Pour faire face à l'engorgement des tribunaux, les députés débattent de la simplification de la procédure pénale des mineurs

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A judge speaks to a youth during a hearing at the children's court in Mulhouse on June 26, 2013. AFP PHOTO / SEBASTIEN BOZON
A judge speaks to a youth during a hearing at the children's court in Mulhouse on June 26, 2013. AFP PHOTO / SEBASTIEN BOZON
par Raphaël Marchal, le Vendredi 27 novembre 2020 à 14:13, mis à jour le Vendredi 11 décembre 2020 à 12:02

Les députés ont débuté, mardi en commission, l'examen d'un projet de loi qui vise à modifier la procédure pénale relative aux mineurs. Auditionné par les élus, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, s'est félicité de porter cette réforme, qui doit permettre une "justice plus rapide, mieux lisible et une réponse pénale plus efficace". Le ministre de la Justice a également réfuté les critiques qui laissent entendre que la réforme privilégie le répressif plutôt que l'éducatif.

Les députés se sont attaqués à un serpent de mer : la réforme de la justice pénale des mineurs. À l'heure actuelle, les juridictions s'appuient sur la fameuse ordonnance datant de 1945. Un texte qui est toutefois devenu, au fur et à mesure des 40 réécritures qu'il a subies, illisible et inaccessible, y compris pour les professionnels du secteur.

Afin de remédier à cette situation, le gouvernement a décidé de regrouper les dispositions relatives à la justice pénale des mineurs dans la partie législative d'un code, par voie d'ordonnance, sur le fondement de la loi du 23 mars 2019 de programmation de la justice. Initialement, les dispositions de cette ordonnance devaient entrer en vigueur au 31 octobre 2010. La crise sanitaire due à l'épidémie de Covid-19 a toutefois poussé l'exécutif à revoir son calendrier, et à privilégier le 31 mars 2021. Avant cela, le Parlement doit toutefois se prononcer sur la ratification de cette ordonnance ; c'est l'objet du projet de loi que les députés de la commission des lois ont commencé à examiner ce mardi.

Les principales dispositions de l'ordonnance

Lors de son audition liminaire par les élus, Éric Dupond-Moretti a fait part de sa "fierté" de présenter cette réforme. Au cours de l'après-midi puis dans la soirée, il a martelé à de nombreuses reprises que l'ordonnance n'était pas un texte "répressif" et s'inscrivait dans la "protection de l'enfant". "La sanction sans éducation est une machine à récidive", a-t-il fait valoir. En ce sens, l'ordonnance garantit, selon le ministre, la primauté de l'éducatif sur le répressif.

L'ordonnance réaffirme les grands principes de son aînée de 1945. Elle fixe également à 13 ans l'âge de responsabilité pénale d'un mineur. Cette "présomption de discernement" n'est pour autant pas fixée dans le marbre : le juge devra statuer, au cas par cas, si un mineur de plus de 13 ans est suffisamment mature pour qu'on lui reconnaisse ce statut. Cela signifie également qu'un enfant âgé de moins de 13 ans pourrait devenir responsable de ses actes, et, symboliquement, être confronté à la justice.

"L'accumulation de passages à l'acte ne doit pas rester sans réponse pénale", a déclaré le garde des Sceaux. "Contrairement à une idée reçue, 65% des mineurs qui passent devant le juge n'y reviennent jamais. La comparution judiciaire est un électrochoc largement suffisant dans de nombreux cas", a-t-il fait valoir, mettant en avant le faible taux de réitérants (16,6 %) et de récidivistes (2 %) parmi les mineurs poursuivis. Cette disposition a toutefois été largement débattue dans la soirée, députés du MoDem, de La France insoumise comme du groupe socialiste s'opposant à la possibilité de renverser cette présomption de non discernement.

Raccourcir les délais de traitement

L'ordonnance vise également à rendre la justice pénale des mineurs "plus réactive". À l'heure actuelle, 45 % des affaires concernant des mineurs sont traitées après leurs 18 ans - "un non-sens", a pointé Éric Dupond-Moretti. Afin de limiter cela, l'ensemble de la procédure est simplifiée et raccourcie : le juge pour enfants ou le tribunal pour enfants devra statuer sur la culpabilité d'un mineur au cours d'une audience qui devra avoir lieu entre dix jours et trois mois après les faits.

En outre, une période de mise à l'épreuve éducative sera ouverte avant le prononcé de la sanction. Ce dernier devra obligatoirement intervenir dans un délai compris entre six et neuf mois. Une audience unique pourra être mise en œuvre concernant les mineurs à qui l'on reproche plusieurs faits. Il sera ainsi permis de regrouper la reconnaissance de la culpabilité et le prononcé de la sanction, sous conditions.

Le nouveau code prévoit également le regroupement des différentes mesures éducatives en une seule mesure éducative judiciaire provisoire, adaptable à la personnalité du mineur, avec des modules optionnels et complémentaires de réparation, de placement, de santé et d’insertion. "Cette réforme veut rapprocher le temps judiciaire du passage à l'acte", a analysé le ministre de la justice. "Le temps éducatif retrouve toute sa place."

Même une mesure éducative pourra s'étaler jusqu'à 21 ans et durer 5 ans. Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice

L'un des objectifs centraux de l'ordonnance est également de limiter le recours à la détention provisoire, comme l'a expliqué le garde des Sceaux. Plus de 80 % des mineurs concernés étaient des prévenus, contre 59 % en 2020.

Enfin, le texte comporte des mesures relatives aux victimes, afin de rendre la justice "plus lisible". Une victime pourra être entendue et il sera statué sur sa constitution de partie civile et son préjudice dès l’audience d’examen de la culpabilité. "Le contradictoire doit participer au relèvement éducatif du jeune", a estimé le ministre de la Justice, pour qui "la justice spécialisée ne doit plus être synonyme d'opacité".

Les craintes des professionnels

Éric Dupond-Moretti a également répondu aux craintes des professionnels du secteur. Ce mardi, une centaine d'avocats, magistrats, greffiers et éducateurs ont manifesté devant le palais de justice de Bobigny pour dénoncer l'absence de moyens du texte. Le garde des Sceaux a fait valoir la création de 72 emplois de magistrats en 2020 au sein de la protection judiciaire de la jeunesse, mais également le recrutement de greffiers et d'assistants. En outre, il a souligné la venue de 86 éducateurs dans le cadre de la justice de proximité.

"Les juridictions ne sont pas prêtes. Il y a un vrai problème dans la gestion des effectifs", s'est agacé Ugo Bernalicis (LFI). Thomas Rudigoz (LaREM) a également rapporté l'inquiétude des juges de devoir exercer durant la période transitoire, avec deux régimes qui se succèdent, et a fait part de leurs espoirs d'obtenir un délai supplémentaire avant la mise en œuvre de la réforme. Antoine Savignat (LR) s'est lui aussi ouvert de sa crainte concernant cette période charnière, qui "risque d'engorger les tribunaux", et ce alors que la crise sanitaire a largement causé l'accumulation des stocks.

Une critique également balayée par le ministre, qui a rappelé que les juridictions s'étaient vu offrir la possibilité de retirer du circuit des dossiers en attente, jusqu'au 31 décembre 2020, afin de propulser au mieux la nouvelle réforme. Confiés aux procureurs, ces mineurs se verront orienter vers une alternative aux poursuites. Cet "apurement des stocks" n'est en rien une "loi d'amnistie", a tempéré le ministre : il concernera uniquement les affaires les plus anciennes et les moins graves. Il sera accompagné d'une mission de l'inspection générale de la justice. "Les services seront chargés d'aller vers les juridictions les plus fragiles, les plus demanderesses", a précisé le garde des Sceaux, "afin d'attribuer des moyens ciblés".