Rapatriés d'Indochine : les députés adoptent à l'unanimité une proposition de loi de "reconnaissance de la Nation"

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Olivier Faure LCP 03/06/2025
Le député socialiste Olivier Faure à l'Assemblée nationale, le 3 juin 2025 (© LCP)
par Raphaël Marchal, le Mercredi 4 juin 2025 à 09:05

L'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, la proposition de loi "portant reconnaissance de la Nation envers les rapatriés d’Indochine", dans la soirée du mardi 3 juin. Le texte, porté par Olivier Faure (Socialistes), prévoit une reconnaissance morale et matérielle des souffrances endurées par les rapatriés de l'ancienne colonie française.

Les députés ont adopté en première lecture, mardi 3 juin au soir, la proposition de loi "portant reconnaissance de la Nation envers les rapatriés d’Indochine et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil". Ce texte d'origine transpartisane, porté par Olivier Faure (Socialistes) a été approuvé à l'unanimité.

A l'unanimité, certes, mais pas sans débats, car les propos se sont quelque peu durcis au fil des heures. L'ensemble des groupes politiques qui composent l'Assemblée nationale a d'abord salué la teneur de la proposition de loi, évoquant les conditions indignes dans lesquelles les rapatriés ont quitté l'Indochine à l'issue de la guerre, en 1954, pour rejoindre la France.

A compter de cette date, environ 5 000 d'entre eux ont été accueillis dans des camps, à Noyant (Allier), à Sainte-Livrade (Lot-et-Garonne), ou encore à Bias (Lot-et-Garonne), dans des conditions difficiles, avec un statut particulier, sans jouir des mêmes droits que le reste de la population. "Même pour ceux qui avaient choisi la France comme patrie, la celle-ci s'est comportée en puissance coloniale jetant dans l'oubli ceux qui l'avaient servie", a déploré Olivier Faure.

La proposition de loi adoptée vise à proclamer la reconnaissance par la Nation du rôle joué par les rapatriés, ainsi que des conditions dans lesquelles ils ont dû vivre. Pour ce faire, le texte prévoit une réparation financière, dépendant de la durée de séjour dans les camps. Entre 329 et 500 personnes seraient concernées, "une hypothèse basse", a estimé la ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens Combattants, Patricia Mirallès, avant d'indiquer que l'indemnisation serait équitable et similaire à celle qui avait prévalu concernant les harkis, les rapatriés de l'Algérie française. Le montant de la réparation avait été d'environ 8 800 euros par personne, en moyenne.

La Nation exprime sa reconnaissance envers les rapatriés d’Indochine militaires, anciens membres des formations supplétives et agents publics qui ont servi la France en Indochine. Article 1er de la proposition de loi

Par ailleurs, la journée nationale d’hommage aux morts pour la France en Indochine, qui a lieu le 8 juin, sera élargie aux rapatriés. "C'est une réparation morale, mémorielle et matérielle que la République entreprend. il s'agit de pouvoir regarder l'histoire en face", a salué la ministre.

Un "désordre mémoriel"

Les élus du groupe "Rassemblement national" et leurs alliés du groupe "Union des droites pour la République" ont, comme tous les autres, apporté leur soutien indéfectible à la proposition de loi. Au-delà du texte, ils ont cependant critiqué ce qu'ils identifient comme des incohérences. Et en premier lieu la visite rendue fin mai par Emmanuel Macron au mémorial d'Hô Chi Minh, lors d'un déplacement au Vietnam. "Comme si les humiliantes repentances vis-à-vis du régime d'Alger ne suffisaient pas, Emmanuel Macron piétine désormais la mémoire de nos morts d'Indochine", a commenté Laurent Jacobelli (RN). C'est un "désordre mémoriel", a lancé Maxime Michelet (UDR).

Autre grief retenu par ces deux groupes : la présence, parmi les signataires de l'initiative transpartisane, d'élus communistes. "Comment accepter que ce texte censé honorer la France soit cosigné par le Parti communiste français, qui a trahi la France en soutenant le Viêt Min ? (...) Vous insultez la mémoire des rapatriés", s'est indigné Julien Limongi (RN).

Si vous voulez une vérité historique, vous êtes le parti de Vichy, ils sont le parti des fusillés. (...) Vous vous présentez comme des nationalistes. Des patriotes. Figurez-vous qu'en 1954, le Viêt Minh ce sont des nationalistes qui se battent pour la décolonisation", a répliqué le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure

Quelle période retenir pour les réparations ?

C'est ensuite la question de la période de réparation qui a électrisé les débats. Dans le texte initial, la réparation était ouverte aux personnes et leurs familles ayant séjourné dans des camps entre 1954 et 2014, date à laquelle le camp de Sainte-Livrade a officiellement été fermé. En commission, les élus avaient toutefois décidé de borner cette période à 1975, en se calant sur l'année retenue pour la loi de reconnaissance et de réparation envers les harkis.

"Etendre la période de réparation jusqu'en 1975, comme cela a été retenu pour les harkis, n'est pas juridiquement soutenable pour les rapatriés d'Indochine", a toutefois considéré Patricia Mirallès. La ministre déléguée a proposé de borner la période à 1966, année de "bascule structurelle" pour les rapatriés d'Indochine, à partir de laquelle leurs conditions de vie se seraient améliorées.

Cet amendement gouvernemental a été fraîchement accueilli par les groupes d'opposition, qui n'ont pas partagé la même vision que la ministre. "Les conditions de vie indignes n'avaient guère évolué. C'est une paille par rapport à ce qu'ils ont subi", a défendu Olivier Faure (Socialistes). "Votre avarice est complètement révoltante. On parle de gens enfermés dans des camps après avoir été mis dans des paquebots, après avoir ont combattu pour notre pays, et vous êtes en train de pinailler", s'est exclamé Aurélien Taché (La France insoumise). "C'est de l'indécence", a commenté Stéphanie Galzy (Rassemblement national). 

"L'Etat, à partir de 1966, a fait ce qu'il devait faire pour les rapatriés d'Indochine. je reste dans la cohérence de ce qui a été fait pour les harkis", a maintenu Patricia Mirallès. "Si on part sur 1975, c'est 20 ans d'indemnisation", a-t-elle mis en garde, menaçant de ne pas lever le gage financier si son amendement venait à être écarté. In fine, les députés n'en ont pas tenu compte, maintenant à une large majorité la période allant de 1954 à 1975. Cette version du texte approuvée par l'Assemblée nationale va désormais être transmise au Sénat.