Loi immigration : motion de rejet, majorité serrée, 49.3... les scénarios possibles dans l'hémicycle

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Gérald Darmanin à l'Assemblée nationale, le 26 septembre 2023. LCP
Gérald Darmanin à l'Assemblée nationale, le 26 septembre 2023. LCP
par Maxence Kagni, le Vendredi 8 décembre 2023 à 17:01, mis à jour le Lundi 11 décembre 2023 à 09:07

L'Assemblée nationale s'apprête à examiner pendant deux semaines le projet de loi "pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration" porté par Gérald Darmanin. Motion de rejet préalable, positions des groupes : LCP vous résume les enjeux autour de ce texte très discuté.

Lundi, à 16 heures, les députés commenceront l'examen du projet de loi "pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration". Le texte, adopté en commission des lois le samedi 2 décembre, devrait être discuté pendant au moins deux semaines, à moins que l'Assemblée nationale ne décide de le rejeter immédiatement. LCP.fr fait le point sur les différents scénarios et positions de groupe vis-à-vis de ce texte âprement discuté.

Une motion de rejet préalable

Et si l'examen du texte était stoppé avant même d'avoir réellement commencé ? Les députés étudieront lundi une motion de rejet préalable déposée par le groupe Écologiste. Prévue à l'article 91 du règlement de l'Assemblée nationale, cette motion provoque un scrutin avant le début de la discussion générale : si une majorité des députés présents vote en sa faveur, le texte est immédiatement rejeté. "Arithmétiquement, oui, les oppositions peuvent se coaliser et voter contre le texte", a réagi Gérald Darmanin vendredi sur FranceInfo .

Pour éviter ce scénario catastrophe, la majorité devra largement mobiliser dans ses rangs et espérer que Les Républicains et le RN refusent de voter la motion des écologistes. "Ce serait la coalition entre la carpe et le lapin", a commenté Gérald Darmanin. "Vous voyez des parlementaires LR voter une motion sur l'immigration avec les Verts et LFI ?", a demandé le ministre de l'Intérieur. 

"On verra lundi...", répond à LCP le député LR Raphaël Schellenberger, qui laisse planer le doute sur les intentions de son groupe. "Tout ce que je peux vous dire, c'est que je serai là", ajoute l'élu. C'est à peu de choses près ce qu'explique le député RN Yoann Gillet quand on lui demande ce que feront les députés du Rassemblement national : "On vous le dira lundi", déclare l'élu.  Les deux groupes ont prévu de tenir une ultime réunion peu avant l'ouverture des débats, pour trancher sur leur stratégie.

Si la motion de rejet est adoptée, le gouvernement devra : 

  • soit retirer le texte, ce qui mettrait fin à son existence parlementaire,
  • soit renvoyer le texte au Sénat,
  • soit convoquer une commission mixte paritaire chargée de trouver un texte de compromis entre députés et sénateurs.

Si la motion n'est pas adoptée, le gouvernement aura alors deux semaines pour essayer de trouver une majorité sur son texte : dans l'état actuel des choses, le gouvernement ne paraît pas disposer des soutiens nécessaires à l'adoption du projet de loi.

Les Républicains groupe pivot

"Pour avoir une majorité à l'Assemblée nationale, où il ne vous a pas échappé que nous sommes en majorité relative, nous devons faire un compromis avec la droite et le centre puisque la gauche a déjà dit qu'elle ne voudrait en aucun cas voter le texte", a commenté sur FranceInfo Gérald Darmanin. "Ni les parlementaires, ni moi-même, ni la Première ministre ne veulent du 49.3", a ajouté le ministre de l'Intérieur.

Les Républicains font office de groupe pivot : même avec un éventuel soutien des députés Liot, la majorité aura besoin du soutien d'une vingtaine de députés LR ou d'une abstention massive au sein du groupe présidé par Olivier Marleix. Mercredi, lors d'une conférence de presse, Eric Ciotti a prévenu que les députés LR ne "voteront pas le texte du projet de loi tel qu'il a été adopté par la commission des lois".

Plusieurs membres du groupe ont néanmoins fait entendre une voix dissonante. Le député de Mayotte Mansour Kamardine, sensible à plusieurs dispositions concernant son territoire d'élection, a voté en faveur du texte en commission des lois. Un autre élu LR, Alexandre Vincendet, envisage de voter en faveur du texte si celui-ci est "durci sur certains aspects". Selon Le Figaro, entre deux et cinq députés LR pourraient décider de s'abstenir.

Gérald Darmanin semble d'ailleurs enclin à tendre la main à la droite : le ministre de l'Intérieur se dit favorable à la réinstauration dans le texte du "délit de séjour irrégulier". "Je sais que c'est une demande des LR mais aussi de quelques parlementaires de la majorité, comme le président [du groupe Horizons] Laurent Marcangeli", a-t-il déclaré au micro de FranceInfo.

La majorité sur une ligne de crête

En durcissant son texte pour plaire à la droite, Gérald Darmanin prend cependant le risque de mécontenter l'aile "gauche" de sa majorité. Le président de la commission des loi Sacha Houlié a d'ailleurs soutenu du bout des lèvres l'amendement de "compromis" proposé par le rapporteur général Florent Boudié sur la question sensible des travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension. "Naturellement, ce n'est pas la version idéale", a commenté l'élu, qui avait signé en septembre une tribune sur ce sujet avec des membres de la Nupes. L'aile droite de la majorité n'a pas non plus été particulièrement convaincue : "Le texte adopté par le Sénat, déjà issu d’un compromis, nous convenait parfaitement", a pour sa part expliqué le président du groupe Horizons Laurent Marcangeli.

Les députés Liot en soutien ?

Les députés du groupe Libertés, indépendants, Outre-mer et Territoires ont voté en faveur du texte en commission des lois. "Nous avons obtenu l'engagement du rapporteur général et du ministre de travailler un certain nombre de sujets en séance", explique à LCP le porte-parole du groupe Benjamin Saint-Huile. Une trentaine d'amendements signés Liot ont par ailleurs été adopté par la commission des lois, notamment sous l'impulsion d'Olivier Serva, qui est un des cinq rapporteurs du texte. "Le vote final du groupe n'est pas acquis", prévient toutefois Benjamin Saint-Huile, qui explique que les 21 députés Liot voteront "majoritairement" pour le texte si celui-ci conserve son "équilibre". "Toutes les autres hypothèses éclateront nos voix", précise l'élu.

Le RN vote contre en commission

Le groupe Rassemblement national a voté contre le projet de loi en commission des lois. "En l'état actuel des choses, nous voterons aussi contre ce texte en séance publique", explique à LCP le député RN Yoann Gillet. "À moins que par miracle la majorité présidentielle accepte nos amendements pour faire un texte qui lutte réellement contre l'immigration", ironise l'élu.

Les députés du RN considèrent que les dispositions relatives à la régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension sont une "véritable ligne rouge". "Le reste du texte est constitué de mesurettes qui ne sont pas suffisantes", assure Yoann Gillet. Le député regrette que le texte sorti de commission, qui a été "coconstruit avec la Nupes et la frange de gauche de la majorité", soit "plutôt pro-immigration".

Les groupes de gauche farouchement opposés au texte

Les groupes de gauche, membres de l'ex-Nupes, sont eux farouchement opposés au texte. Les députés écologistes défendront lundi, en ouverture de séance, la motion de rejet préalable. "À force de courir après la droite radicalisée et l'extrême droite, manifestement sans aucun succès, (...) vous emmenez votre majorité au bord du précipice", a notamment déclaré Benjamin Lucas lors de l'examen du texte en commission des lois. Les députés insoumis combattront aussi le projet de loi, qualifié de "raciste" par Andrée Taurinya (LFI).

Du côté des communistes, si le secrétaire national du PCF Fabien Roussel n'a pas voulu écarter l'hypothèse d'une abstention dans une interview donnée à Sud Radio le 5 décembre, Elsa Faucillon a aussitôt rappelé en conférence de presse l'opposition de nombreux députés du groupe GDR au texte. Les députés communistes, tout comme les élus socialistes, ont ainsi voté contre le texte en commission.