Guerre économique : "sortir de la naïveté" pour préserver les intérêts stratégiques de la France ?

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Christophe Plassard en commission des finances, le 17 juillet 2025
Christophe Plassard en commission des finances, le 17 juillet 2025 - LCP
par Soizic BONVARLET, le Jeudi 17 juillet 2025 à 19:00

Christophe Plassard (Horizons et Indépendants) a présenté devant la commission des finances, mercredi 16 juillet, les conclusions de la mission d'information sur la guerre économique. Son rapport invite à "mettre fin à la naïveté", et comporte seize recommandations afin de permettre à la France de mieux défendre ses intérêts économiques et stratégiques.

"La France fait aujourd'hui face à une intensification sans précédent de la guerre économique". Tel est le constat dressé par Christophe Plassard (Horizons et Indépendants) devant la commission des finances ce 16 juillet. Rapporteur de la mission d'information  sur ce sujet, le député s'est en particulier attelé à examiner les menaces qui pèsent sur la base industrielle et technologique de défense (BITD), dans un contexte de durcissement des rapports de forces économiques internationaux.

Définissant la notion de guerre économique comme la "confrontation entre différentes parties qui cherchent à capter, contrôler et accaparer des richesses afin d’accroître leur puissance par l’économie", Christophe Plassard a appelé à "sortir de la naïveté" et à reconnaître, pour mieux les contrer, tous les moyens employés pour affaiblir nos entreprises stratégiques.

Des menaces croissantes sur l'industrie de défense

Évoquant un niveau de menace à la fois élevé et croissant contre la BITD, Christophe Plassard a indiqué qu'"entre 500 et 550 atteintes" étaient avérées chaque année, et que "plus de 750 alertes de sécurité économique" avaient été recensées pour l'année 2024, "contre à peine la moitié 4 ans plus tôt".

80% de ces attaques visent les PME, "moins dotées pour se défendre que les grands groupes", et les menaces sont aujourd'hui protéiformes, a souligné le rapporteur. Il a aussi évoqué des "indiscrétions internes", qui concernent plus d'un tiers des actions hostiles, et des atteintes physiques telles que des intrusions, sabotages, ou encore le survol de sites sensibles par des drones, qui ont quasiment doublé en un an. Les "menaces capitalistiques" visent les entreprises vulnérables au travers de prises de contrôle hostiles ou d'investissements indirects étrangers. Enfin, Christophe Plassard n'a pas manqué d'évoquer "des cyberattaques qui explosent".

La guerre est bien de retour, sous toutes ses formes : la guerre traditionnelle, celle que l’on observe en Ukraine, dans certains pays d’Afrique et au Moyen-Orient ; la guerre hybride, qui se déploie à coups d’ingérences étrangères ou de manipulations de l’information ; et la guerre économique, qui oppose nos entreprises à celles de nos compétiteurs stratégiques. Texte du rapport

Si la Russie et la Chine constituent une grande part de l'origine de ces attaques, Christophe Plassard a indiqué qu'elles pouvaient aussi être initiées par "des alliés stratégiques" tels que les Etat-Unis, "chacun mobilisant ses moyens d'influence, de finances, d'espionnage et de normes pour protéger et favoriser ses propres industries de défense".

Renforcer la sécurité du secteur

Si Christophe Plassard estime que le rôle de la France est d'"impulser une réponse européenne ambitieuse", il a également appelé à agir au niveau national.

Le rapport préconise aussi, dans le cadre du contrôle des investissements étrangers, de "généraliser la pratique du conseil d’administration alternatif (proxy board) pour renforcer le suivi des engagements imposés aux investisseurs étrangers". L'objectif étant de renforcer les contrôles, et de les internaliser au sein des entreprises sensibles.

Ces "proxy boards", qui existent déjà aux États-Unis ou en Australie, sont en fait des conseils d’administration alternatifs, uniquement composés de ressortissants nationaux, qui coexistent avec les conseils d’administration conventionnels. Ils disposent d’un droit de veto sur certaines décisions non économiques de leur entreprise, "de façon à bloquer, par exemple, la nomination d’un directeur général ou un déménagement d’infrastructures qui seraient contraires aux intérêts nationaux".

Mobiliser les banques

Le rapport préconise en outre de "mieux mobiliser l'épargne nationale pour investir dans l'industrie de défense". Il s'agirait ainsi de "créer un livret défense et souveraineté", ou de "flécher une partie des encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire vers les PME de l’industrie de défense".

Un enjeu prioritaire de souveraineté stratégique selon Christophe Plassard, ce dernier estimant que "le rôle des entreprises de la BITD est de produire pour équiper nos armées à la hauteur de leurs besoins, pas de perdre leur temps à chercher des financements alors même qu’elles sont soutenues par l’État". Alors que la piste d'un "livret A militaire" avait un temps été envisagée avant d'être abandonnée par le gouvernement, le rapporteur estime que "la préservation de leur image par les banques ne doit pas prendre le pas sur leur mission première qui est de soutenir l’activité économique et de permettre à nos filières de souveraineté de perdurer".

Autre mesure préconisée par le rapport : permettre aux licences d’exportation délivrées par l’État de revêtir un caractère contraignant pour les établissements bancaires. Le rapport cite l'exemple d'une entreprise ayant fait face à plusieurs refus de financement bancaire dans le cadre de contrats conclus dans un pays du Moyen-Orient, alors même que l’entreprise avait obtenu une licence d’exportation de la part de l’État. La raison invoquée était liée à la livraison d'armes susceptibles d'être utilisées dans le cadre du conflit au Yémen. "Est-il acceptable que des banques françaises se permettent de mener une politique différente de celle de l’État et contraire à nos intérêts militaro-industriels ?", s'indigne aussi le rapporteur.

La commission de la défense ayant entériné la publication du rapport de Christophe Plassard, certaines de ses recommandations pourraient se traduire législativement par des amendements au budget pour 2026 ou à la prochaine loi de programmation militaire.