Géants du numérique : vers une troisième voie européenne

Actualité
Image
GAFAM
par Juliette Lacroix, le Mercredi 2 juin 2021 à 17:13, mis à jour le Jeudi 3 juin 2021 à 12:21

À l'occasion de la présentation du rapport d'information sur "les géants du numérique" ce mercredi 2 juin, les députés Alain David (PS) et Marion Lenne (LaREM) ont formulé des propositions pour résister à l'influence croissante des géants du numérique, les GAFAM. Le soutien aux entreprises françaises et européennes ainsi que la mobilisation de la recherche sont recommandés.

Favoriser l’émergence d’une alternative européenne aux géants du numérique américains et chinois et développer une coopération plus étroite entre les GAFAM et les États européens, c’est ce que propose un rapport parlementaire présenté par les députés Alain David (PS) et Marion Lenne (LREM). Dans un rapport d’information très détaillé, présenté mercredi 2 juin devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée, les co-rapporteurs ont exploré les failles de la France et de l'Europe en la matière et tentent d’apporter des solutions pour l’avenir.

À la fois vecteur d’innovation et source de polarisation, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazone, Microsoft) ont acquis une puissance sans commune mesure au cours des vingt dernières années, rendant leur régulation quasiment hors de contrôle. Avec 45% de parts de marché, Amazon est désormais leader mondial du stockage de données en "cloud" ou "nuage", tandis que Microsoft équipe près de 90% des ordinateurs de la planète de son système d’exploitation Windows.

Une influence aux effets délétères 

Une tendance à la concentration qui freine l’émergence de nouveaux acteurs dans le domaine du numérique sur le territoire européen. De quoi inquiéter les instances politiques nationales et européennes.

Par ailleurs, les risques d’atteintes à la souveraineté des États sont de plus en plus accrus. Si le manque à gagner en termes de recettes fiscales est bien connu, les géants se tournent de plus en plus vers des secteurs régaliens. À titre d’exemple, Google Map s’est érigé au fil du temps en plus gros cadastre mondial tandis que Facebook a lancé sa propre monnaie, le Libra.

Une réponse européenne insuffisante

Face à cette montée en puissance, l’Europe ne propose pas à l’heure actuelle d’alternatives à ces multinationales. Plusieurs facteurs expliquent ce retard : absence de marché numérique unifié complexifiant les échanges entre États ou encore difficile accès des entreprises européennes du numérique aux financements, les exposant davantage au rachat par les GAFAM.

"Nous devons nous donner les moyens de ne pas dépendre entièrement de ces géants du numérique, affirme Marion Lenne, il serait naïf de vouloir proposer une alternative européenne en matière de numérique sans actionner le levier de l’industrie et de l’innovation." Toutefois encourageant, plusieurs projets européens en cours vont dans ce sens, à l’image du Cloud souverain ou de l’initiative Scale-up Europe qui vise à favoriser la croissance des entreprises. La présidence française au Conseil l'Union européenne qui débutera en janvier 2022 sera l'occasion de faire du numérique une priorité.

Allier sécurité et souveraineté

Pour les rapporteurs, deux enjeux doivent être considérés. D’une part, l’expertise poussée de ces entreprises dans le numérique et la cybersécurité reste néanmoins utile aux États comme aux citoyens. D’autre part, la coopération entre États et multinationales nécessite d’être encadrée par des garde-fous dans des domaines stratégiques tels que le stockage de données en Cloud ou bien la régulation des contenus en ligne.

Ainsi, acquérir une souveraineté numérique apparait indispensable. Les rapporteurs proposent de mobiliser une stratégie forte en matière de recherche et d’investissement notamment dans des secteurs comme le quantique ou la 6G. "Il faut donner les moyens à notre recherche d’être autonome et de ne pas dépendre des priorités des géants du numérique", explique Alain David. Rendre les filières informatiques plus attractives à destination des étudiants, en faisant par exemple intervenir des chercheurs et des entrepreneurs dans les collèges et les lycées est également une piste envisagée.

Les députés suggèrent également de confier à l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information) l’élaboration d’une charte à l’attention des administrations concernant la contractualisation en matière de solutions de stockage et d’hébergement de données, ainsi que de renforcer les moyens financiers et humains de la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés) à l’occasion du prochain projet de loi de finances.

Soutien aux entreprises

Modèle qui a déjà fait ses preuves aux États-Unis, le développement d’incubateurs de start-ups par le secteur public dans des domaines tels que la santé, l’éducation ou l’urbanisme pourrait servir l’intérêt général. Sans favoriser systématiquement les entreprises françaises et européennes, les rapporteurs proposent également de faciliter l’accès des start-ups et des PME à la commande publique.  

Enfin, la mission d’information met en avant la nécessité d’intégrer le numérique à une action extérieure en particulier avec l’Afrique en activant le levier de l’aide publique au développement ainsi qu’une la coopération scientifique et universitaire. "Une souveraineté européenne serait de facto affaiblie si la domination américaine et chinoise reste sans appel partout ailleurs dans le monde", souligne Marion Lenne.