Le patron de la DNCG revient sur l'épisode Mediapro et tire la sonnette d'alarme

Actualité
par Ariel Guez, le Jeudi 10 juin 2021 à 14:39, mis à jour le Jeudi 10 juin 2021 à 17:11

À l'Assemblée nationale, Jean-Marc Mickeler, président de la Direction nationale du contrôle de gestion (chargée de surveiller les comptes des clubs de football professionnels en France), est revenu sur les conséquences de la double crise Covid-Mediapro pour les clubs français de football. Selon lui, "les droits audiovisuels ne doivent pas constituer l'axe unique" de leurs revenus. 

Le football français doit-il muscler son jeu, au risque de subir quelques déconvenues ? Oui, à comprendre Jean-Marc Mickeler, le patron de la Direction nationale du contrôle de gestion (la DNCG, une commission indépendante hébergée par la Ligue de football professionnel, chargée de surveiller les comptes des clubs de football professionnels en France). Auditionné, jeudi 10 juin, par les députés de la mission d'information sur le financement du sport et les droits audiovisuels sportifs, il alerte :

Sans apport massif des actionnaires existants, il est peu probable que la majorité des clubs puisse survivre à la saison 2021-2022.

Ces dernières années, le modèle économique du football professionnel français "n'a pas été pérenne", avec une base de coûts installés d'environ 2,8 milliards d'euros. Or, souligne le patron de la DNCG, la capacité de génération de revenus, avec des droits audiovisuels cédés à 600 millions d'euros et des stades pleins, n'atteignait 'que' 1,7 milliard d'euros. Début 2020, la LFP avait 1,7 milliard de fonds propres et 500 millions d'euros de dette. "Si elle n'avait dû affronter que le Covid-19, on aurait pu imaginer que ce niveau de fonds propres aurait pu permettre de passer cette crise avec un minimum d'encombres. Mais affronter cette crise et le défaut de Mediapro, c'était mission impossible", explique Jean-Marc Mickeler.

"L'utilisation opportuniste de la crise sanitaire par ce diffuseur"

Médiapro, c'est le groupe audiovisuel espagnol qui a bouleversé le football français. En 2018, la LFP lui a vendu pour 795 millions d’euros par an une bonne partie des droits de la Ligue 1 portant sur la période 2020-2024. Une somme importante, mais qui n'a pas été versée. Après plusieurs retards de paiement, le patron du groupe, Jaume Roures, a expliqué qu'il souhaitait, en raison de la crise sanitaire, renégocier le contrat signé deux ans plus tôt. "Rupture de contrat, litiges juridiques multiples, appels d'offre : la Ligue dirigée par Vincent Labrune se démène pour éviter l'écran noir, jusqu'à l'annonce début février d'un accord avec Canal+ pour la fin de saison. Cela se traduit par une baisse des revenus télévisuels des clubs à hauteur de 49 % pour l'exercice en cours, selon des sources ayant connaissance du dossier", rappelle l'AFP. 

"Il y a quelque chose qu'on ne pouvait pas pressentir : l'utilisation opportuniste de la crise sanitaire par ce diffuseur pour remettre en cause un certain nombre de ses engagements et pour rentrer dans cette épreuve de force", explique ce jeudi Jean-Marc Mickeler. "Je pense qu'aujourd'hui, personne ne sait dire si Médiapro a quitté le navire parce que vraiment, ils n'avaient pas les moyens d'honorer leurs échéances ou si Mediapro a quitté le navire parce qu'ils se sont rendu compte qu'ils avaient surpayé le produit, et que du fait du Covid-19, c'était inabsorbable", explique-t-il devant les députés. 

Ligue 1 à 18 clubs et "une vraie expérience client" 

Pour les prochaines saisons, Jean-Marc Mickeler a défendu plusieurs réformes, et notamment le passage à 18 clubs en Ligue 1 (contre 20 actuellement). "Vous réduisez l'offre, vous renchérissez la valeur du produit. (...) Dans une industrie, vous écoutez votre principal client. Le principal client, c'est le diffuseur, et il veut moins de matches ! Si quand vous vendez un produit, vous n'écoutez pas ce que le client cherche, ça part mal", élude le président de la DNCG. En jouant moins de matchs de championnat, les joueurs auraient plus de temps de repos, ce qui pourrait avoir comme conséquence de meilleures prestations et donc de meilleurs résultats sur la scène européenne, ajoute-t-il. 

Jean-Marc Mickeler appelle également à "élargir la base de revenus des clubs professionnels et à ne pas considérer que les droits audiovisuels doivent constituer un axe unique de revenus." Faire revenir les supporteurs dans les stades est donc essentiel. "Il faut créer une vraie expérience client comme dans n'importe quelle industrie."

Outre l'aspect purement économique et financier, Jean-Marc Mickeler souligne l'importance d'une bonne représentation des clubs de Ligue 1 en coupe d'Europe. Sur ce point, "on est plus proches du championnat polonais", glisse-t-il. Si la Pologne est bien loin au classement UEFA des coefficients par pays (qui se calcule en fonction des performances des clubs sur les cinq dernières années, ndlr), la France pourrait, dans les prochaines années, se faire rattraper à la cinquième place par le Portugal. Et donc avoir moins de représentants en Ligue des champions. "Ce serait dramatique, et ça plongerait le football français dans une dynamique absolument désastreuse", estime le patron de la DNCG. 

"Il faut mener une réflexion spécifique sur des matchs qui pourraient être diffusés en clair"

Le futur du football français, qu'il soit heureux ou triste, sera-t-il disponible en dehors des chaînes cryptées ? Aujourd'hui, sans abonnement à Canal+ ou à BeinSports, il est littéralement impossible de suivre les matchs de la Ligue 1 ou la Ligue 2. "Le fait que le football ait migré durablement vers des chaînes payantes ou des plateformes, c'est malheureusement un état de fait qui sera difficile de contrer", explique Jean-Marc Mickeler. En revanche, le patron de la DNCG reconnaît qu'il y a "trop d'offres." "Il faut mener une réflexion spécifique sur des matchs qui pourraient être diffusés en clair", poursuit-il, avant de conclure : "Mais compte tenu des sommes nécessaires pour entretenir un championnat de qualité, le fait d'en faire un produit premium est une donnée, de mon point de vue, intangible."