Lutte contre le racisme et l'antisémitisme : sur fond de vives tensions, l'Assemblée vote pour le renforcement de l'arsenal pénal

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Mathieu Lefèvre LCP 06/03/2024
Le député Renaissance Mathieu Lefèvre, mercredi 6 mars 2024 (© LCP)
par Raphaël Marchal, le Mercredi 6 mars 2024 à 22:05, mis à jour le Jeudi 7 mars 2024 à 15:15

L'Assemblée nationale a adopté en première lecture, ce mercredi 6 mars, une proposition de loi visant à " renforcer la réponse pénale contre les infractions à caractère raciste, antisémite ou discriminatoire". Le débat sur ce texte, présenté par les députés Renaissance, s'est déroulé dans une ambiance très tendue, sur fond de mises en causes politiques et personnelles, dans l'hémicycle.  

Les débats avaient commencé dans le calme, sur un texte à l'apparence technique. Mais rapidement, le débat sur la proposition de loi "visant à renforcer la réponse pénale contre les infractions à caractère raciste, antisémite ou discriminatoire" s'est électrisé dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, sur fond d'attaques politiques, de mises en cause personnelles et d'anathèmes. Entre le Rassemblement national et La France insoumise, ainsi qu'entre la majorité présidentielle et ces deux groupes. 

Le texte, co-écrit par les députés Renaissance Mathieu Lefèvre et Caroline Yadan, doit permettre de combler des "trous dans la raquette" constatés dans l'arsenal pénal. Qui plus est dans un contexte de hausse des atteintes à caractère raciste, antisémite, xénophobe et antireligieux : ainsi, entre 2016 et 2023, ces atteintes ont augmenté de plus de 56 %, a souligné le rapporteur de la proposition de loi, Mathieu Lefèvre. L'élu faisant notamment état de "l'explosion" des actes antisémites en 2023, passés de 436 en 2022 à 1 676 en 2023, dans un contexte marqué par les attaques du Hamas, le 7 octobre, en Israël et l'offensive menée en réponse par l'Etat hébreu à Gaza. 

La proposition de loi vise à permettre au tribunal correctionnel de délivrer un mandat d'arrêt contre un prévenu condamné à une peine de prison pour contestation ou apologie de crime contre l'humanité, injure ou diffamation à caractère raciste ou antisémite - une possibilité qui ne lui est actuellement pas donnée en cas de condamnation pour délit de presse. Cette limite avait été abondamment commentée suite à la condamnation à un an de prison ferme de l'essayiste d'extrême droite Alain Soral, en avril 2019, pour contestation de crime contre l'humanité, en l'occurence contestation de l'existence de la Shoah. 

Nous préférons qu'Alain Soral dorme en prison plutôt qu'il dorme tranquillement chez lui quand il a commis de tels actes. Mathieu Lefèvre (Renaissance)

Le texte transforme, en outre, les injures non publiques à caractère raciste en délit, afin de pouvoir les sanctionner d'une amende pouvant aller jusqu'à 3 750 euros. Et il correctionnalise la contestation et l’apologie non publique de crimes contre l’humanité, avec des circonstances aggravantes lorsque la personne commettant ces infractions est dépositaire de l'autorité publique.

Des altercations omniprésentes

Dès la discussion générale, les discussions ont quitté les rives de la technicité et du droit pour rejoindre celles de l'invective, des passes d'armes et des rappels au Règlement de l'Assemblée. Julien Odoul (Rassemblement national) a ouvert les hostilités, évoquant la "dérive antisémite de Jean-Luc Mélenchon" et accusant les élus La France insoumise de fournir le "carburant de la haine antisémite" en France. Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a d'abord semblé lui donner raison. "Vous êtes honteux", a-t-il lancé aux députés LFI. Avant de renvoyer les "extrêmes" dos à dos, rappelant à Julien Odoul que "l'antisémitisme vient aussi de [son] parti, fondé par un Waffen-SS".

Quelques minutes plus tard, c'est le député RN qui a accusé le garde des Sceaux de lui avoir adressé une "quenelle antisémite", geste "popularisé" par Dieudonné, condamné à plusieurs reprises pour des déclarations antisémites. "La quenelle, c'est ça vous voyez. (...) C'est vous qui l'avez inventée" a rétorqué Eric Dupond-Moretti, joignant le geste à la parole pour fustiger Alain Soral, qui a également été condamné pour injure publique après la diffusion en 2019 sur Internet d'un cliché le montrant effectuant une "quenelle". 

La séance s'est poursuivie dans un climat de tension constant, le conflit entre Israël et le Hamas nourrissant bon nombre d'invectives. Julien Odoul (Rassemblement national), Meyer Habib (apparenté Les Républicains), Pierre-Henri Dumont (Les Républicains) ou encore Caroline Yadan (Renaissance) ont critiqué la position de La France insoumise, accusant ses élus d'entretenir une proximité idéologique avec le Hamas. Caroline Yadan s'est également indignée de la nomination de l'activiste franco-palestinienne Rima Hassan sur la liste LFI aux élections européennes, une femme qui "prône l'effacement d'Israël". "Personne chez nous n'a glorifié les crimes du Hamas", a répondu Antoine Léaument (LFI).

D'autres altercations ont eu lieu au sujet d'amendements présentés le Rassemblement national portant sur "l'identité de genre", amenant certains députés, dont Raphaël Gérard (Renaissance), à accuser les élus RN de "transphobie".

Une adoption sur le gong

Une ambiance délétère et clivée qui n'a jamais vraiment cessé, sauf à de rares moments, comme lorsque Jérôme Guedj (Socialistes) est venu au soutien d'Eric Dupond-Moretti, après que Sébastien Chenu lui a reproché d'avoir défendu Mohammed Merah lorsqu'il était avocat - il avait en fait assuré la défense de son frère, Abdelkader Merah. "S'en prendre à un avocat par rapport aux clients qu'il a défendus, ce n'est pas respecter l'Etat de droit", s'est indigné le député PS, qui a aussi accusé son collègue du RN de "piétiner la mémoire de Robert Badinter".

Au terme de la séance, alors que le temps filait et que le sort immédiat de la proposition de loi commençait à devenir incertain du fait de la suite de l'ordre du jour prévu, le texte a été adopté en première lecture, dans une trompeuse unanimité, députés RN et LFI décidant finalement de s'abstenir. Circonspecte en début d'après-midi, Sandra Regol a annoncé juste avant le vote que le groupe Ecologiste avait, au vu de l'attitude du Rassemblement national, décidé d'approuver la proposition de loi. Plus tôt dans l'après-midi, elle avait vainement tenté d'appeler au calme : "On ne peut pas tenir un débat sur un sujet aussi important (...) avec des gens qui en appellent à l'invective personnelle à tout bout de champ. (...) Ce n'est pas digne."

"Le RN reste le FN. Ils disent participer à la marche contre l'antisémitisme mais ne votent pas la loi pour renforcer la réponse pénale contre les infractions racistes et antisémites", a publié sur X (ex-Twitter), le groupe Renaissance à l'issue du scrutin. Le texte doit maintenant être examiné au Sénat, afin de poursuivre son parcours législatif.