Auditionné par la Commission d’enquête de l'Assemblée nationale sur les migrations, l'Ambassadeur de France en Turquie, Hervé Magro, a souligné l'importance de la prolongation de la résolution de l'ONU sur l'acheminement de l'aide humanitaire en Syrie. Selon lui, une non-reconduction pourrait, à terme, conduire au déplacement de plusieurs centaines de milliers de personnes.
Plus de dix ans après le début de la guerre civile en Syrie, des millions de réfugiés ont dû quitter leur pays et la domination de Bachar El-Assad à Damas. Si nombreux ont trouvé refuge en Europe, en Turquie ou dans les autres pays frontaliers de la Syrie, d'autres sont toujours massés à la frontière, en particulier dans la province d'Idleb, contrôlée par les rebelles, au nord-ouest du pays. Depuis des années, l'Organisation des Nations Unies leur apporte une aide humanitaire, sans l'accord de Damas, en passant par le poste-frontière de Bab al-Hawa. Selon l'agence de presse Reuters, près d'un millier de camions contenant des médicaments, des vaccins, et des produits de première nécessité y passent chaque mois. Mais au 10 juillet, la résolution du Conseil de sécurité qui permettait un tel acheminement arrivera à son terme, faute d'accord de l'ONU pour la maintenir un an de plus. Et la Russie - qui a déjà réussi à réduire l'accès transfrontalier à un seul point d'entrée - n'a pas exclu d'utiliser son veto pour empêcher sa reconduction. "Sa prolongation est vitale", alerte pourtant ce jeudi l'Ambassadeur de France en Turquie.
Dans la poche d'Idleb, "il y a trois millions de personnes qui sont des opposants au régime de Damas et qui ne veulent en aucun cas rentrer en Syrie", a expliqué Hervé Magro, auditionné en visio-conférence dans le cadre de la Commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les migrations. "S'il y a une opération des forces syriennes et des forces russes sur la poche d'Idleb, on peut craindre un déplacement massif de ces populations", prévient-il. "C'est pour cette raison que la communauté internationale et la France sommes très préoccupés par la négociation en cours à l'ONU sur la prolongation de la résolution sur le mécanisme d'acheminement de l'aide humanitaire pour la Syrie."
La prolongation de l'acheminement de l'aide "est vitale pour maintenir l'équilibre précaire qui règne aujourd'hui dans la poche d'Idleb", explique Hervé Magro, précisant que les pressions militaires du régime de Damas sur cette province sont régulières, même si, pour l'instant, "ils n'ont pas encore franchi le cap d'opération militaire pour reprendre cette partie du territoire syrien." Et une telle offensive "ne pourrait avoir que des conséquences importantes sur un nouvel afflux de réfugiés en Turquie et éventuellement, par voie de conséquence, sur l'Union européenne", prévient l'Ambassadeur français.
Depuis près d'un mois, l'inquiétude monte aussi du côté des organisations internationales. La fermeture de cette "bouée de sauvetage (...) priverait des millions de personnes d'aide et provoquerait un désastre humanitaire", avertissait début juin le directeur-adjoint de l'ONG Humans rights watch (HRW) pour les crises et conflits. "Ça réduirait considérablement les opérations que nous pouvons mener et plongerait le nord-ouest de la Syrie dans une nouvelle catastrophe humanitaire", déclarait quant à lui le 25 juin Christian Lindmeier, porte-parole de l'Organisation mondiale de la Santé.
?? #Thread laying out @hrw's position on #Syria cross-border aid negotiations in UN Security Council ahead of July 10 deadline. Our message to UNSC members (especially #Russia): it's crucial to reauthorize all previously approved crossings in NW & NE Syria. pic.twitter.com/DOHaXHF0Sh
— louis charbonneau (@loucharbon) June 25, 2021
"Il faut que le Conseil de sécurité des Nations unies prolonge le mandat concernant cet accès frontalier", a déclaré ce mercredi 30 juin le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu au cours d'une conférence de presse, relevait l'AFP. Mais la Russie, qui soutient le régime de Bachar al-Assad en Syrie, est jusqu'à présent restée inflexible dans son souhait de voir la fin de l'autorisation onusienne, malgré les pressions de nombreux pays, dont les États-Unis. Fin juin, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, appelait "vivement les membres du Conseil à parvenir à un consensus sur l'autorisation des opérations transfrontalières en tant que canal de soutien vital pour une autre année."
"Nous espérons que les Russes ne mettront pas leur veto a cette prolongation", conclut Hervé Magro. Car ce sont les règles de vote au Conseil de sécurité de l'ONU : il suffit que la Russie, membre permanent, émette un vote négatif pour qu’une résolution ou une décision ne puisse être adoptée.