Agnès Firmin Le Bodo, la modification introduite "met le doute". 

La capacité du médecin à abréger le délai de réflexion

La commission spéciale a aussi modifié le texte quant au délai minimal de réflexion du patient. A compter de la notification de sa décision par le médecin, un délai incompressible de deux jours est prévu avant que le patient ne confirme sa volonté d'accéder à une aide à mourir.

Or un amendement défendu par Joël Giraud (Renaissance) a été adopté, afin que ce délai puisse - dans certains cas - être abrégé, à la demande du patient et "si le médecin estime que cela est de nature à préserver la dignité de ce dernier telle que celui-ci la conçoit". Laurence Cristol (Renaissance), rapporteure sur cette partie du texte, s'est opposée à cet amendement, tout comme la ministre de la Santé, Catherine Vautrin.

Le choix laissé au malade de l'euthanasie ou du suicide assisté

Là encore contre l'avis de la ministre de la Santé, la commission spéciale a adopté un amendement de Cécile Rilhac (apparentée Renaissance), afin que l'auto-administration ou l'administration de la substance létale par un tiers - professionnel de santé ou proche volontaire -, soit soumise au libre arbitre de la personne qui requiert l'aide à mourir. Dans la version initiale du projet de loi, "l'administration de la substance létale est effectuée par la personne elle‑même", et par un tiers uniquement lorsque "celle‑ci n’est pas en mesure d’y procéder physiquement". Autrement dit, par la modification introduite en commission spéciale, la personne en fin de vie pourrait elle-même faire le choix du suicide assisté ou de l'euthanasie.

Délit d'entrave à l'aide à mourir

Autre mesure, plus consensuelle, introduite lors des débats en commission spéciale, l'instauration d'un délit d'entrave à l'aide à mourir, à l'image de celui qui touche l'interruption volontaire de grossesse, sanctionné d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Défendu par la rapporteure de la partie concernée du projet de loi, Caroline Fiat (La France insoumise), l'amendement a fait l'objet d'un avis favorable de la ministre de la Santé, Catherine Vautrin.

Si c'est le projet de loi ainsi amendé qui sera examiné, en première lecture, dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale à partir du 27 mai, nul doute que les modifications effectuées en commission seront à nouveau particulièrement discutées. Avec la possibilité de s'éloigner encore de la copie initiale du gouvernement ou, au contraire, de s'en rapprocher. Sur les quelques 3300 amendements déposés pour la séance, l'un d'entre eux, émanant du gouvernement vise notamment à revenir aux termes  d'"engagement du pronostic vital à court ou moyen terme", parmi les critères permettant d'accéder à l'aide à mourir.