Auditionnée par les députés de la commission d'enquête sur le maintien de l'ordre, Claire Hédon a regretté l'évolution de la gestion des manifestations au cours de ces derniers mois. Elle a appelé les forces de l'ordre à davantage appliquer des stratégies de désescalade pour éviter des tensions supplémentaires. La Défenseure des droits a également de nouveau préconisé l'abandon de l'usage du lanceur de balles de défense dans les opérations de maintien de l'ordre lors des manifestations.
Lors de son audition par les députés de la commission d'enquête relative à "l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l’ordre", Claire Hédon a mis en garde contre les évolutions qui ont touché la gestion des manifestations au cours de ces derniers mois.
Interrogée sur l'impact du nouveau schéma national du maintien de l'ordre, la Défenseure des droits a reconnu que ce document, publié en septembre 2020 par le ministère de l'Intérieur pour apaiser les relations entre policiers et manifestants, avait des points positifs et démontrait un début d'ouverture vers la transparence. Claire Hédon a ainsi salué la modernisation annoncée des sommations, la mise en place d'une équipe de liaison, la réitération de l'interdiction du port de la cagoule par les forces de l'ordre en manifestation ou encore la fin de l'usage des grenades de désencerclement "GMD", plus dangereuses qu'escompté.
Passé ce constat initial, la Défenseure des droits s'est faite nettement plus critique. Elle a ainsi estimé que le document ne répondait pas suffisamment à nombre de préconisations que l'institution avait formulées par le passé. Claire Hédon a surtout regretté que le choix vers la désescalade n'ait pas été fait, citant les exemples de l'Allemagne et de la Belgique. Elle a pourtant pointé l'intérêt de telles techniques dans la gestion de tensions au cours d'une manifestation, citant le rassemblement organisé à Paris contre la proposition de loi relative à la sécurité globale, samedi dernier. Alors que selon elle, l'ambiance commençait à se dégrader, des gendarmes mobiles ont retiré leur casque, ce qui a permis d'apaiser la foule.
Au contraire, la Défenseure des droits a déploré l'évolution vers davantage de "judiciarisation" du maintien de l'ordre, avec des unités plus mobiles, destinées à favoriser les interpellations, dans des conditions compliquant le respect des garanties procédurales. Un choix qui, estime-t-elle, peut également provoquer davantage de tensions et d'incompréhension lors des manifestations. La majorité des saisines dont l'institution à la tête de laquelle Claire Hédon a été nommé récemment sont liées à l'intervention d'unités destinées à interpeller des auteurs d'infraction, a-t-elle expliqué, regrettant que les brigades anti-criminalité interviennent dans le maintien de l'ordre lors des manifestations. La Défenseure des droits a reproché à ces unités en civil, sans équipement de protection, de faire une utilisation plus fréquenté des armes d'usage intermédiaire et de ne pas suffisamment se coordonner avec les unités spécialisées.
Les difficultés occasionnées par la judiciarisation [du maintien de l'ordre] ont pour conséquence de dégrader très fortement la perception qu'ont les manifestants des forces de l'ordre et les rapports police population. Claire Hédon, Défenseure des droits
De manière similaire, la Défenseure des droits a pointé l'utilisation de "techniques attentatoires aux libertés" par les forces de l'ordre en manifestation, telles que la technique de l'encerclement ou du "nassage", ainsi que les contrôles délocalisés, les interpellations préventives et la confiscation d'objets considérées abusivement comme des armes par destination.
Elle a également déploré qu'aucune évolution n'ayant trait à l'identification des policiers du renseignement ou déployés en renforts des CRS et gendarmes mobiles n'ait été décidée. "Ce sont pourtant ces membres qui sont le plus souvent impliqués dans les saisines que nous recevons, et pour eux que les problèmes d'identification sont récurrents", a déclaré Claire Hédon. "Il a parfois été impossible de connaître le service auquel ces policiers appartenaient."
De ce point de vue, elle a mis en garde contre l'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale, qui vient d'être adoptée par les députés, et qui sanctionne la diffusion "malveillante" de l’image des policiers et des gendarmes. "L'identification de tout agent participant à une opération de maintien de l'ordre est indispensable au contrôle des forces de l'ordre", a martelé Claire Hédon.
Même chose concernant l'usage du lanceur de balles de défense, arme intermédiaire devenue célèbre dans le cadre du mouvement des gilets jaunes. Alors que cette arme était jusque-là surtout utilisée dans le contexte de violences urbaines, la Défenseure des droits a réitéré sa préconisation d'abandonner son usage en manifestation. Depuis novembre 2018, l'autorité administrative a été saisie de 48 blessures graves qui seraient dues au LBD.
Plus généralement, Claire Hédon a estimé "choquant" que les recommandations de poursuites disciplinaires du Défenseur des droits à l'encontre de policiers ou de gendarmes n'aient pas été appliquées par le ministère de l'Intérieur au cours des trois dernières années. D'autant plus que ces propositions de poursuites sont rares : au nombre d'environ dix par an, a-t-elle précisé.
Globalement, dans 90 % des cas concernant la déontologie policière dont elle est saisie, l'autorité administrative, que Claire Hédon dirige après avoir succédé à Jacques Toubon, estime qu'il n'y a en réalité pas de manquement de la part des policiers et gendarmes. Dans 10 % des cas, l'institution du Défenseur des droits constate un manquement, et dans seulement 1 % des cas, elle demande l'engagement de poursuites disciplinaires. Seule la place Beauvau a alors le pouvoir de les mettre en œuvre.
La Défenseure des droits a par ailleurs estimé que lorsqu'il y a des dérapages, "il y a des questions de management". "Il ne faudrait pas sanctionner uniquement ceux qui sont en bas de l'échelle." Elle a conclu son propos en rappelant "l'épuisement" qui touche les services publics, forces de l'ordre comprises, y voyant "la responsabilité de l'État".