La haine en ligne dans le viseur du gouvernement

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Cédric O Principes républicains
par Ariel GuezSoizic BONVARLET, le Jeudi 7 janvier 2021 à 09:57, mis à jour le Mardi 26 janvier 2021 à 11:40

Devant les députés, mercredi 6 janvier, le secrétaire d'État chargé de la Transition numérique Cédric O a défendu les dispositions du projet de loi "confortant le respect des principes de la République" qui doivent permettre de lutter contre les contenus en ligne à caractère haineux. Au-delà de la condamnation de leurs auteurs, c'est la question de la responsabilité des plateformes qui se pose.

Lutter contre la haine en ligne : c'est l'une des nombreuses ambitions du projet de loi visant à renforcer les principes républicains, dont les députés préparent l'examen par une série d'auditions. Le secrétaire d'État chargé de la Transition numérique Cédric O était entendu mercredi soir par la commission spéciale chargée du texte : il a détaillé les mesures destinées à remplir cet objectif.

Modération des contenus, blocage des sites haineux : le projet de loi va reprendre certains dispositifs de la loi Avia

Or la question n'est pas simple. Il y a quelques mois, un texte sur le même thème, la loi Avia, a été censuré par le Conseil constitutionnel. Sa disposition phare, l'obligation de retrait en 24 heures des contenus "manifestement" haineux, avait été jugée contraire à la Constitution. L'exécutif a décidé de remettre l'ouvrage sur le métier : le projet de loi "principes de la République" reprend ainsi à l'article 19 "des éléments qui doivent permettre de bloquer la réapparition des sites haineux", a expliqué Cédric O.  

 

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Le secrétaire d'État a également annoncé que le gouvernement allait proposer par amendement le fait que le projet de loi reprenne "de manière quasiment miroir les dispositions du "Digital Services Act (DSA)" relatives aux grandes plateformes. Ce texte, présenté le 15 décembre 2020 par la Commission européenne, impose pour la première fois des "obligations de moyens" aux réseaux sociaux dans la modération des contenus. 

"Nous disons aux grands réseaux sociaux : 'Vous devez avoir des équipes de modération efficaces et transparentes. Si on estime que vous ne faites pas assez pour modérer, on vous sanctionne'", a ainsi lancé Cédric O. Le secrétaire d'État a indiqué que les sanctions financières pourraient aller jusqu’à 6% du chiffre d'affaires, soit deux points de plus que ce qui était prévu dans la loi Avia.  "Ce sont des sanctions extrêmement substantielles, mais on sait que c'est à ce niveau-là qu'est jugé le caractère efficace des dispositions", a assuré Cédric O, qui juge indispensable que les grands acteurs du numérique soient désormais comptables des propos et des contenus qu’ils abritent.

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Cette "pré-transcription" du DSA (le texte français rédigé par le gouvernement sera remplacé automatiquement lorsque le règlement européen entrera en vigueur dans quelques années, ndlr) sera transmise prochainement au Conseil d'Etat ainsi qu'à la commission spéciale de l'Assemblée nationale. Une transparence pour garantir la bonne foi du gouvernement, a assuré le secrétaire d'État. 

"La censure au fond de la loi dite Avia s'est concentrée sur l'article 1er, et par voie de conséquence rédactionnelle, a sanctionné tout le reste, a estimé Cédric O. Le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur les obligations de moyens, abordées aux articles 2, 3 et 4. On ne peut pas préjuger de la constitutionnalité ou non, au regard de la décision du Conseil constitutionnel. C'est bien pour cette raison que nous allons transmettre au Conseil d'État la version française pré transposée du DSA !" a-t-il expliqué. 

Cédric O reconnaît d'ailleurs lui-même que "compte tenu de la sensibilité juridique", il existe "une petite incertitude sur l'approbation [de l'amendement] par le Conseil d'État

Création d'un nouveau délit de diffusion d'informations relatives à la vie privée

Autre mesure sensible du texte, l'article 18 du projet de loi crée un délit de mise en danger de la vie d'autrui par diffusion d'informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle. Ce nouveau délit réprime "le fait de révéler, diffuser ou transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser, dans le but de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque immédiat d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens".

"Il existe [déjà] un délit sur la révélation des données personnelles", a reconnu Cédric O, au terme d'un échange avec le président de la commission spéciale François de Rugy (LaREM). "Cet article vient majorer la peine lorsque non seulement vous diffusez des données personnelles, mais en plus avec l'intention de nuire", a indiqué le secrétaire d'État.  

Haine en ligne : "L'anonymat, ce n'est pas le cœur du problème", assure Cédric O

Interrogé par plusieurs députés sur un autre sujet souvent évoqué, Cédric O est apparu réservé sur l'éventualité de mettre fin à l'anonymat sur Internet. Pour mémoire, en février 2020, après la diffusion de vidéos intimes visant Benjamin Griveaux, plusieurs élus du Palais Bourbon avaient dénoncé cette pratique. Le président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand avait par exemple estimé que "l'anonymat est [était] une honte.

"L'anonymat, ce n'est pas le cœur du problème", a répondu devant les députés le secrétaire d'État. Il a jugé que même si, dans plusieurs affaires récentes ou médiatiques, des comptes anonymes étaient mis en cause, "99 % des gens ne sont pas anonymes. Et on sait les retrouver". "Le sujet, c'est qu'on ne sait pas gérer la massification et la viralité des contenus. (...) Si tout le monde était sous son vrai nom, on ne saurait de toute façon pas le gérer !" a-t-il assuré. "Et il n'y a pas un pays démocratique qui n'a su régler la question".

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Sanctionner... et éduquer.

Le secrétaire d’État à la Transition numérique a par ailleurs insisté sur la "grande transition" que la planète entière vit au travers des nouvelles technologies. "Nous ne nous en sortirons pas sans former nos jeunes et nos moins jeunes", a-t-il ainsi déclaré, avant d’évoquer la sensibilisation préalable des enseignants et de la société dans son ensemble. "Quand des policiers débarquent chez quelqu’un qui, sur Internet (...) a eu des propos homophobes ou racistes ou antisémites, la personne est extrêmement surprise de devoir rendre des comptes sur ce qu’elle a dit sur Internet (…)". Pour le secrétaire d'État cela montre la nécessité de renforcer l'éducation pour se montrer "à la hauteur" de ce "changement de société".

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Comme en écho... L'invasion du Capitole

Ayant appris quelques minutes avant le début de l’audition que des partisans de Donald Trump avaient envahi le Capitole, le président de la commission spéciale, François de Rugy, s’est ému des événements en cours aux États-Unis, et a exprimé la solidarité de la représentation nationale vis-à-vis des parlementaires américains. "D’autant plus que cela a été déclenché, on peut le dire, par la parole du président des États-Unis encore en fonction, qui a appelé des manifestants à marcher sur le Capitole, à marcher sur le Congrès américain", a-t-il ajouté. Des événements qu’il a relié directement au cœur du sujet de l’audition, déclarant : "Il y a un petit lien avec le sujet qui nous occupe ce soir car on sait bien qu’évidemment aux États-Unis, les réseaux sociaux et Internet jouent un rôle majeur dans la mobilisation des citoyens".

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Des propos de François de Rugy jugés bienvenus et salués par plusieurs députés présents dans la salle et en visioconférence, notamment Isabelle Florennes (MoDem), qui a déploré, "en regardant justement les réseaux sociaux", que certains groupes politiques n’aient pas exprimé leur désapprobation au regard des événements en cours. "Tous les groupes politiques du Parlement devraient condamner ce soir de tels agissements dans la grande démocratie américaine", a ainsi considéré la députée des Hauts-de-Seine.

Pour revenir au contexte français, on se souvient que les réseaux sociaux avaient été à de nombreuses reprises pointés du doigt à l'occasion de l'assassinat de Samuel Paty. Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin allant jusqu'à évoquer une "fatwa" lancée en ligne contre le professeur. Il avait alors regretté que la loi Avia ait été censurée par le Conseil constitutionnel. Titre majeur du projet de loi "confortant le respect des principes de la République", qui sera débattu à partir de début février dans l'hémicycle, les dispositions autour de la lutte contre la haine en ligne devraient faire l'objet d'une attention particulière des députés.