Les plans sociaux sont "anormalement compatibles" avec le versement d'aides publiques aux entreprises, conclut la commission d'enquête de l'Assemblée

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Assemblée nationale
par Raphaël Marchal, le Mercredi 16 juillet 2025 à 17:50

"La possibilité pour une entreprise de toucher d’important montant d’aides publiques tout en pouvant mettre en œuvre des plans de licenciements massifs alimente une crise de confiance démocratique", estime la commission d'enquête sur les plans de licenciement, qui dévoilait son rapport ce mercredi 16 juillet. Elle préconise notamment de conditionner le versement de ces aides au maintien de l'emploi.

C'est un nouveau rapport qui ne manquera pas d'alimenter le débat sur la dépense publique, au lendemain des annonces de François Bayrou sur les mesures d'économies attendues au cours des prochains exercices budgétaires. La commission d'enquête sur "les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements" a rendu ses conclusions, ce mercredi 16 juillet. Dans son dense rapport, Benjamin Lucas-Lundy (Ecologiste et social) juge "urgent de redonner aux pouvoirs publics les moyens de protéger les emplois et les territoires" face à la multiplication des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE, les plans sociaux), en agissant sur différents leviers.

Le député des Yvelines, qui s'est penché sur les cas de Michelin, de Vencorex et d'Arkema, mais aussi d'Auchan, de Casino, de CCF (secteur bancaire), et du secteur du prêt-à-porter au cours de ses travaux, recense en effet 200 plans sociaux initiés entre le 1er janvier et le 31 mars 2025, mettant en jeu plus de 14 000 ruptures prévisionnelles de contrat de travail. Un nombre en hausse de 32,4 % par rapport à la même période l'année dernière, pointe le rapport, qui explique cette évolution par un "affaiblissement du droit du travail consécutif aux réformes successives de 2013, 2015, 2016 et 2017".

Or, est-il écrit dans le rapport, la majorité des plans sociaux "demeure initiée dans des entreprises non défaillantes". Parmi elles, "figurent de grands groupes en excellente santé financière qui procèdent à des fermetures de sites pour des raisons d’optimisation financière internationale sans que la puissance publique ne s’y oppose", déplore le rapporteur. Et ce alors même que les plans sociaux ont des "effets délétères sur les salariés et les bassins d'emplois", accentuant la "désertification industrielle de zones déjà fragiles". Sans compter que la disparition d'entreprises industrielles laissent souvent des friches polluées.

Parmi ses recommandations, le député préconise de renforcer le suivi des plans sociaux. "En l'état actuel des choses, les données disponibles sont lacunaires. [...] L'absence de suivi empêche d'évaluer la pertinence des mesures financées", pointe le rapporteur, qui souligne qu'entre 2018 et 2021, seuls 44 % des plans sociaux ont fait l'objet d'un bilan, ce qui est pourtant une obligation légale pour les employeurs. Il propose de mettre en place des sanctions en cas de non-transmission de ces bilans.

Un remboursement des aides dans certains cas

Contrairement au médiatique rapport du sénateur communiste Fabien Gay, les conclusions de Benjamin Lucas-Lundy ne sont pas centrées sur les aides aux entreprises. Mais le sujet n'en représente pas moins un axe central de son rapport. Le député pointe lui aussi l'"éclatement" et la "multiplicité" des aides aux entreprises, qui compliquent leur suivi exhaustif : avantages fiscaux - dont le crédit d'impôt recherche (CIR) -, allégement de cotisations, dépenses budgétaires... L'enveloppe totale atteindrait entre 150 à 220 milliards d'euros - la commission d'enquête sénatoriale était elle parvenue à une évaluation de 211 milliards d'euros. 

Au regard des "montants considérables", "il apparaît indispensable de faire un audit exhaustif des dispositifs existants", en renforçant la transparence des aides versées, conclut le député Ecologiste et social. En parallèle, il s'étonne tout particulièrement qu'une entreprise qui ait pu bénéficier d'aides publiques puisse par la suite procéder à des licenciements économiques, un phénomène qui "alimente une crise de confiance démocratique". Il est même possible qu'une entreprise verse des dividendes à ses actionnaires, indique le rapport, qui s'appuie notamment sur l'exemple de Michelin en 2024, avec pas moins de 900 millions d'euros de dividendes versés et 500 millions d'euros de rachats d'actions effectués.

Parmi ses recommandations, le rapporteur préconise de conditionner le versement de ces aides publiques au maintien de l'emploi et à des critères économiques, sociaux et environnementaux, de les plafonner, mais surtout de prévoir un remboursement de certaines de ces aides en cas de plan social lorsqu'une entreprise est bénéficiaire. La commission d'enquête recommande la création d'une Haute autorité indépendante pour les aides publiques aux entreprises, qui serait composée des partenaires sociaux, de responsables locaux, de parlementaires et de membres de l'administration. Elle disposerait de "pouvoirs d'enquête contraignants" et pourrait enclencher le recouvrement des aides publiques.

La "responsabilité" de l'Etat

Dans son rapport, la commission d'enquête pointe la "responsabilité de l'Etat" face aux plans de licenciement. "Trop souvent, son inaction, son silence ou ses réponses diluées ont renforcé le sentiment d’abandon dans les bassins d’emplois", souligne le rapporteur. Selon lui, l'administration se retrouve reléguée à un rôle d'homologation ou de validation des plans sociaux. "Aucun contrôle n’est exercé par l’administration sur la validité du motif économique", déplore-t-il, rapportant que très peu de plans sociaux font l'objet, in fine, d'une décision de refus de validation ou d'homologation.

Les travaux de cette commission révèlent une constante inquiétante : le recul progressif de la capacité de l’État à orienter les choix stratégiques des grandes entreprises, y compris lorsqu’elles sont massivement soutenues par des fonds publics. Rapport de la commission d'enquête

Face à ce constat, il recommande plusieurs leviers d'action : étendre aux entreprises de plus de 250 salariés l'application du dispositif de recherche d'un repreneur en cas de fermeture d'un établissement, ou interdire toute suppression d'emploi pendant la procédure de recherche d'un repreneur.

Benjamin Lucas-Lundy met par ailleurs le doigt sur une "forme de tabou" dans les prises de participation de l’État au capital d'entreprises en difficulté, fustigeant, là encore, l'inaction des pouvoirs publics dans le cas de la chute du chimiste isérois Vencorex. Selon le député, une "nationalisation temporaire partielle" faisait partie des solutions envisageables pour sauver le site.

Des salariés défavorisés

La commission d'enquête relève par ailleurs une "asymétrie de moyens entre les employeurs et les représentants du personnel" dans le cadre de la mise en place d'un plan social, et une "insuffisance des moyens humains ou financiers". Ce schéma implique le risque d'une "négociation déloyale" des conditions dudit plan social.

Pour y remédier, Benjamin Lucas-Lundy préconise de renforcer les prérogatives et les formations du CSE. En parallèle, "il importe de renforcer la place des salariés dans les conseils d'administration, là où les décisions majeures en matière de gestion et de restructurations sont prises", pointe l'élu, qui recommande de passer progressivement à 50 % d'administrateurs salariés dans les conseils d'administrations des entreprises de plus de 1 000 salariés. Enfin, il juge nécessaire de favoriser le déploiement de structures coopératives, dans lesquelles les salariés sont leurs propres patrons.

Denis Masséglia opposé au conditionnement du versement des aides

Dans son avant-propos, le président de la commission d'enquête, Denis Masséglia (Ensemble pour la République), salue la tenue des travaux, qui se sont effectués "dans le calme et la sérénité" malgré le caractère clivant du sujet. L'élu du camp présidentiel tient sans surprise à s'opposer à plusieurs conclusions du rapporteur, se disant notamment "franchement défavorable à ce que l’octroi des aides publiques soit assorti de nouvelles conditions". "Quant à la création d’une Haute autorité indépendante pour les aides publiques aux entreprises, dotées de missions extraordinairement étendues, elle ne s’impose nullement."

Le rapport, s'il contient des pistes intéressantes, propose également "d’explorer des chemins qui ne mèneront nulle part", conclut le président de la commission d'enquête, qui appelle pour sa part à la "poursuite de la politique de l’offre".