Réindustrialisation : un rapport parlementaire pointe les limites du quinquennat

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Emmanuel Macron tient un discours en Alsace dans le cadre de sa tournée sur l'attractivité de la France avec des acteurs de l'industrie (17 janvier AFP)
par Jason Wiels, le Mercredi 19 janvier 2022 à 07:07, mis à jour le Mercredi 19 janvier 2022 à 18:21

Gérard Leseul (PS) a présenté mercredi les conclusions de la commission d'enquête sur la désindustrialisation en France depuis trente ans. Le rapporteur socialiste formule 33 propositions pour aider à la relocalisation, alors que les exportations françaises se portent mal et que la croissance de l'emploi industriel reste anémique.

Ce pourrait être une thèse vu l'épaisseur du dossier et l'ampleur de son sujet. Fort de ses plus de 400 pages, le rapport de la commission d'enquête sur la chute de la part de l’industrie dans le PIB et les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser a été adopté mercredi par les députés. Fruit du droit de tirage des élus socialistes à l'Assemblée nationale, le document tente d'établir un diagnostic approfondi des racines de la désindustrialisation en France depuis de nombreuses années, entre choix politiques hasardeux et absence de planification, tout en mettant sur la table des propositions pour tenter de faire renaître les usines, en particulier dans les secteurs de la santé et de la transition énergétique.

La fin des travaux de la commission d'enquête intervient au moment même où Emmanuel Macron a lancé, lundi 17 janvier, une tournée sur l'attractivité du pays. Selon le président de la République, 126 sites industriels ont rouvert depuis la crise de 2008, sur les 400 qui ont disparu.

Entre 2017 et 2018, la France a même recréé pour la première fois en dix ans de l'emploi industriel (+ 4 700 postes). L'exécutif n'a certes pas ménagé ses efforts depuis cinq ans : événement annuel à Versailles (Choose France) pour attirer les deniers étrangers, deux plans de relance, création d'un Haut-commissariat au Plan, baisse de la fiscalité des entreprises... Mais la part de l'industrie reste faible dans le PIB, à peine plus de 13%, là où nous voisins allemands se maintiennent à plus de 20%. 

Un "constat partagé" sur les trente dernières années

Surtout, la balance commerciale, un des indicateurs phares de la dynamique de production des biens manufacturés, est au plus mal. Alors que les importations tricolores dépassent les exportations depuis 2003, le déficit commercial devrait atteindre un nouveau sommet en 2021, à - 77,6 milliards d'euros (contre - 67,7 milliards en 2020).

Si la forte inflation des prix de l'énergie explique en partie ce creusement, ce sont avant tout les fondamentaux de l'économie française qui sont en cause. François Bayrou, désigné haut-commissaire au Plan, ne dit pas autre chose quand il explique que nous avons "une économie en voie de développement, pour ne pas dire sous-développée" dans plusieurs secteurs. Preuve d'une chaîne de valeur mal maîtrisée, la France exporte, par exemple, des pommes de terre, mais les réimporte sous forme de flocons et de chips !

"La baisse des impôts de production et du capital ne constituent pas une politique de réindustrialisation. Elles ne permettront pas de faire revenir sur notre sol des chaînes de valeurs complètes en France et en Europe", juge le rapporteur de la commission d'enquête Gérard Leseul. Le président des travaux Guillaume Kasbarian (LaREM) s'est abstenu avec ses collègues de la majorité lors du vote à huis clos sur la publication du rapport : "Le constat de la désindustrialisation est partagé sur les trente dernières années. En revanche, sur les cinq dernières années, il n'y a pas de proposition pour revenir en arrière sur ce qui a été fait", explique-t-il en défense des réalisations du quinquennat.

Des politiques mal calibrées

Auditionné par la commission d'enquête, l'ancien ministre au Redressement productif Arnaud Montebourg estime de son côté que les élites françaises connaissent mal les enjeux des tissus industriels, et ne peuvent donc aider à les régénérer :

La politique économique de la France est dirigée par des énarques qui travaillent sur des agrégats et non par des entrepreneurs. Nos gouvernants n’adoptent pas une approche microéconomique secteur par secteur, produit par produit, filière par filière. Par conséquent, nous déplorons soit une incompétence, soit une absence de politique sur ce sujet. Arnaud Montebourg devant la commission d'enquête

Autre enseignement des travaux parlementaires, les deux dispositions majeures du quinquennat de François Hollande reprises sous Emmanuel Macron, le crédit impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et le crédit d’impôt recherche (CIR), n'auraient pas tenu leurs promesses sur l'industrie. Selon l'économiste Nadine Levratto, directrice de recherche au CNRS, le CICE a baissé les charge des petits salaires, favorisant "l’emploi de travailleurs peu payés et peu qualifiés, ce qui explique cette spécialisation dans des secteurs à basses technologies". Quant au CIR, extrêmement généreux pour les entreprises (7,5 milliards d'euros en 2020, la plus grosse niche fiscale), "il est principalement utilisé pour de l’innovation de processus, de marketing ou d’organisation, regrette l'experte. L’innovation de produit, qui porte la conquête de segments de marché de plus haute qualité, reste extrêmement minoritaire."

Mieux dialoguer, mieux planifier

Comment faire alors pour redonner des couleurs aux lignes de production françaises ? Gérard Leseul imagine "une grande conférence industrielle nationale pour faciliter la réindustrialisation et l’implantation des filières d’avenir". Deuxième étape, le rapporteur souhaite que les priorités de politique industrielle dépasse "le cadre de la mandature". Afin de (re)penser sur le long terme, l'élu veut une loi de programmation pluriannuelle de développement de l'industrie.

Objectif : éviter le manque de continuité dans la vision industrielle du pays. Arnaud Montebourg témoigne, par exemple, de l'échec de son "plan industriel" sur les batteries. "Dans mon 'testament', lors du passage de pouvoir au ministère, j'avais indiqué que ce point devrait être poursuivi. Or ce projet a été abandonné", explique-t-il en référence à sa passation de pouvoir avec Emmanuel Macron en 2014.

Au sein même des entreprises, le député socialiste appelle à réinventer le modèle de gestion, avec "une plus grande place aux salariés". En confiant 25 à 30% des droits de vote aux salariés, la mesure permettrait "de les associer véritablement aux choix stratégiques de l’entreprise, notamment en termes de choix de localisation".

Des investissements repensés

Le rapport acte la singularité du paysage industriel français, avec une concentration de l'activité aux mains de grands groupes, dans lesquels "le choix de la rentabilité à court terme a primé sur l’investissement et la capacité à créer de l’innovation de rupture". D'ailleurs, l'objectif de 3% du PIB consacré à la recherche et au développement est loin d'être atteint, plafonnant à 2,2%. 

Pour relancer l'investissement et la montée en gamme, Gérard Leseul plaide pour une remise à plat de la doctrine de l'État actionnaire, avec un débat au Parlement. Un livret d'épargne consacré à l'industrie pourrait aussi permettre aux Français de mettre directement leurs avoirs dans la balance.  Enfin, un conditionnement de toutes les mesures publiques en faveur des industriels devrait être mis en place, renvoyant à l'absence de véritables "contreparties" sociales ou environnementales dans le plan de relance voté en 2020. Et de proposer pour ce qui pourrait sembler une évidence : "Le CIR ne doit pas servir à financer des lieux de production à l’étranger" et doit être conditionné "à la localisation des chaînes de production sur le territoire français".

Médicaments : attention au déclassement !

En cas de nouveau risque pandémique, la France sera-t-elle cette fois armée en masques, gel, respirateurs, réactifs pour les tests, ou même prête à développer un vaccin, après l'échec de l'Institut Pasteur et l'énorme retard Sanofi sur le Covid-19 ? Notre part de marché dans la production pharmaceutique mondiale a été divisée par deux entre 2005 et 2015, note le rapport. Surtout, la France est passée de la première à la quatrième place en quelques années. Selon Gérard Leseul, il n'y a pas trente-six solutions pour conjurer la dégringolade, si ce n'est d'augmenter les financements publics de la recherche.