Lutte contre l’évasion fiscale : un rapport parlementaire sur les "règlements d’ensemble" critique une "pratique opaque" et "coûteuse"

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Nicolas Sansu et Mathilde Feld en commission des finances, le 18 juin 2025
Nicolas Sansu (GDR) et Mathilde Feld (LFI) en commission des finances, le 18 juin 2025 - LCP
par Soizic BONVARLET, le Mercredi 18 juin 2025 à 20:00

Les députés Mathilde Feld (La France insoumise) et Nicolas Sansu (Gauche démocrate et républicaine) ont présenté, ce mercredi 18 juin, les conclusions de leur rapport d'information "relatif aux montants, à l’évolution et aux justifications des règlements d’ensemble". Celui-ci épingle une "pratique opaque" qui coûterait chaque année un milliard d'euros aux finances de l’Etat.

Un dispositif d'exception devenu outil d'optimisation fiscale ? Telle est l'une des questions posées par les députés Nicolas Sansu (Gauche démocrate et républicaine) et Mathilde Feld (La France insoumise), qui se sont penchés sur la pratique des "règlements d'ensemble". Tous deux rapporteurs spéciaux de la commission des finances sur la lutte contre l'évasion fiscale, ils ont examiné les ressorts de cette procédure qui permet à l’administration de conclure un accord avec un contribuable dans le cadre d’un contrôle fiscal. A l'issue de leurs travaux, ils ont présenté leurs conclusions, ce mercredi 18 juin, d'abord en commission, puis lors d'une conférence de presse à l'Assemblée nationale. 

Permettant à l’administration fiscale de parvenir à une solution à l'amiable avec des contribuables en cas de fraude, en minorant non seulement les pénalités dues, mais aussi les droits demandés, ces "règlements d’ensemble" avaient déjà été épinglés en 2018 par la Cour des comptes pour leur opacité et le défaut de base légale sur laquelle les adosser.

"Fiscalité à deux vitesses"

En pratique, ce dispositif s'applique le plus souvent dans des redressements complexes, quand l’administration a des doutes. Institué par une note de la Direction générale des impôts du 20 juin 2004, il vise à accélérer et à faciliter la conclusion de certains contrôles. Dans son rapport de 2018, la Cour des comptes donnait comme exemple de ces cas jugés complexes l'évaluation du prix de cession, ou l'estimation de la valeur, d'une filiale au sein d'une holding.

Mathilde Feld (LFI) et Nicolas Sansu (PCF) indiquent n'avoir obtenu que très peu d'informations de la part de Bercy sur les motifs et le contexte dans lesquels ces règlements d'ensemble s'exercent. Une seule certitude : ils bénéficient systématiquement aux contribuables les plus fortunés.

Le rapport dénonce une pratique "coûteuse pour les finances publiques, puisqu’en moyenne, chaque année, un milliard d'euros de modérations est consenti dans le cadre de règlements d’ensemble". En outre, le nombre de règlements d'ensemble aurait "quasiment triplé en six ans, passant de 116 en 2019 à 315 en 2024". Des chiffres qui posent question, le recours à cette procédure étant censé se limiter à des cas particulièrement complexes.

Par ailleurs et au vu des minorations consenties par la Direction générale des finances publiques (DGfip), Mathilde Feld a dénoncé au travers de ces réglements d'ensemble une "menace réelle pour le consentement à l'impôt". "Ceci ressemble bien à une fiscalité à deux vitesses", a estimé la députée insoumise, "celle des gens ordinaires, qui payent le montant affiché sur leur avis d'imposition, et celle des gros contribuables qui savent se structurer des revenus complexes et qui peuvent négocier leurs impôts à l'aide d'avocats fiscalistes".

Une sorte d'effet d'aubaine d'autant plus dommageable qu'il permettrait un phénomène de concentration. "Nous avons constaté que les dix plus grosses modérations accordées représentent 77% du montant de l'ensemble des modérations consenties chaque année", a indiqué Mathide Feld, faisant état en 2024 d'un règlement d'ensemble qui avait fait l'objet à lui seul d'une modération d'un demi milliard d'euros.

Un manque de transparence et de cadre législatif

Alors que le rapport pointe "une pratique opaque sur laquelle les citoyens comme la représentation nationale ne disposent que de très peu d’informations", Nicolas Sansu est allé jusqu'à parler de "boîte noire". La première recommandation du rapport vise donc à "définir un cadre législatif applicable au dispositif de règlement d’ensemble". Tout l'enjeu pour le député communiste étant de se demander "comment on fait afin que ça n'apparaisse pas comme un copinage entre une administration et des contribuables aisés qui ont les moyens de demander à des avocats fiscalistes de travailler pour eux".

Mathilde Feld a, par ailleurs, mis en cause la baisse des moyens alloués aux services de Bercy en matière fiscale. "L'administration elle-même a reconnu que faute de temps et de moyens, elle savait que certaines des propositions de rectification notifiées pouvaient s'avérer fragiles, et que le règlement d'ensemble permettait dans ces cas de garantir une rentrée fiscale face à un contentieux à l'issue incertaine", a-t-elle indiqué. "Nous pensons que cette difficulté n'est pas sans lien avec les moyens humains de la DGfip qui ont été sacrifiés ces vingt dernières années, et dont les crédits ont été amputés de 108 millions en 2024". En conséquence, le rapport recommande d'augmenter les effectifs de cette administration, en particulier les équipes dédiées au contrôle fiscal, ainsi que de "renoncer au management à l’objectif auquel sont soumis les agents chargés du contrôle fiscal".

Des mesures qui feront l'objet d'une proposition de loi sur laquelle les deux députés ont l'intention de travailler, mais aussi d'amendements au prochain budget. Pour qu'a minima, les règlements d'ensemble fassent l'objet de plus de transparence et redeviennent une exception.