Marché de l'électricité : un "scandale" selon le secrétaire du Comité social et économique d'EDF

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Philippe Page Le Mérour, secrétaire du CSE central d'EDF à l'Assemblée, mardi 18 janvier 2023
Philippe Page Le Mérour, secrétaire du CSE central d'EDF à l'Assemblée, mardi 18 janvier 2023
par Raphaël Marchal, le Mardi 17 janvier 2023 à 14:00, mis à jour le Vendredi 27 janvier 2023 à 14:39

Le secrétaire du Comité social et économique central (CSEC) d’EDF, Philippe Page Le Mérour, auditionné à l'Assemblée nationale, a dénoncé le "scandale" du marché de l'électricité, appelant à déroger aux règles européennes et à suspendre l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh). 

C'est un constat amer que Philippe Page Le Mérour est venu livrer sur EDF. Auditionné, mardi 17 janvier, avec d'autres représentants du Comité social et économique central de l'entreprise, par la commission d'enquête sur la perte de souveraineté énergétique de la France, le secrétaire du CSEC n'a pas mâché ses mots, torpillant aussi bien la gouvernance de l'entreprise publique que les choix politiques effectués au cours des dernières décennies.

Plus personne n'est responsable du service public de l'électricité en France. Philippe Page Le Mérour, secrétaire du CSE central d'EDF

"La marchandisation de l'électricité a abouti à une déresponsabilisation des acteurs. Plus personne n'a de vision du service public de l'électricité", a-t-il martelé, revenant par le détail sur les étapes de la déréliction de l'entreprise publique, qui n'est, selon lui, en rien due à la fatalité, mais bien à la logique de marché.

Suspendre l'Arenh

Pour inverser la tendance, Philippe Page Le Mérour préconise un traitement de choc. À savoir, la suspension de l'Arenh, le mécanisme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, qui impose à EDF de vendre à ses concurrents son électricité nucléaire à un prix déterminé. Ce mécanisme "abominable fait travailler les salariés et les agents d'EDF pour la sous-traitance", a-t-il jugé, suivant là les constatations d'anciens PDG de l'entreprise.

Le représentant du personnel a également plaidé pour immédiatement déroger aux règles européennes, en fixant un tarif réglementé de l'énergie (TRV) uniquement basé sur le mix énergétique français, ce qui permettrait selon lui de diviser son prix par trois. "Il faut avoir cette dérogation pour maîtriser l'inflation, [...] pour sauver les artisans et les entreprises qui souffrent d'un tarif qu'ils n'ont pas à payer. C'est un véritable scandale ! [...] Au nom de règles trafiquées sur le marché de l'électricité, on fait souffrir tout le pays."

"Dans quel autre système économique un produit est vendu 10 fois son prix, à part la mafia ?", a-t-il questionné. Philippe Page Le Mérour s'en est également pris à l'Allemagne, coupable à ses yeux de faire la pluie et le beau temps à Bruxelles et qui aurait "baladé" la France depuis le traité de Maastricht en matière d'énergie. "On est vraiment les dindons de la farce", s'est-il agacé, jugeant que les agents d'EDF "travaillent en 3x8 pour sortir un produit à 42 euros que les concurrents revendent 500 balles".

Une logique de "boutiquier"

Philippe Page Le Mérour n'a pas manqué d'égratigner le comportement des dirigeants d'EDF à compter des années 2000, durant lesquelles la libéralisation de l'électricité a commencé à opérer. "Le début de la fin", pour le secrétaire du CSE central. Dès lors, chacun a géré en "boutiquier", a-t-il regretté, avec pour seule motivation l'appât du gain.

Depuis 1946, EDF a connu deux périodes : une de 50 ans de monopole public au service du pays, et une de libéralisation où elle a été fragilisée, pillée, spoliée, et où elle est de moins en moins à même de réponde aux exigences de service public. Philippe Page Le Mérour, secrétaire du CSE central d'EDF

Selon lui, c'est à cette époque que les dirigeants ont tenté des "paris dignes du casino à l'international, faisant perdre des milliards à l'entreprise". Durant cette période, entre 2006 et 2009, la dette a été multipliée par trois, sans qu'il n'y ait d'investissement sur le réseau, le phénomène de sous-traitance et de filialisation aboutissant dans le même temps à une perte de compétences techniques, qu'EDF "paye encore aujourd'hui".

Philippe Page Le Mérour a également reproché aux dirigeants la fermeture des centrales thermiques d'Aramon, du Havre et de Porcheville, dictées selon lui par de pures logiques financières, EDF ayant jugé les coûts fixes trop élevés. Sans imaginer que ces dernières auraient pu aider à piloter le pic de consommation hivernal quelques années plus tard, dans un contexte de crise énergétique. "Ces choix ont été faits à l'encontre du bon sens."

"Reprendre la main"

Au-delà du constat, Philippe Page Le Mérour a plaidé devant les députés l'impératif de refaire d'EDF un service public. "Soit on laisse EDF gérée comme une boutique, et on continuera à avoir des projets alimentés par des banques d'affaires avec la bénédiction bruxelloise, soit la nation reprend la main sur le service public de l'énergie", a-t-il affirmé.

Pour ce faire, et alors que l'exécutif a annoncé la renationalisation totale d'EDF, il a exhorté le Parlement à examiner une loi dédiée qui fixerait en toute transparence les moyens et objectifs du service public de l'électricité, sur le modèle de la proposition de loi du groupe Socialistes et apparentés, qui sera examinée lors de sa journée d'initiative parlementaire, le 9 février. "On vit une étatisation d'EDF par OPA dictée par des banques d'affaires, pas une nationalisation", a-t-il critiqué, appelant à ce que le texte précise également la gouvernance de l'entreprise. "Et la gouvernance, ce n'est pas un conseil d'administration confiné."