L'article 1er du projet de loi sur le pouvoir d'achat a été voté mardi soir après un long débat commencé la veille. Il donne aux employeurs la possibilité de verser une prime sans cotisations sociales jusqu'à un plafond de 6000 euros. Entre la majorité et les oppositions, mais aussi entre les oppositions, le débat alterné entre bras de fer et dialogue de sourds.
Salaire contre prime, prime contre salaire... Depuis lundi soir, les députés se sont affrontés sur le premier sujet mis sur la table par le paquet "pouvoir d'achat" du gouvernement, qui doit être discuté toute la semaine dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.
Le texte du projet de loi prévoit, dans son premier article, deux primes : l'une reprend jusqu'au 31 décembre 2023 l'esprit de la "prime Macron" (éteinte en mars 2022), en permettant le versement jusqu'à 3000 euros par salarié payé en-dessous de trois Smic, et ce sans charges, ni impôt. L'autre, plus pérenne, intitulée "prime de partage de la valeur", inscrit dans le droit une prime maximale de 3000 euros sans charges, mais soumise à l'impôt sur le revenu, pour tous les salariés, quels que soient leurs revenus. Le montant pourra même atteindre 6000 euros dans les entreprises qui signent un accord d'intéressement.
Pour le gouvernement, l'affaire est entendue : il s'agit de redonner des marges aux entreprises pour qu'elles récompensent rapidement leurs salariés (la prime ne s'applique pas aux fonctionnaires) alors que l'inflation continue sa course. Une philosophie plutôt partagée dans l'hémicycle puisque l'article a été voté à une large majorité.
Mais pour les bancs de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), le compte n'y est pas. Les députés de gauche sont donc montés au créneau dès lundi soir pour critiquer la voie empruntée par le gouvernement.
Les primes, ce sont d'abord une manière de "contourner" la question des salaires, a déploré Pierre Dharréville (GDR). Son collègue François Ruffin (La France insoumise) est allé plus loin et a qualifié Bruno Le Maire de "meilleur des menteurs" : "Vous valorisez le travail dans les mots, vous l'écrasez dans les faits", a-t-il envoyé au ministre de l'Economie. La gauche a aussi dénoncé un appauvrissement à venir des comptes de la sécurité sociale, les deux primes étant exonérées de cotisations.
Toute la nuit de lundi à mardi et jusqu'au vote de l'article mardi, les élus de la Nupes ont réclamé des augmentations, une revalorisation du Smic et une conférence nationale sur les salaires. Ils considèrent enfin que l'exécutif se livre à un pur affichage en relevant à 6000 euros le plafond de la nouvelle prime.
Selon les chiffres du gouvernement, l'ancienne prime Macron a concerné en 2021 3,4 millions de salariés pour un montant moyen de 572 euros, loin du plafond prévu par la loi (1000 euros, 2000 euros avec accord d'intéressement). Le triplement des plafonds prévus par la future loi ne triplera donc pas les montants versés par les employeurs, estime la gauche. Laquelle dénonce un tour de passe-passe et a même proposé de rebaptiser le dispositif "prime enfumage" à travers un amendement de La France insoumise.
Un amendement à visée purement symbolique qui a suscité de vives critiques de la part de Jean-Philippe Tanguy (Rassemblement national) qui a dit sa "honte" devant la proposition des députés insoumis qu'il a qualifiés de "bouffons rouges du roi Macron".
Favorables aux hausses de salaires comme aux primes, les élus RN ont parfois laissé les attaques de côté pour jouer la carte de la convergence avec certaines propositions de la gauche. A plusieurs reprises, ils ont soutenu des amendements proposés par les formations de la Nupes, sans toutefois que cela soit suffisant pour que ceux-ci soient votés.
Ainsi, la proposition de François Ruffin de garder les cotisations sur les primes "pour les entreprises qui ont des filiales dans les paradis fiscaux" a été qualifiée de "bon sens" par le même Jean-Philippe Tanguy.
"Vous confondez les salariés avec leurs actionnaires", leur a répliqué Charlotte Parmentier-Lecoq (Renaissance), la rapporteure du projet de loi. Méthodiquement, elle a repoussé les amendements qui auraient pu limiter le nombre de salariés bénéficiaires des futures primes.
Sa collègue Christine Le Nabour (Renaissance) a effectué une mise au point qui a provoqué les critiques de la Nupes : "Nous n'avons jamais dit que nous voulons faire des compromis avec vous", a-t-elle lancé après la prise de parole d'une élue écologiste, visant en creux l'extrême gauche et l'extrême droite de l'hémicycle.
"De l'aveu même de la majorité, il n'a jamais été question de passer un compromis, de rechercher une construction avec les oppositions sur ce texte majeur", a tout de suite réagi le communiste Hubert Wulfranc, rejoint dans son indignation par Sandrine Rousseau (Ecologiste) et Mathilde Panot (La France insoumise).
"Ceux qui votent contre l'article 1er voteront contre la possibilité que le travail paye mieux à la fin du mois", a insisté Aurore Bergé, avant le scrutin. La présidente du groupe Renaissance s'est directement adressée à la Nupes : "Où est la gauche quand elle refuse que le travail paye mieux, paye plus dans notre pays ?" Le ton est donné, alors que le projet de loi comporte vingt articles et qu'un budget rectificatif doit être discuté dans la foulée, avec notamment la très inflammable question de la fiscalité du carburant.