Fin de vie : pour mieux comprendre les débats à l'Assemblée, tour d'horizon des questions soulevées lors des auditions préparatoires

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Auditions de la commission spéciale sur la fin de vie en Salle Lamartine à l'Assemblée nationale, le 30 avril 2024
Auditions de la commission spéciale pour l’examen du projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, en Salle Lamartine, à l'Assemblée nationale, le 30 avril 2024 - LCP
par Soizic BONVARLET, le Dimanche 12 mai 2024 à 16:00, mis à jour le Lundi 13 mai 2024 à 10:02

La commission spéciale présidée par Agnès Firmin Le Bodo (Horizons), et dont le rapporteur général est Olivier Falorni (Démocrate), débute l'examen du projet de loi sur la fin de vie, ce lundi 13 mai. Outre le débat principal sur l'instauration d'une aide à mourir, les auditions préparatoires menées par les députés ont soulevé plusieurs questions, qui vont alimenter les discussions. Pour vous permettre de mieux comprendre les débats, tour d'horizon de ces questions. 

Souvent annoncé, longtemps attendu, finalement présenté en Conseil des ministres le 10 avril, le projet de loi relatif à "l'accompagnement des malades et de la fin de vie" entre véritablement, ce lundi 13 mai, dans sa phase législative. Après avoir mené un cycle d'auditions préparatoires à l'examen du texte lui-même (tous nos articles à retrouver ici), la commission spéciale de l'Assemblée nationale commence la discussion des articles du projet de loi, ainsi que des amendements qui ont été déposés par les députés. 

Alors que les débats s'annoncent intenses sur un sujet au carrefour de l'intime et des convictions, de l'éthique et de la politique, les auditions préparatoires qui ont eu lieu du 22 au 30 avril ont d'ores-et-déjà permis de soulever un certain nombre de questions qui vont faire débat au cours des prochains jours et qui ont logiquement trait, pour l'essentiel, aux conditions et aux modalités de l'aide à mourir. Tour d'horizon de ces questions pour mieux comprendre les discussions à venir. 

Le pronostic vital engagé, critère trop restrictif ?

Pour accéder à l’aide à mourir, une personne doit (...) être atteinte d’une affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme. Article 6 du projet de loi

Parmi les conditions qui régissent toute demande d'aide à mourir, figure dans le projet de loi le "pronostic vital engagé à court ou moyen terme". Si cette écriture permet de répondre à ceux qui mettent en garde contre d'éventuelles "dérives" induites par l’instauration d’une aide à mourir, certains mettent en évidence les profils qui en seront privés, alors même qu’ils répondraient aux autres conditions liées à la majorité, à la maladie grave et incurable, à la capacité d’exprimer sa volonté libre et éclairée, ainsi qu’au fait d’être en proie à des souffrances éprouvantes et réfractaires.

Lors des auditions préparatoires à l’examen du projet de loi, la médecin Marina Carrère d’Encausse a exhorté les députés à réviser cet aspect du projet de loi, évoquant les "patients atteints de maladies neurodégénératives (...), des patients ayant été agressés, ayant eu un accident vasculaire cérébral, ou un accident de la voie publique, les laissant très lourdement handicapés sans espoir d'amélioration, avec une grande souffrance". Elle a également fait valoir que les patients atteints de la maladie de Charcot, dont le pronostic vital n'est pas forcément engagé à court ou moyen terme, représentaient "une part importante des patients qui vont en Belgique et en Suisse", afin de requérir une aide à mourir.

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En outre, si la définition du "court terme" semble acquise dans le milieu médical et hospitalier, faisant référence selon la Haute autorité de santé (HAS) à "quelques heures, quelques jours", avant la survenue du décès, celle du "moyen terme" pourrait poser plus de difficultés. La HAS a été saisie le 22 avril dernier afin d'y répondre, et a annoncé qu’elle rendrait son avis avant la fin de l’année 2024, c'est-à-dire après l'examen du texte en première lecture. Si en dépit de cet éclairage, les parlementaires faisaient le choix de ne pas préciser de durée maximale dans la loi, il reviendra à la commission médicale chargée d’examiner le dossier du requérant d’estimer si la pathologie de ce dernier le condamne dans un délai pouvant raisonnablement s’apparenter à cette notion de "moyen terme".

La possibilité (controversée) pour un proche d'administrer la dose létale

L’administration de la substance létale est effectuée par la personne elle‑même ou, lorsque celle‑ci n’est pas en mesure d’y procéder physiquement, à sa demande, soit par un proche ou une personne volontaire qu’elle désigne lorsqu’aucune contrainte n’y fait obstacle, soit par le médecin ou l’infirmier qui l’accompagne. Article 11 du projet de loi

C'est l'un des aspects qui suscite le plus d'interrogations, y compris chez les partisans de l'instauration d'une aide à mourir. Si le patient concerné n'est pas en mesure de s'administrer lui-même la dose létale, il pourra désigner une personne volontaire pour le faire, au-delà du seul personnel médical qui le suit. Dans les faits, un membre du cercle familial, amical, ou d’une association, pourra ainsi opérer le geste qui conduira à la mort du requérant. Si la présence du professionnel de santé, quand celui-ci n'effectue pas lui-même le geste, "n'est pas obligatoire", "il doit toutefois se trouver à une proximité suffisante pour pouvoir intervenir en cas de difficulté".

Si cette disposition suscite des inquiétudes, c'est notamment parce qu'à ce stade, aucune prise en charge psychologique du proche qui administrerait la substance létale n'est prévue dans le projet de loi. En l'absence d'un soignant dans la pièce où le geste sera réalisé, certains pointent du doigt le risque que le proche s'administre également à lui-même une partie du produit létal, dans le cas de couples qui souhaiteraient mourir ensemble, par exemple. Enfin, le risque de conflits familiaux est également soulevé, au sein notamment de fratries qui seraient divisées sur le choix d'un parent d'opter pour une aide à mourir, faisant reposer d'autant plus de poids sur celui qui serait désigné pour administrer la substance létale.

Cependant, cette mesure, qui suscitera sans aucun doute de vifs débats, a aussi ses défenseurs. "Moi je trouve ça bien qu’on puisse se dire au revoir et savoir à qui on veut faire confiance pour éteindre la lumière lorsqu’il ne reste plus beaucoup de temps à vivre", a notamment fait valoir le 3 mai Hadrien Clouet (La France insoumise) sur le plateau de LCP. Pensée pour assurer l'applicabilité de l'instauration d'une aide à mourir, la mesure permet en outre de ne pas la faire reposer uniquement sur les médecins et infirmiers, qui pourront faire jouer leur clause de conscience pour ne pas effectuer le geste létal.

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Directives anticipées : renforcées ou mises de côté ?

La personne qui bénéficie d’un plan personnalisé d’accompagnement peut l’annexer à ses directives anticipées (...) Les directives anticipées peuvent notamment être conservées dans le dossier médical partagé. Article 4 du projet de loi

Autre point d’ores-et-déjà soulevé lors des auditions de la commission spéciale : celui lié au rôle des directives anticipées. Si le projet de loi les consacre en les adossant au plan personnalisé d'accompagnement et permet de les enregistrer dans l’espace numérique de santé, afin d’en faciliter la consultation par les soignants et un éventuel proche aidant, elles ne s’avèrent pas efficientes dans le cadre d’une demande d’aide à mourir. En effet, les directives anticipées se heurteraient selon la lettre du projet de loi au critère qu'il érige comme déterminant qu'est la possibilité pour le malade d'exprimer sa volonté libre et éclairée, et ce à court et moyen terme. Pour le président de la HAS Lionel Collet, auditionné le 23 avril par la commission spéciale, le texte est ainsi "clair" : "Il faut être en mesure d’exprimer sa volonté jusqu’au bout".

Selon les critères du projet de loi, une aide à mourir ne pourrait donc pas être formulée dans des directives anticipées, réalisées plusieurs semaines, mois, voire années, avant la survenue du décès. Une lacune du texte selon certains députés et acteurs du soin, qui appellent à élargir le champ des directives anticipées au-delà de ce que prévoit la loi de 2016 en matière d’arrêt des soins et de non-acharnement thérapeutique.

Cécile Rilhac (apparentée Renaissance) a notamment proposé que dès l’instant où, dans le contexte d’une maladie grave, un diagnostic qui abrège l’espérance de vie est avéré, le patient concerné puisse définir ou redéfinir ses directives anticipées, et qu’elles soient prises en compte y compris dans le cadre d’une aide à mourir. Il s’agirait ainsi de ne pas risquer d’exclure de facto les patients atteints de troubles neurodégénératifs, qui peuvent ne pas être en mesure d’exprimer leur volonté libre et éclairée en fin de vie.

Cette possibilité de requérir une aide à mourir dans les directives anticipées suscite cependant de nombreuses réserves. Auditionné par la commission spéciale, le professeur de philosophie et d'éthique Fabrice Gzil a notamment fait valoir la possible "disjonction entre la personne actuelle qui le demande et ce qu’elle sera dans le futur", allant jusqu’à parler de "bombe à retardement".

Critères de l’aide à mourir : quid d’un inventaire de pathologies ?

Si l’éventualité de définir une liste de maladies éligibles à l’aide à mourir a pu émerger durant les débats préparatoires de la commission spéciale, il est à ce stade peu probable qu’elle se concrétise dans la loi, plusieurs acteurs auditionnés l’ayant jugée peu pertinente, et plus restrictive que protectrice.

Le président de la HAS, Lionel Collet, a ainsi estimé qu’une telle liste, pouvant difficilement s’avérer exhaustive, risquerait de fait d’exclure certaines pathologies, alors même que le malade répondrait parfaitement aux conditions de la loi. Il a ainsi estimé que les critères établis dans le projet de loi (majorité, nationalité française ou résidence de façon stable et régulière en France, maladie grave et incurable avec pronostic vital engagé à court ou moyen terme, capacité à exprimer sa volonté libre et éclairée, souffrances réfractaires) étaient d’ores-et-déjà garants d’une aide à mourir strictement encadrée.

L'examen du projet de loi par la commission spéciale présidée par Agnès Firmin Le Bodo (Horizons), et dont le rapporteur général est Olivier Falorni (Démocrate), aura lieu toute cette semaine. Puis, le texte sera débattu, en première lecture, dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale à partir du 27 mai.