Thomas Legrand, filmé à son insu : "Il s'agit de méthodes qui s'apparentent à des barbouzeries"

Actualité
Image
Thomas Legrand devant la commission d'enquête, le 18 décembre 2025.
Thomas Legrand devant la commission d'enquête, le 18 décembre 2025.
par Anne-Charlotte Dusseaulx, le Jeudi 18 décembre 2025 à 21:11, mis à jour le Jeudi 18 décembre 2025 à 21:15

Les journalistes Thomas Legrand et Patrick Cohen ont été auditionnés par la commission d'enquête sur l'audiovisuel public, ce jeudi 18 décembre, à l'Assemblée nationale. L'occasion de revenir sur une conversation filmée, à leur insu, avec des responsables du Parti socialiste, et au cours de laquelle il a notamment été question de Rachida Dati. C'est la diffusion d'extraits de cette conversation qui a été à l'origine de cette commission d'enquête. 

Une après-midi d'auditions. Ce jeudi 18 décembre, la commission d'enquête "sur la neutralité, le fonctionnement et le financement de l'audiovisuel public" a auditionné, successivement les journalistes Patrick Cohen et Thomas Legrand. Chacun pendant plus de deux heures. L'essentiel des échanges avec les députés ont tourné autour de la diffusion en septembre d'extraits d'une conversation, captée à leur insu en juillet, avec deux responsables du Parti socialiste. Que retenir de ces deux auditions ?

"Non, je ne regrette pas d'avoir prononcé ces propos"

Au coeur de l'audition : les propos tenus par Thomas Legrand sur la ministre de la Culture, Rachida Dati, candidate aux élections municipales à Paris. "Nous, on fait ce qu'il faut pour Dati", avait affirmé en juillet le journaliste face à ses interlocuteurs socialistes. "Cette phrase [sur Rachida Dati], elle me choque. Je comprends qu'elle choque. Mais elle me choque parce qu'elle est montée, sortie de son contexte", a-t-il réagi ce jeudi, en expliquant ce qu'il voulait dire par cette formule. "Je n'aurais pas tenu ces propos devant un public non averti, de ce qu'est la vie politique, la vie journalistique, le jargon journalistique", a précisé Thomas Legrand. 

Tweet URL

"Comment vous pouvez, devant la représentation nationale, alors que vous avez prêté serment, nous dire que cette phrase vous choque parce qu'elle a été montée", a alors enchaîné le rapporteur de la commission d'enquête, Charles Alloncle (Union des droites pour la République). 

Tweet URL

La réponse de l'intéressé : "Quand on ne répond pas à la question de la façon dont vous le souhaitez, vous la reposez. Vous voulez que je fasse une auto-critique à la soviétique ? (...) Non, je ne regrette pas d'avoir prononcé ces propos."

Tweet URL

De son côté, Patrick Cohen avait assuré ne jamais avoir "cherché à discréditer" Rachida Dati, mais que c'était "elle qui a[vait] cherché à ruiner [sa] réputation sur un plateau de télévision". "Je n'organise pas de campagne clandestine, je ne manipule pas d'algorithme, (...) je travaille honnêtement et devant vous cet après-midi, je me tiens droit", a-t-il déclaré. 

"Pour moi, il n'y a aucun doute. On n'était pas dans un état d'esprit complotiste ou dans l'idée de peser d'une quelconque façon sur l'opinion dans le but de faire échouer Madame Dati, pas plus que faire réussir le Parti socialiste", a également indiqué Patrick Cohen devant les députés.

Tweet URL

"Il s'agit de méthodes qui s'apparentent à des barbouzeries"

"Je suis assez satisfait de pouvoir enfin m'exprimer après avoir subi pendant plus de trois mois un déferlement de mensonges", a en outre affirmé Thomas Legrand dans son propos introductif, dénonçant des "interprétations fallacieuses" au sujet des propos filmés qui lui sont reprochés. Selon lui, "l'émotion suscitée par la diffusion de ces extraits est surtout due au temps que leur ont consacré CNews et Europe 1", des médias du groupe Bolloré qui agissent, a-t-il considéré, "dans un but de propagande". Et de lancer : "Il s'agit de méthodes qui s'apparentent à des barbouzeries" (voir vidéo en tête d'article).

Tweet URL

Le journaliste a aussi critiqué "trois minutes rendues publiques en dehors de toute éthique journalistique" et estimé qu'un procès "permettrait de déterminer qui, ce jour-là, faisait vraiment du journalisme".

Tweet URL

Un peu plus tôt, son confrère Patrick Cohen avait, lui, déploré une "opération de propagande sans limites, visant à dénigrer, à détruire le service public".

Tweet URL

Plusieurs échanges, vifs et tendus, ont eu lieu au cours des auditions entre les deux journalistes et le rapporteur, Charles Alloncle (UDR), notamment à propos du montage de la vidéo (ici ou ), dont proviennent les extraits qui ont été diffusés. C'est à la suite de la diffusion de ces extraits que la commission d'enquête a été créée. 

"Ce que j'ai fait avec le PS, je le fais avec tous les partis"

Interrogé sur le fait de rencontrer des responsables politiques, Thomas Legrand a déclaré que c'était "normal". "Ce que j'ai fait avec les socialistes, je le fais avec tous les partis. Même le vôtre, M. Ballard", a répondu le journaliste au député du Rassemblement national qui l'interrogeait. Par ailleurs, il regretté que le président du groupe Union des droites pour la République, Eric Ciotti, ne soit pas présent à son audition et rapporté des discussions avec ce dernier autour d'un café ou sur le trottoir devant la Maison de la radio. Le chef de file des députés UDR est à l'origine de la demande de création de la commission d'enquête, mais n'en est pas lui-même membre. 

Tweet URL

Des échanges tendus entre les députés et le rapporteur

A plusieurs reprises, ce jeudi, le ton est aussi monté entre des membres de la commission et son rapporteur, Charles Alloncle, qui fait partie du groupe politique d'Eric Ciotti. "Je pensais être membre d'une commission d'enquête sur l'audiovisuel public, mais aujourd'hui, il s'agit d'une forme de procès contre un journaliste qui travaille pour Libération", a notamment déploré Jérémie Iordanoff (Ecologiste et sociale), tandis qu'Aurélien Saintoul (La France insoumise) a estimé que le rapporteur avait "encore montré son goût pour la déformation, l'insinuation". 

Tweet URL

Erwann Balanant (Les Démocrates) a, quant à lui, critiqué le fait que Charles Alloncle (UDR) soit en possession d'un constat d'huissier concernant la vidéo par laquelle l'affaire Legrand-Cohen est arrivée. "Il y a une procédure judiciaire en cours (...) je pense que c'est une faute grave", a-t-il jugé. 

Tweet URL

"Si Monsieur le rapporteur a des éléments importants ; par exemple, connaissance d'un contrat d'huissier, par exemple qu'il aurait eu les rushes en entier ; il est tenu d'en faire part à cette commission d'enquête", a pour sa part souligné le président de la commission d'enquête, Jérémie Patrier-Leitus (Horizons), qui a aussi indiqué qu'il allait demander au média L'Incorrect, à l'origine de la diffusion des extraits, l'intégralité de la vidéo. 

Tweet URL

A l'inverse, Charles Alloncle a reçu le soutien de plusieurs de ses collègues. "Ce que je vois sur le service public me révolte", a ainsi déclaré la députée Anne Sicard (Rassemblement national), en s'en prenant aux "pamphlets camouflés derrière [les] éditos à sens unique" de Patrick Cohen. "Etes-vous un journaliste du service public ou un militant politique payé avec l'argent des Français ?", a-t-elle interrogé. Ce rendez-vous avec des cadres du Parti socialiste a "scandalisé les Français qui financent l'audiovisuel public avec leurs impôts sans avoir le choix", a renchéri Caroline Parmentier (RN). 

Après avoir mené une première série d'auditions ces derniers jours, dont celles des patronnes de France Télévisions, Delphine Ernotte, et de Radio France, Sibyle Veil, la commission d'enquête poursuivra ses travaux en janvier. 

Tweet URL