Individualisation de l'AAH : en commission, la majorité oppose une fin de non-recevoir

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par Ariel Guez, le Mercredi 9 juin 2021 à 09:55, mis à jour le Mercredi 9 juin 2021 à 15:18

La proposition de loi "portant diverses mesures de justice sociale" et qui visait notamment à la déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) a été modifiée en commission des affaires sociales par les députés LaREM et MoDem. Malgré un soutien transpartisan à ce texte, la majorité a remplacé l'individualisation de l'AAH par "un abattement forfaitaire". 

La déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), ce ne devrait pas être pour tout de suite. Malgré le vote du Sénat en mars et le soutien des tous les groupes parlementaires présents à l'Assemblée nationale, à l'exception des groupes La République en marche et Mouvement démocrate, la proposition de loi "portant diverses mesures de justice sociale" n'a pas été adoptée conforme en commission des affaires sociales mercredi 9 juin. Une semaine avant son examen en séance publique dans le cadre de la journée d'initiative parlementaire du groupe Gauche démocrate et républicaine, ce vote réduit fortement la probabilité de voir la mise en oeuvre l'individualisation de l'allocation aux adultes handicapés d'ici la fin du quinquennat. 

Vivre en couple ou être indépendant financièrement, voilà le choix que le système actuel impose aux personnes handicapées Stéphane Peu (PCF)

Cette allocation, mise en place depuis 1975, est attribuée sous réserve de respecter des critères d’incapacité, d'âge, de résidence et de ressources. Si elle a été de nombreuses fois augmentée ces dernières années (elle peut atteindre aujourd'hui jusqu'à 903€), une pétition sur le site du Sénat a permis d'accélérer le calendrier parlementaire de la proposition de loi de Jeanine Dubié (Libertés et territoires), qui avait été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale en février 2020. 

La proposition de loi visait à mettre fin à une injustice, ont plaidé les rapporteurs Jeanine Dubié et Stéphane Peu (Gauche démocrate et républicaine) : individualiser (ou déconjugaliser) l'AHH. Car aujourd'hui, si un bénéficiaire est en couple, le versement de l'allocation dépend des revenus de son conjoint. Par exemple, une femme en couple et sans enfant ne pourra toucher l'AAH si les revenus du foyer dépassent le plafond de 19 626 € par an. Or, lorsque dans le couple, un des deux conjoints n'est pas en situation de handicap, cette somme peut rapidement être atteinte. "Vivre en couple ou être indépendant financièrement, voilà le choix que le système actuel impose aux personnes handicapées. Ce 'prix de l'amour', comme l'appellent certains, nous parait inacceptable", résume le communiste Stéphane Peu. 

Parce que l'AAH peut être réduite, voire supprimée pour les bénéficiaires qui vivraient en couple, le mode de calcul "est absurde", abonde Jeanine Dubié. La députée Libertés et Territoires souligne aussi "la dangerosité" d'un statu-quo. "La dépendance financière envers son conjoint est particulièrement problématique pour les femmes victimes de violences conjugales pour lesquelles la dépendance financière constitue un frein supplémentaire pour s'extraire des situations d'emprises qu'elles subissent", explique-t-elle. 

LaREM voit l'AAH comme un "minima social"

Côté majorité, Stella Dupont (LaREM) reconnaît que "la déconjugalisation telle qu'elle est proposée aujourd'hui peut être une perspective", mais l'exclut pour le moment, arguant de la "difficulté" à mettre en œuvre une telle réforme. La députée a proposé un amendement visant "à modifier les règles d’abattement des revenus du conjoint du bénéficiaire de l’AAH, en passant d’une logique proportionnelle à une logique forfaitaire afin d’avoir un dispositif plus favorable aux bénéficiaires en couple et plus redistributif." Selon ses calculs, si l'abattement était fixé à 5.000€, "il permettrait qu’un bénéficiaire de l’AAH dont le conjoint est rémunéré au SMIC puisse conserver l’AAH à taux plein."

Le clivage entre la majorité présidentielle et les autres forces politiques s'est aussi illustré dans la considération même de l'allocation aux adultes handicapés. Véronique Hammerer (LaREM) la considère comme un "minima social." "Si nous les individualisons, quel impact pour notre modèle de société ?" interroge-t-elle. "Notre groupe n'a pu se résoudre à remettre en question le modèle redistributif sur lequel est basé notre solidarité nationale."

"Vous confondez solidarité familiale et solidarité nationale", a répondu Janine Dubié. "L'AAH, c'est une prestation qui relève du code de la Sécurité sociale. Et les principes du code de la Sécurité sociale, c'est universalité, uniformité, et unicité", explique-t-elle. 

La famille s'est invitée dans les débats. Et est devenue un des arguments de Stéphane Peu. "La situation actuelle de dépendance liée à la conjugalisation de l'AAH est quelque chose qui va contre la famille. La famille, c'est avant tout avoir une relation affective, ce n'est pas une relation de dépendance", a-t-il expliqué. 

Vers une remise à zéro du parcours législatif ? 

L'amendement LaREM-MoDem présenté avec le soutien du gouvernement a finalement été adopté à une courte majorité selon notre décompte (19 voix pour, 16 voix contre). Conséquence : si dans l'hémicycle, les députés confirment ce vote et ne rétablissent pas la version précédente du texte, la proposition de loi devra repasser par le Palais du Luxembourg, ce qui retardera son éventuelle adoption définitive et son entrée en vigueur. Ce que les rapporteurs avaient regretté par avance : "Il faut qu'on soit clair. Tout amendement est une forme de refus de voir cette loi votée et promulguée." 

Dans les débats, le député de La France insoumise François Ruffin a déploré l'attitude de la majorité. "C'est une situation très concrète pour des centaines de milliers de personnes dans le pays. Et ce que vous êtes en train de faire-là, c'est de faire repartir la proposition de loi à la case départ !" Surtout, il s'est emporté après que Véronique Hammerer a estimé que "la déconjugalisation [était] un petit morceau de l'iceberg, dans le sens où nous devons refonder la philosophie, l'accompagnement de l'allocation envers les personnes en situation de handicap."

"L'AAH est un sujet trop compliqué pour être résolu en deux heures ? Mais vous avez eu quatre ans pour le faire ! Et vous voulez nous faire croire que d'ici la fin du mandat vous allez revoir toute l'allocation adulte handicapée alors que vous n'avez rien fait en quatre ans ?" s'est exclamé François Ruffin. 

Quelle issue en séance le 17 juin ? 

Reste toutefois un espoir pour les soutiens au texte : l'examen de la proposition de loi en séance publique jeudi 17 juin dans l'hémicycle. En première lecture, en février 2020, quelques députés de la majorité avaient contribué  à mettre le gouvernement en minorité sur le sujet et le principe de l'individualisation de l'AAH avait été adopté. Et récemment, le secrétaire d'Etat chargé de l'Enfance et des Familles, Adrien Taquet, s'est dit favorable à la déconjugalisation de l'AAH, tout en précisant qu'il s'agissait d'une prise de position personnelle qui ne correspond donc pas à la ligne du gouvernement et de la la majorité.