Pour lutter contre la précarité énergétique, les députés de la mission d'information sur la rénovation thermiques des logements dressent une liste de 52 propositions. Parmi elles, la suppression de la règle d’écrêtement de MaPrimeRénov’ pour les ménages très modestes et la fin de la mise en location des logements classés D au diagnostic de performance énergétique en 2030.
La France compte plus de 4,8 millions de "passoires thermiques", ces logements énergivores avec une note F ou G au diagnostic de performance énergétique (DPE). Mais ce nombre, revu à la baisse en octobre 2020, est une feuille d'arbre qui cache la forêt. Pour obtenir un parc immobilier résidentiel d’une qualité permettant l’atteinte de la neutralité carbone, "il faut, a minima, rénover 27,1 millions de logements", souligne le rapport d'information de la mission sur la rénovation thermique des bâtiments, adopté mercredi 10 février et que La Chaîne parlementaire a pu consulter. L'épais document, qui résulte de plus de six mois de travaux pilotés par les députés Vincent Descoeur (LR), président de la mission d'information, et Marjolaine Meynier-Millefert (LaREM), rapporteure, dresse 52 propositions pour que la rénovation des logements "devienne un des piliers de la politique économique, environnementale et sociale des prochaines années."
Si la lutte contre le réchauffement climatique s'est imposée dans le débat public, la question du logement est elle aussi devenue centrale. "Et plusieurs objectifs ambitieux portant sur la rénovation du parc de bâtiments ont été inscrits dans la loi", relèvent les députés. Par exemple, jusqu'à 500.000 rénovations par an devaient être réalisées depuis 2017. "Devaient", car, écrivent les élus, "le nombre des rénovations est décevant et le suivi des politiques menées lacunaires." Comment l'expliquer ? "Le financement est globalement insuffisant et l'offre de rénovation n'est pas assez confortée", répond Vincent Descoeur.
Les élus proposent d'abord de "mesurer systématiquement le nombre de rénovations effectuées chaque année selon une définition stricte utilisée par tous les acteurs". Car aujourd'hui, le terme de "rénovation" recouvre à la fois le geste isolé de rénovation, mais aussi un projet de rénovation comprenant plusieurs travaux. Afin d'améliorer le pilotage et le suivi des politiques de rénovation thermique des bâtiments, ils proposent également de créer un observatoire dédié, un Conseil supérieur de la rénovation énergétique. "On ne veut pas créer un énième comité Théodule en fusionnant tout ce qui existe, mais on a besoin que les acteurs se parlent", explique Marjolaine Meynier-Millefert.
Surtout, les députés entendent d'établir "une programmation pluriannuelle de la rénovation thermique du parc de logements sociaux en concertation avec les bailleurs, afin d’échelonner les travaux et de prévoir les financements dédiés." "Aujourd'hui, le cadre existant n'est pas capable de soutenir l'objectif qui est fixé", justifie l'élue LaREM. Même constat pour le parc locatif privé. Ainsi, les députés préconisent de "définir un calendrier de réduction progressive des classes énergétiques pour atteindre la classe A ou B, accompagné d’une interdiction de mise en location des logements classés D dès 2030, des logements classés C en 2035 et des logements de la classe B en 2040."
En 2018, plus de 21 millions de logements étaient classés D au diagnostic de performance énergétique.*"Cette interdiction n'est pas gravée dans le marbre", rassure Vincent Descoeur, rappelant qu'une telle mesure devra faire l'objet quoiqu'il arrive d'une étude d'impact avant toute mise en œuvre. "Mais nous disons très clairement qu'il faudra bâtir un calendrier pour toutes les étiquettes du DPE", explique le député du Cantal. Cette proposition permet de "nourrir le constat fait sur les objectifs", car lui-même le reconnaît : "Aujourd'hui, dans l'état actuel des choses, on n'y arrivera pas."
Concrètement, côté gouvernement, le projet de loi issu de la Convention citoyenne pour le climat (qui sera débattu dans les prochaines semaines à l'Assemblée nationale) prévoit l'interdiction de location des passoires thermiques (F et G) à partir de 2028. Une interdiction qui se fait par étapes, puisque début janvier, l'exécutif a publié un décret qui prohibe dès 2023 la location des passoires thermiques dont la consommation énergétique dépasse les 450 kWh par m2 et par an. Soit 90.000 logements seulement, soulignait Les Echos.
Mais au-delà, du côté de l'exécutif, pas d'horizon sur la rénovation des catégories C, D et E, alors que la majorité des logements y sont classés, rappelle Marjolaine Meynier-Millefert. "Si on ne trace pas une trajectoire, on aura traité les passoires thermiques, mais on se retrouvera avec les mêmes problématiques. Il s'agit de donner de la lisibilité", explique l'élue. Et la marcheuse renvoie la balle au gouvernement :
Charge à l'exécutif de faire des études d'impact et de nous faire des contre-propositions sur la graduation.
En revanche, les députés veulent instaurer une obligation de rénovation globale des copropriétés dont la consommation est supérieure à 331 kWh par mètre carré et par an à partir de 2026. "Rénover de manière globale une maison individuelle peut couter jusqu'à 60.000 euros, contre 20.000 pour un logement dans une copropriété", justifie Marjolaine Meynier-Millefert. Quant aux bâtiments tertiaires, les élus préconisent de prévoir à partir de 2030 une nouvelle obligation de baisse de la consommation énergétique pour les bâtiments tertiaires dont la surface est comprise entre 500 et 1 000 mètres carrés, "avec un objectif de -45 % de la consommation d’ici 2040."
Les députés entendent également développer les mécanismes de repérage et de communication envers les ménages en situation de précarité énergétique, "notamment par le biais des chèques-énergie et par le biais des dispositifs d’accompagnement mis en place par l’ANAH." À terme, les élus du Palais Bourbon veulent que le système d’aides publiques puisse garantir à tous les ménages modestes un reste à charge nul sur leurs opérations de rénovation globales ou un financement entièrement couvert par les économies générées. "Aujourd'hui, les dispositifs d'incitations ne produisent pas les effets escomptés. Le reste à charge est toujours élevé, même lorsqu'on a recours au crédit, fut-il à taux zéro", explique Vincent Descoeur. Ainsi, les députés proposent de supprimer la règle d’écrêtement de MaPrimeRénov’ pour les ménages très modestes (système de plafond pour les subventions, ndlr).
Car si la question de la rénovation des logements fait consensus, celle du financement reste ouverte à débat. Les rapporteurs estiment que pour arriver à une "massification" de la rénovation des logements, il faudrait mettre sur la table 15 à 25 milliards d'euros... contre seulement quatre milliards par an aujourd'hui. "Il faut donc consolider les budgets et qu'on prenne la mesure de l'enjeu", indique Marjolaine Meynier-Millefert. La proposition 38 du rapport est claire : "Soutenir le développement et la consolidation du marché de la rénovation thermique au-delà du plan de relance en renforçant les budgets dédiés à la rénovation des bâtiments publics et privés." Mais des propositions concrètes pourraient être mises en place : pour les copropriétés, les députés suggèrent par exemple la mise en place d'un prêt qui couvrirait l'intégralité des travaux et qui serait remboursé avec les économies réalisées.
Parmi les 52 propositions, celles qui relèvent de la loi seront traduites en amendements et discutées lors de l'examen du projet de loi Climat, promettent les députés. L'exécutif, lui, attend les conclusions d'une "task force" dédiée à l’offre de financement de la rénovation des passoires énergétiques.
* Cette estimation se base sur les données détaillées sur le diagnostic de performance énergétique (DPE) du parc de logements au 1er janvier 2018, disponibles sur le site du gouvernement. Consultez notre carte pour voir, département par département, où sont les logements les plus énergivores... et les mieux classés au DPE.