"Le compte n'y est pas" : des membres du CESE font part de leurs doutes sur le projet de loi climat

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Une manifestation pour le climat à Paris
Une manifestation pour le climat à Paris en décembre 2020
Frédéric Migeon / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
par Raphaël Marchal, le Jeudi 18 février 2021 à 11:07, mis à jour le Mardi 3 décembre 2024 à 16:38

Les députés de la commission spéciale chargée d'examiner la loi climat ont poursuivi ce jeudi 18 février leurs travaux préparatoires. Ils ont auditionné trois membres du Conseil économique, social et environnemental : ces derniers ont regretté l'absence d'ambition du texte.

Après l'audition de représentants de la Convention citoyenne pour le climat, c'était au tour de membres du Conseil économique, social et environnemental d'être entendus à l'Assemblée nationale. L'objectif : nourrir les réflexions des députés de la commission spéciale, chargés d'examiner le projet de loi "portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets".

Dans la lignée de l'avis de l'instance, les représentants du Cese ont fait part de leurs doutes quant à l'ambition réelle du texte tel qu'il a été présenté par l'exécutif. "Le compte n'y est pas par rapport aux objectifs de diminution de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 et de neutralité carbone d'ici 2050", a ainsi déclaré Michel Badré. L'ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts a regretté l'absence de précisions concernant les financements destinés à la transformation des logements ou des infrastructures de transport.

Selon lui, "pour élever l'ambition" du projet de loi, il est nécessaire d'intégrer les stratégies de lutte contre le changement climatique aux politiques de lutte contre les inégalités, afin d'éviter des mouvements de protestation tels que celui des "bonnets rouges" ou des "gilets jaunes". "Les taxes n'ont de sens que si elles sont accompagnées de compensations sociales pour les catégories les plus défavorisées", a-t-il insisté. Il a également préconisé de regarder de très près les études et travaux portant sur l'impact des mesures du texte sur l'emploi.

Plus précisément, Michel Badré a pointé du doigt la nécessité de travailler en amont sur l'impact de certaines mesures, comme sur les négociations en amont pour le télétravail, et les investissements induits par l'existence de "zones blanches", où la connexion Internet est inégale, voire inexistante. Même chose concernant le développement de "mobilités douces" : construire des pistes cyclables est une chose, mais les sécuriser et les pérenniser en est une autre.

Passoires thermiques

De son côté, Claire Bordenave, également membre du Cese, a regretté l'absence d'ambition des mesures relatives aux "passoires thermiques", les logements les plus consommateurs d'énergie. L'article 42 du texte prévoit l'interdiction de la location de ces logements à compter de 2028. Mais les deux-tiers du parc sont occupés par leurs propriétaires, "souvent des personnes modestes", et ce sujet n'est "pas abordé par le projet de loi", a pointé l'économiste.

Même observation concernant l'interdiction de la publicité pour les voitures les plus énergivores, disposition qui avait été proposée par les citoyens de la Convention, mais qui n'a finalement pas été retenue dans la mouture finale. L'article 4 du texte prévoit uniquement l'interdiction de la publicité pour les énergies fossiles.

Si elle a salué l'objectif du texte de réduire les émissions de gaz à effet de serre, Claire Bordenave a également estimé que se focaliser sur la notion d'empreinte carbone aurait été plus juste, car elle prend en compte les biens et produits importés. "Une partie de la baisse des émissions observée depuis dix ans est due à la délocalisation de nos activités. Ce sont donc des résultats en trompe l'œil."

Des conditions "déraisonnables"

Plus largement, la présidente de la section de l'environnement du Cese, Anne-Marie Ducroux, a dénoncé les conditions "assez déraisonnables" dans lesquelles l'instance a été saisie sur le projet de texte. Les membres de l'assemblée ont dû siéger "entre Noël et jour de l'An", d'abord sans texte, puis avec des versions provisoires qui se sont succédé alors que leurs travaux avaient déjà commencé. "Il y a lieu de s'interroger sur ces questions", a insisté la cheffe d'entreprise, notamment en vue de la réforme du Cese.

Nos conditions de travail ont été difficiles et inquiétantes. Anne-Marie Ducroux, présidente de la section de l'environnement du Cese

Par ailleurs, Anne-Marie Ducroux, interrogée par la présidente de la commission spéciale, Laurence Maillart-Méhaignerie (LaREM), a tiré un premier bilan de la Convention citoyenne pour le climat. Elle a jugé qu'il était "trop tôt" pour statuer sur l'efficacité de ce mode de concertation inédit de la Vème République. "Attention à l'épuisement démocratique", a-t-elle toutefois lancé, jugeant qu'il serait dangereux de multiplier à l'excès  ce genre d'initiatives.

Selon elle, un échec du processus pourrait ébranler encore plus gravement la confiance des citoyens dans la démocratie. Elle a également défendu, en creux, le rôle du Cese : "Nous ne souhaitons pas que ces consultations se substituent à celles de la société civile organisée, et à celle de la démocratie représentative." Un argument qui ne peut que porter auprès des députés.